Je ne vais pas retracer ici les grandes lignes de l'entretien : il mérite qu'on le lise en entier. Je voudrais juste parler d'une petite divergence avec l'auteur. Pour lui, l'avenir de la distribution de livres reposera sur des mécanismes de réseaux sociaux, s'appuyant sur des recommandations mutuelles. À mon sens, il restera cependant une place pour le rôle joué aujourd'hui pas les libraires, le tri et la détection d'ouvrages intéressants dans les nouveautés. Les réseaux sociaux et le pur number crunching fondé sur nos habitudes passées de consommation peuvent sans doute remplacer la fonction d'appariement entre les titres sur lesquels on dispose d'informations et nous goûts. En revanche (cela me semble découler de la statistique élémentaire), ces méthodes ne vont pas être satisfaisantes pour les titres que peu de gens ont lu. Il y a donc un problème d'amorçage de la chaîne, et donc un rôle pour ceux qui peuvent se positionner à cet endroit.
Une autre dimension dont je pense qu'elle va se révéler importante est celle de la mise en page et de la typographie. Il semble évident que ces métiers ne seront pas à l'heure du livre numérique les mêmes que ce qu'ils sont aujourd'hui. Il est possible qu'ils deviennent plus importants. Il a fallu près de dix ans aux entreprises pour comprendre que le design d'un site web était une affaire de professionnel, et que de simples questions de forme pouvaient faire toute la différence (la SNCF, par exemple, n'a pas encore bien intégré le message en termes d'ergonomie). Le livre numérique va poser les mêmes problèmes d'accessibilité et d'esthétique, augmentés par l'exigence de lisibilité d'un texte long sur un écran ou assimilé. L'intégration de contenus non-textuels, destinés à être vus sur des supports de puissance et de taille très différentes rajoute une couche de difficulté. Il faut donc sans doute s'attendre à l'émergence de nouveaux métiers propre au livre numérique, hautement techniques, et qui feront la différence entre la production amateur et les contenus ayant fait l'objet d'un investissement par un intermédiaire équivalent à ce qu'est aujourd'hui l'éditeur.
Mon argument essentiel est donc qu'une partie des niches existant aujourd'hui dans la chaîne du livre ont toutes les raisons d'exister aussi dans celle du livre numérique. Fabrice Epelboin souligne à très juste titre que les éditeurs français, via le SNE, ne semblent pas disposés à se mettre en position d'occuper ces niches. Ce qui fait de la place pour de nouveaux entrants.
8 réactions
1 De Fabrice Epelboin - 21/05/2009, 02:40
Les libraires, certes, mais dans les librairies ? Hum... Pas sûr... Les bibliothécaires se mettent a fond dans les système de recommandations, les libraires ont besoin d'initiatives similaires.
En tout cas, cette interview suscite plein de réactions, c'est cool, on va pouvoir organiser quelque chose de constructif à la rentrée. Je compte sur toi :-)
2 De Martin Lessard - 27/05/2009, 21:33
On parle ici d'une "lecture active", quelque chose qui a rapport à des flux de recommandations mutuelles. (il existera encore des "lectures passives" où le lecteur préfèrera la linéarité et la tranquillité de son livre -électronique ou non).
Est-ce que les libraires sont réellement capable de faire compétition aux bibliothécaires? Une grande partie de leur valeur tient dans leur présence locale. Un libraire vit d'une économie de passage et d'impulsion. Ils se spécialiseront dans les livres qui répondent à cette nouvelle demande, j'imagine. Peuvent-ils vraiment être dans une économie d'amorçage de la chaîne sans assurance de retour?
Question fascinante.
Quant aux "nouveaux métiers" propre au livre, dont l'ergonomie, voilà une bonne prédiction! merci!
3 De Moggio - 03/06/2009, 18:54
@Mathieu P. : Euh..., votre commentaire ci-dessus de 16h20 est-il bien à sa place ? ;-)
4 De Mathieu P. - 04/06/2009, 21:55
Non, c'est corrigé. Merci !
5 De Moggio - 06/08/2009, 12:53
En lien possible avec le sujet de ce billet (l'avenir du livre), le tout dernier Insee Première intitulé "Le recul du livre et de la presse dans le budget des ménages" indique que, alors que les dépenses en livre des ménages français ont continué de croître entre 1970 et 2006 (comme leurs dépenses totales, je suppose), la part du livre dans le budget de ces ménages n'a quasi fait que décroître sur la même période et ce, malgré le "niveau d'études croissant des nouvelles générations". (C'est à peu près la même chose pour la presse.)
6 De Mathieu P. - 06/08/2009, 22:47
Je dirais même plus, c'est ici.
7 De Moggio - 07/08/2009, 09:08
Je ne sais pas si l'Insee a les moyens d'entrer dans le détail de la part budgétaire consacrée aux livres pour connaître son évolution sur 1970-2006 selon la catégorie de livre. Je me demande si son composant "dépenses en encyclopédies papier" n'a pas pas mal baissé depuis, disons, le milieu ou la fin des années 1990... Mais je n'ai aucun chiffre sous la main (peut-être en passant par une série longue sur le chiffre d'affaires de l'édition par catégorie...?)
8 De Mathieu P. - 07/08/2009, 10:27
Si je me souviens bien, les enquêtes Budget des Familles (au moins les deux plus récentes) permettent de distinguer les livres pratiques et les bandes dessinées.