Lecteurs et libraires
Tyler Cowen indique un article amusant sur les types de clients dans les librairies américaines. L'article est amusant en soi, mais en plus il appelle quelques remarques.
Remarque n°1 : la librairie est un lieu de vie
Les libraires français répètent à l'envie qu'ils sont un lieu d'animation culturelle. Soit. Seulement, dans les librairies américaines, il y a des chaises (confortables) où on peut s'asseoir pour lire. Manifestement, on peut y lire plus de dix minutes sans se faire fusiller du regard, et on peut même y discuter sans se faire mettre dehors.
Remarque n°2 : la librairie est un lieu de travail
Figurez-vous qu'en plus des chaises, il y a aussi des tables, des prises (quand c'est possible), et une connexion Internet sans fil, ce qui permet d'y travailler un peu. Pourquoi offrir cela ? Précisément, semble-t-il pour que la librairie soit effectivement plus qu'un lieu où on vend des livres. Et justement...
Remarque n°3 : la librairie ne vend pas que des livres
Le modèle auquel se réfère l'auteur du billet est manifestement celui du café-librairie, qui existe déjà en France dans sa version manga. D'après ce qu'en dit l'article, l'activité café n'est pas accessoire, puisque c'est sur celle-ci que se fait la plus grosse marge. Ce qui explique aussi, naturellement, les tables et les chaises (on imagine aisément qu'on préfère éviter que les gens ne se baladent dans les rayons avec leur café à la main). Dans le billet suivant du même blog (que je vous encourage à lire), l'auteur parle également de restauration légère. L'auteur continue en parlant des produits complémentaires : quelques CD choisis à côté des livres sur la musique, quelques DVD à côté des romans récemment adaptés, quelques figurines à côté des rayons manga et comics.
Je crois que vous avez compris l'idée : à lire ce billet, on se dit que la remarque de l'auteur est juste. Les livres ne sont plus le produit de prestige qu'ils étaient à une époque. On les trouve dans les supermarchés, et on les passe à la caisse entre la salade et la lessive. Plutôt de s'accrocher à une gloire passée, ne serait-il pas possible d'en prendre acte, en mettant en avant que l'avantage d'une librairie sur un supermarché, c'est le libraire et le confort ? Évidemment, cela vaut aussi dire que le modèle français de la micro-librairie indépendante doit faire place à celle de lieux culturels un peu plus larges. Ce qui n'est pas forcément un mal si on veut bien considérer que les livres ne sont pas l'alpha et l'oméga de la culture.
Publié le mercredi, juin 10 2009, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
mercredi, juin 10 2009
22:11
Merci pour le lien et vos remarques.
— MoggioL'article de Tyler Cowen de mai 2006 dans Slate (www.slate.com/id/2141725/ ) signalait de manière non dramatique la disparition progressive des (plutôt petites a priori) librairies "indépendantes" aux États-Unis, ce qui signifie peut-être que là-bas ne resteront à terme que des librairies assez conséquentes proposant ces différents types de services complémentaires aux services traditionnellement offerts par les librairies (le ou les rayons papeterie ainsi que les soirées signature d'auteur ou de discussion autour d'un livre avec ou sans auteur ne sont pas nouvelles, elles). Les deux grandes villes américaines que j'ai pu un petit peu visiter récemment (Chicago et Boston) offrent en effet ce type de librairies : spacieuses (plusieurs étages possibles), bien éclairées, avec plein de rayonnages aérés et variés, des livres partout mais aussi nombre de journaux, magazines, CD et DVD, un coin café-restauration légère avec des tables et des chaises confortables disponibles pour lire plus ou moins tranquillement, plus ou moins au calme (c'est vrai qu'on peut aussi y discuter) et sans souci du regard du personnel de la librairie (c'est fait pour ça !), des prises et la possibilité de se connecter à l'Internet sans fil, parfois en retrait un petit coin enfants avec des bouquins pour eux étalés partout, etc. Un vrai "lieu de vie" dans lequel on peut par exemple préférer rester plusieurs heures à butiner ou lire un livre en entier plutôt que d'aller écouter les communications de la conférence ! ;-) Et on trouve, je crois, des librairies assez similaires à Londres. Il y en a au moins une dans le West End où l'on peut, apparemment sans problème, y passer sa journée à travailler sur son micro-ordinateur portable avec ses documents, tout en "empruntant" des livres sur les rayonnages pour son travail comme on pourrait le faire dans une bibliothèque publique !
Je partage clairement votre avis dans votre dernier paragraphe : n'est-ce pas précisément ainsi que des librairies "physiques", qui seront certes plus rares qu'aujourd'hui, continueront d'exister dans les années à venir ? (Il serait intéressant de connaître l'avis de libraires en France sur cette conjecture. (Je ne connais pas le Manga Café à Paris.))
D'ailleurs, j'ai lu il y a quelques temps que ce serait aussi, de plus en plus, vers ce genre de choses que tendront aussi -- face aux effets produits par la révolution numérique (car, bien sûr, c'est encore de cela qu'il s'agit, au moins en partie) -- les salles de cinéma, avec, aux États-Unis là encore, le fait qu'on puisse passer une soirée entière au cinéma avec, en plus de la projection du film proprement dite, une diversité de services additionnels (en cabines privées ou plus publiquement, dîner chic avec personnel aux petits soins, etc., etc.).
jeudi, juin 11 2009
09:02
Je ne saisis pas la conclusion de ton billet... Dans les "micro-librairies indépendantes" on peut "y lire plus de dix minutes sans se faire fusiller du regard".
— DCPar ailleurs je ne comprends pas ta notion de "une librairie sur un supermarché" qui comporterait un "libraire" et du "confort". Les rayons librairie des supermarchés, outre leur fonds misérable, sont aussi blafards que les rayons des conserves. Où est le confort ?
jeudi, juin 11 2009
10:26
C'est le cas aussi dans la seule, et immense, librairie non-spécialisée qui ait survécu dans le centre de Francfort (Main) : canapés (avec surcroît d'éclairage pour ne pas se fatiguer les yeux), café avec délicieux gâteaux au centre, quelques CD, des jeux de société (Allemagne power)... Et des grosses remises (jusqu'à -30%), la loi sur le prix unique du livre n'étant pas en vigueur outre-Rhin.
— EmmelineEn revanche, point de libraire, uniquement des vendeurs. C'est dommage, les deux (confort et conseil) ne me paraissent pas incompatibles.
jeudi, juin 11 2009
10:30
Il faudra que nous échangions nos adresses, alors. Dans celles de mon quartier (Paris 13e), tu te fais regarder de travers dès que tu ouvres un bouquin. Déjà, regarder la quatrième de couverture te rend suspect.
Mon argument est qu'une librairie peut être un endroit plus confortable qu'un supermarché, mais qu'à moins d'aimer l'odeur du papier et le manque d'espace, la différence est aujourd'hui assez faible. La faiblesse de la différence est encore plus frappante si on compare une de ces fameuses librairies indépendantes à une Fnac. Il me semble que les efforts faits actuellement dans ce secteur (labels, invitations d'auteurs, etc) ne pourront avoir d'effets durables que s'il existe de manière complémentaire une démarche pour que le client non-bibliophile n'ait pas l'impression d'entrer en territoire hostile.
— Mathieu P.jeudi, juin 11 2009
11:57
C'est marrant mais c'est le supermarché que je considère comme un territoire hostile.
— DCjeudi, juin 11 2009
16:38
Emmeline : la loi sur le prix unique est en vigueur en Allemagne, mais selon des modalités différentes de celles de la France. La principale différence est qu'elle est optionnelle. Titre par titre, un éditeur peut choisir ou non s'il va imposer un prix de revente. Ce qui lui permet de faire jouer la concurrence entre détaillants quand il pense tenir un succès.
— Mathieu P.samedi, juin 13 2009
10:20
Je n'étais pas sans le savoir, mais pour moi ça s'éloigne suffisamment du modèle français pour qu'on puisse dire que la loi sur le prix unique n'existe pas en Allemagne (les Allemands l'appellent d'ailleurs "Buchpreisbindunggesetz", autrement dit "loi sur la fixation d'une contrainte de prix d'un livre")... Très précisément, une partie non négligeable des ouvrages ont bien un prix affiché sur la quatrième de couverture, mais il est finalement assez rare que ce prix soit celui effectivement facturé.
— EmmelineEn revanche (là je peux me tromper), il me semble que cette loi comporte une clause qui s'apparente, pour les amoureux du Gatt, à celle de la nation la plus favorisée : un éditeur ne peut pas offrir de moins bonnes conditions à un petit libraire qui lui commande un ouvrage qu'à une centrale d'achat. La (relative) unicité du prix se fait donc beaucoup plus en amont qu'en France.
vendredi, août 28 2009
02:53
A la Fnac Saint-Lazare à Paris, il y a aussi un coin café à l'étage de la librairie.
— Apokrif