Un bon point de départ
En ce qui me concerne, il m'est arrivé plusieurs fois de me lancer dans des revues de littérature qui n'ont pas, ou très partiellement, débouché sur des articles. Je me retrouve donc avec des morceaux de synthèses qui traînent sur mon disque dur. Ce genre de matière constitue une excellente base de départ pour un article de Wikipédia : raisonnablement exhaustive, avec des références peu contestables et en général sur un point assez bien délimité. Transformer cela en un article ou un élément d'article de Wikipédia constitue une manière de valoriser ce temps de recherche en donnant une plus grande visibilité à la question qui m'a intéressée.
De la revue de littérature à l'élément de Wikipédia
Certes, la transformation demande un travail qui va au-delà du simple changement de syntaxe. Une revue de littérature peut tenir pour acquis des préliminaires qu'il faut expliciter dans un article Wikipédia. La revue est également souvent organisée selon des enjeux scientifiques (ressemblance des modèles ou des méthodes) plutôt que par enjeux de politique économique ou de description du phénomène, de dernier regroupement convenant mieux à un article. Il y a donc un effort de réorganisation à fournir. Selon moi, cet effort est utile au sens où il me permet de prendre du recul sur le sujet traité et de l'expliquer à quelqu'un qui ne serait pas intéressé par les questions de méthode mais uniquement par les résultats. Or, cette dernière description peut s'appliquer aussi bien au lecteur de Wikipédia qu'au participant à un séminaire d'économie généraliste.
Maintenir un article
J'essaye aussi d'utiliser Wikipédia comme un moyen d'engagement. Une revue de littérature, en effet, se périme d'autant plus vite que le champ considéré est actif. Il faut y revenir pour faire état des nouveaux résultats publiés, signaler les nouveaux développements ou les nuances à apporter aux intuitions précédentes. L'incitation pour faire cela sur une revue de littérature qui dort sur un disque est faible. Si celle-ci est sur Wikipédia, je me sens un peu responsable de voir sa qualité se dégrader au fil du temps, ce qui m'incite à y revenir quand j'ai un peu de temps (rare, ces derniers temps).
7 réactions
1 De Esteban G. - 04/04/2011, 03:16
Bonjour,
Merci pour ces deux articles. J'en profite pour me permettre deux questions, dont le lien avec les deux billets est cependant un brin ténu:
1. Quelle est votre politique vis-à-vis des "pages que quand même ce serait dommage de les corriger elles sont si jolies". Ex : une traduction malheureuse de search frictions sur la page fr de Diamond (Peter) "co-lauréat avec Dale Mortensen et Christopher Pissarides pour leur analyse des marchés avec désaccords de recherche." (http://fr.wikipedia.org/wiki/Peter_...). J'aime bien imaginer Pissarides et Mortensen se chamaillant pour se mettre d'accord sur leur article.
2. Je ne sais pas à quel point vous avez participé à la page wikipedia de l'économie de la culture, mais en cherchant comment il est possible d'utiliser la maladie des coûts de Baumol pour justifier les subventions au spectacle vivant (un argument qui m'échappe complètement), je suis tombé sur cette page. Plus généralement, comment les justifie-t-on? (hors arguments paternalistes). Sur la page wikipedia en question, pour ce qui s'applique au spectacle vivant, il reste le multiplicateur culturel, que me semble un brin fallacieux, et les externalités, que je ne trouvent pas très convaincantes ici.
Bon je sais je peux aller m'acheter le Benhamou aussi (worth it?).
2 De Mathieu P. - 04/04/2011, 07:58
Les problèmes de traduction sont récurrents sur des pages de ce type, souvent traduites par des non-spécialistes. Si une traduction canonique existe, il convient d'appliquer cette règle et de corriger le texte. Je recommande de commencer par se créer un compte, cela augmentera les chances que la correction ne soit pas annulée par erreur. Évidemment, il est aussi très fortement recommandé de donner une référence à un article ou un texte de référence utilisant la bonne terminologie.
L'article Économie de la culture est sur ma liste de travail depuis pas mal de temps sans que j'aie vraiment le courage de m'y mettre : il faudrait que je fasse le tour des sujets abordés dans le Handbook of the Economics of the Arts and Culture, et maintenant le Textbook of Cultural Economics de Towse pour faire bonne mesure. Ce serait cependant bien nécessaire dans la mesure où quelqu'un a truffé l'article de références à son propre travail sans grande considération pour l'équilibre d'ensemble.
Sur le fond, la maladie de Baumol ne justifie pas en soi des subventions. Elle dit que si pour des raisons extra-économiques on souhaite conserver le niveau de production des spectacles vivants, alors il faudra les subventionner. La maladie des coûts ne justifie ainsi pas qu'une subvention du spectacle vivant soit plus désirable qu'un autre type de subvention ou que pas de subvention du tout.
Les arguments les plus courants en faveur de la subvention des arts vivants reposent sur les externalités, la production théâtrale par exemple faisant émerger des thèmes et des acteurs qui trouvent ensuite leur chemin vers un plus grand public, la valuation contingente (interrogés, les citoyens se disent prêts à ce que leurs impôts financent des activités culturelles qu'ils ne consomment pas eux-mêmes) ainsi que des arguments proprement paternalistes (le niveau de consommation de ces biens est trop faible par rapport à un optimum social, où par exemple l'expérience d'une partie du répertoire fondant la culture française constituerait un élément de culture commune, renforçant le lien social). Je suis sinon aussi sceptique que vous concernant le multiplicateur culturel.
L'argument de fond dont part l'économie de la culture (notamment l'ouvrage fondateur Economics and Culture de David Throsby) est que la production et la consommation culturelles sont désirables pour des raisons avant tout extra-économiques, de la même manière que peuvent l'être les droits de l'homme, le respect de l'environnement ou la recherche fondamentale. Il convient donc d'éviter de s'emprisonner dans des justifications purement économiques de la politique culturelle, sans cependant être aveugle face aux conséquences économiques (positives ou négatives) de celle-ci.
3 De Moggio - 04/04/2011, 13:15
@ Esteban G. :
1. La traduction pour la page en français de Peter Diamond est mignonne ! :)
2a. Concernant la "maladie des coûts", l'analyse économique standard ne permet pas en effet "d'utiliser la maladie des coûts de Baumol pour justifier les subventions au spectacle vivant". À ce sujet, je me risque à nuancer un peu ce que vous a répondu le maître des lieux lorsqu'il dit : elle "dit que si pour des raisons extra-économiques on souhaite conserver le niveau de production des spectacles vivants, alors il faudra les subventionner." Je dirais plutôt : les conclusions théoriques de Baumol suggèrent que, si une société décide pour d’autres raisons que "la maladie des coûts" que l'industrie du spectacle vivant doit être soutenue, alors elle doit s’attendre à ce que ce soutien soit coûteux et ce, de plus en plus . Et, a priori, rien n'est dit sur la nature de ce soutien ; il peut être privé (mécénat) ou public.
2b. Sur le "multiplicateur culturel", la prudence est de mise, en effet.
2c. Sur les motifs économiques au soutien public, il n'est pas abusif, je crois, de dire qu'ils ne sont pas "très convaincants". Si la littérature en économie culturelle a isolé les différents motifs envisageables, elle a aussi produit de nombreuses pages pour expliquer de manière tout à fait acceptable qu'ils ne sont pas "très convaincants". Dans ce dernier champ, les auteurs souvent cités sont Grampp, Peacock, Cowen, et Sawers.
3. Pour une présentation générale, grand public et non technique, le "Repères" de Benhamou est pas mal, je trouve.
4 De Esteban G. - 06/04/2011, 19:16
@Matthieu P. @Moggio : merci beaucoup pour vos réponses (remerciements à lire en creux, puisque la clarté de vos réponses ne fait qu'accroître votre culpabilité de ne pas vous être attelés à la page wikipédia de l'économie de la culture, un peu fouillie à mon goût ;-) ).
Je vais passer pour un econtaliban mais je me rends compte que je ne suis pas sûr de saisir la distinction entre justifications économiques et extra-économiques telle que vous la faites. Si vous soulignez par là que la valeur accordée à la culture ne relève pas de l’économie, je n’ai rien à redire, mais pour le coup ça me semble se placer dans une logique très économique (partir de préférences individuelles données, et analyser si et comment différents mécanismes d’allocation résultent en une situation satisfaisante au regard de ces préférences individuelles). Ensuite, une justification issue d’une autre manière de poser le problème ne sera pas, par définition, « économique », mais intolérant comme je suis, j’ai tendance à penser que c’est justement la bonne manière d’aborder le problème. Je ne suis donc pas sûr de voir ce que vous rangez dans motifs non-économiques, les exemples que vous donnez (Matthieu), l’environnement et la recherche fondamentale, étant justement des exemples canoniques d’externalités.
Bon, une fois passée ma querelle de définition stérile, je trouve justement que les justifications que vous donnez sont tout à fait convaincants de ce point de vue, en particulier la valuation contingente. Si je valorise l’existence de spectacles vivants indépendamment de ma consommation desdits spectacles (comme pour le mécénat privé), le spectacle vivant a un statut de bien public, et le free-riding justifie la prise en charge par l'Etat. Ce me paraît crédible qu’une large partie de la population souhaite que les arts fleurissent, qu’ils accordent une valeur à ce que l’on joue du Beckett, même s’ils préféreront ne pas assister à une représentation d’ô les beaux jours.
5 De Mathieu P. - 06/04/2011, 21:33
Esteban : au sujet de l'article Économie de la culture, je vous invite à consulter cette partie de l'historique de l'article, qui n'a certes pas gagné en cohérence depuis (mais ce n'est pas ma faute, si ce n'est que j'ai laissé faire).
Concernant les justifications, je n'ai effectivement pas beaucoup développé les justifications extra-économiques (cela fait du lien social, construit une identité, etc.) parce que je ne suis pas sûr d'être bien à l'aise avec celles-ci. Non que je rejette leur valeur ou leur pouvoir de conviction mais je ne suis pas certain d'être bien placé pour en parler. Il faudra que je fasse un billet à ce sujet à l'occasion.
6 De Moggio - 06/04/2011, 21:52
@Esteban G. :
a. Pas coupable à mon sens ('manquerait plus qu'ça !) car j'avoue que, jusque-là, mon "arbitrage coûts-bénéfices" m'a conduit à ne pas chercher à modifier voire créer des pages Wikipédia sur des questions d'économie culturelle et médiatique.
b. Les motifs économiques auxquels on peut penser sont essentiellement de type "défaillance de marché", examinés en économie du bien-être ou en théorie des choix collectifs : effets externes ou externalités, biens collectifs ou publics, etc. Un motif non économique est par exemple celui consistant à affirmer, par paternalisme, que les biens culturels doivent être des biens sous tutelle (merit goods). Et je suppose qu'il n'y a pas que l'économie en tant que discipline qui invoque des motifs à l'intervention publique.
c. Vous dites "Si vous soulignez par là que la valeur accordée à la culture ne relève pas de l’économie, je n’ai rien à redire". Au contraire, serais-je tenté de dire. Pour un économiste, un bien, un service, un objet, n'importe quoi a une valeur économique (positive) s'il produit de la satisfaction, de l'utilité (au sens technique) pour au moins un individu (l'homme de la rue pense, lui, que la valeur économique, c'est le prix mais c'est faux). Par cette définition (néoclassique), la valeur économique a tendance à englober toutes les autres valeurs (cf. le début du livre de W. Grampp intitulé Pricing the Priceless). Si le bien en question est un tableau de Miró et que je tire de l'utilité à le regarder pendant plusieurs minutes, la valeur est, disons, esthétique ou picturale mais c'est, au sens des économistes, de la valeur économique. Si le bien est un plat japonais pour gourmet et que je tire une utilité à le déguster dans un restaurant calme et agréable, la valeur serait, disons, gastronomique mais c'est aussi sa valeur économique. Même chose pour la valeur littéraire ou dramaturgique d'une pièce de Shakespeare lue qui est comprise dans sa valeur économique (qui peut d'ailleurs avoir plusieurs attributs). Lorsqu'un économiste comme D. Throsby distingue dans plusieurs de ses textes la valeur économique d'un tableau, d'une symphonie, d'un livre de Stendhal, d'un château, que sais-je ?, de ce qu'il appelle (et définit) la valeur culturelle de ces biens, je suis un peu sceptique ('suis pas le seul) et ai tendance à penser que la valeur culturelle est englobée par la valeur économique définie par les économistes néoclassiques (tout type de valeur est incluse dans la valeur économique). Bon, j'arrête là et vous renvoie à Grampp qui est bien plus clair que moi.
d. Le spectacle vivat peut en effet avoir "le statut de bien public" ou bien collectif, bien qu'on puisse, notamment lorsqu'il est proposé dans un lieu fermé, exclure toute personne qui ne paie pas pour y assister et qu'il peut y avoir rapidement rivalité en consommation par effet de congestion. Mais bien d'autres biens économiques peuvent aussi prétendre à ce "statut" et, comme nous vivons dans un monde de ressources rares, un choix doit être fait concernant l'ordre de priorité de ce qui mériterait d'être financé par le contribuable et, comme le dit, si je me souviens bien, un économiste comme B. Frey, dans le cas précis, il n'est pas sûr que le spectacle vivant soit le bien le plus valorisé pour cela par le plus grand nombre.
7 De Esteban G. - 06/04/2011, 23:39
@Moggio : (c) oula oui pardon c'est moi qui suis coupable de ne pas avoir été clair, je voulais juste dire que "déterminer la valeur à accorder à la culture" ne relève pas de l'économie (bref raisonner à préférences données). Je fais bien la même distinction que vous entre justifications économiques et non économiques (b), comme dans mon premier message. C'est parce Mathieu parlait de la désirabilité des droits de l'homme, du respect de l'environnement et de la recherche fondamentale comme des raisons non économiques que je n'étais pas sûr de comprendre "économiques" et "non économiques" comme il l'entendait.
Pour (d), c'était une partie de mon incompréhension d'origine : qu' une pièce de théâtre soit un bien public n'est pas vraiment un argument puisqu'il est facilement excluable. Je trouvais justement que considérer que les individus souhaitent non pas assister aux pièces mais simplement qu'elles soient jouées (mécénat) en faisait des biens publiques non excluables (et j'ai alors tout intérêt à free rider). Ensuite, que ce seul argument soit suffisant pour justifier l'intervention de l'Etat, c'est autre chose, mais je n'en demandais pas tant.
@Mathieu : merci, j'attendrai patiemment le billet. Comme je commence à avoir peur de ne plus savoir m'exprimer : je ne voulais pas dire qu'une justification économique devait nécessairement venir de l'institution économique et prendre la forme d'un titre de chapitre d'un cours d'intro à l'éco publique, juste être compréhensible dans le cadre du problème économique.