Je ne vais pas retracer ici les grandes lignes de l'entretien : il mérite qu'on le lise en entier. Je voudrais juste parler d'une petite divergence avec l'auteur. Pour lui, l'avenir de la distribution de livres reposera sur des mécanismes de réseaux sociaux, s'appuyant sur des recommandations mutuelles. À mon sens, il restera cependant une place pour le rôle joué aujourd'hui pas les libraires, le tri et la détection d'ouvrages intéressants dans les nouveautés. Les réseaux sociaux et le pur number crunching fondé sur nos habitudes passées de consommation peuvent sans doute remplacer la fonction d'appariement entre les titres sur lesquels on dispose d'informations et nous goûts. En revanche (cela me semble découler de la statistique élémentaire), ces méthodes ne vont pas être satisfaisantes pour les titres que peu de gens ont lu. Il y a donc un problème d'amorçage de la chaîne, et donc un rôle pour ceux qui peuvent se positionner à cet endroit.

Une autre dimension dont je pense qu'elle va se révéler importante est celle de la mise en page et de la typographie. Il semble évident que ces métiers ne seront pas à l'heure du livre numérique les mêmes que ce qu'ils sont aujourd'hui. Il est possible qu'ils deviennent plus importants. Il a fallu près de dix ans aux entreprises pour comprendre que le design d'un site web était une affaire de professionnel, et que de simples questions de forme pouvaient faire toute la différence (la SNCF, par exemple, n'a pas encore bien intégré le message en termes d'ergonomie). Le livre numérique va poser les mêmes problèmes d'accessibilité et d'esthétique, augmentés par l'exigence de lisibilité d'un texte long sur un écran ou assimilé. L'intégration de contenus non-textuels, destinés à être vus sur des supports de puissance et de taille très différentes rajoute une couche de difficulté. Il faut donc sans doute s'attendre à l'émergence de nouveaux métiers propre au livre numérique, hautement techniques, et qui feront la différence entre la production amateur et les contenus ayant fait l'objet d'un investissement par un intermédiaire équivalent à ce qu'est aujourd'hui l'éditeur.

Mon argument essentiel est donc qu'une partie des niches existant aujourd'hui dans la chaîne du livre ont toutes les raisons d'exister aussi dans celle du livre numérique. Fabrice Epelboin souligne à très juste titre que les éditeurs français, via le SNE, ne semblent pas disposés à se mettre en position d'occuper ces niches. Ce qui fait de la place pour de nouveaux entrants.