Le propos du billet ci-dessus s'articule en deux points. Premièrement, des plates-formes d'édition collaborative se mettent en place, sur la base d'un co-financement par les lecteurs. Si les résultats sont pour l'instant en demi-teinte, il s'agit d'une rupture fondamentale du fonctionnement de l'édition : publier un livre parce qu'il a, au départ, su se trouver un public suffisant plutôt que de publier une foule de livres dont l'éditeur pensent qu'au moins quelques-uns vont trouver un très large public (les blockbusters, qui compensent les pertes faites sur les autres livres). La pré-éminence de l'éditeur et sa figure de prescripteur (et donc d'intellectuel influent) s'en trouve menacé.

Nous sommes éditeur classique depuis des années, pourquoi associerait-on le lecteur au processus de décision ?

Deuxièmement, ce mode d'édition n'intéresse pas les grandes maisons. Vraiment pas du tout. Celles-ci offrent un discours fondé essentiellement sur l'idée que l'éditeur est mieux placé que les lecteurs pour savoir quoi publier. L'article cite ainsi un responsable de Dupuis : « Nous sommes éditeur classique depuis des années, pourquoi associerait-on le lecteur au processus de décision ? ». Cela rejoint évidemment le regard que Rémi Mathis portait sur le mépris du lecteur par les maisons d'édition françaises.

Cette attitude est sans doute à rapprocher de deux autres éléments saillants du fonctionnement de l'édition. Dans l'émission d'hier, François Rouet faisait remarquer qu'une part considérable de la production éditoriale ressort de la commande, celle-ci pouvant passer par des canaux informels. L'édition participative, par nature, procède de l'examen de soumissions spontanées, terrain que les éditeurs français n'ont conservé que pour éviter qu'il ne devienne celui des agents littéraires. En outre, les lecteurs ne sont pas les clients des éditeurs, qui n'ont que peu de contacts avec eux. Exemple typique : il n'est pas possible d'acheter un Folio directement depuis le site dédié. il faut passer par un libraire. Ce sont ces derniers qui constituent le marché pertinent pour les éditeurs. Une fois les livres sur les tables, l'éditeur passe la main, et n'a ainsi que rarement contact avec les lecteurs. Ce qui n'aide évidemment pas à voir d'un bon œil des modes de valorisation qui passent justement pas plus de contact avec les lecteurs.

Je pense qu'on peut regarder avec intérêt le temps qu'il va falloir aux grandes maisons pour adopter des modèles plus hybrides.