Du temps de cerveau disponible

On connaît la célèbre citation de Patrick Le Lay : « Nous vendons du temps de cerveau disponible. » La divergence entre la vision publicitaire et la vision de l'économiste commence là. Pour l'économiste, il n'existe pas de temps de cerveau disponible. Il existe des préférences (ce qu'un individu fait quand il est contraint de choisir entre des options alternatives, par exemple entre deux pots de mayonnaise) et des ensembles d'information (ce que la personne connaît sur les produits concernés). L'idée que les préférences pourraient être modifiées est généralement considérée avec un certain scepticisme, surtout si elles réagissaient à des messages aussi incessants et triviaux que ceux de la publicité (les traumatismes majeurs sont une autre histoire, on sort du domaine de la rationalité économique). C'est pourtant précisément ce que prétendent faire les publicitaires : donner envie d'acheter le produit, et ce produit-là plutôt que celui des concurrents.

Qui croire, donc ? Ce que je vais essayer de montrer ici est que les deux explications ne sont pas aisément séparables, les économistes montrant que tout ce que les publicitaires attribuent à des changements de préférences peuvent s'expliquer par des changements dans l'ensemble d'information des agents.

La publicité directement informative

C'est le cas le plus simple : dire que la publicité apporte de l'information au consommateur sur les caractéristiques d'un bien, par exemple. Ainsi, on comprend bien les publicités qui comprennent la photo d'un ordinateur, ses caractéristiques techniques et son prix. On comprend l'utilité des informations données. Les caractéristiques des ordinateurs évoluent vite (et donc l'information des consommateurs se périme vite), et leurs prix fluctuent (essentiellement du fait du prix de la mémoire vive, dont la production est très concentrée). L'information ainsi fournie permet au consommateur de mieux savoir quelle gamme de produits lui est accessible, et donc de faire de meilleurs choix. Sous l'hypothèse que le coût de la publicité n'est pas trop fort, son existence va améliorer l'efficacité du marché (et possiblement le bien-être du consommateur).

La publicité d'existence

L'ennui, c'est que ce type de publicité est minoritaire, quand il n'est pas purement et simplement interdit. Que penser alors de toutes les publicités qui se contentent de montrer le produit ? C'est que chaque consommateur n'a pas un catalogue complet des produits disponibles dans sa tête. L'apprentissage ou le simple rappel de l'existence d'un produit (dont les caractéristiques sont par ailleurs connues ou évidentes) constitue une information en soi. On revient donc au cas précédent.

La publicité de marque

Reste une grande part de la publicité à expliquer : celle faite par des produits biens connus, qui est le fondement de cette idée que la publicité peut modifier les préférences : quelle information m'apporte une publicité pour une voiture mise à côté d'un joueur de rugby passablement hirsute ? J'ai envie de dire qu'on est là encore dans une forme d'information. La publicité s'adresse à un certain public (pour caricaturer ici : les amateurs de rugby plutôt que les footeux), dont je me sens proche ou non. Il me renseigne donc pour la capacité a priori du bien à me plaire en fonction de mes préférences (penser ici à la stratification sociale des sports, qui fait que quand une marque de prestige allemande va chercher un sportif, elle demande à Tiger Woods). Retour, à nouveau, au cas précédent ?

L'effet de signal

Il ne faut cependant pas charrier : quelle information m'apporte une publicité avec seulement le produit et une femme légèrement vétue ? Pas d'information directe, effectivement. Faisons cependant un pas en arrière : est-ce que le simple fait de faire de la publicité n'apporte pas une information ? Évidemment, oui, la publicité n'étant pas gratuite. L'entreprise qui fait des dépenses de pub espère que ces publicités lui rapporteront quelque chose. D'après ce qui précède, elle espère donc qu'une fois ayant appris l'existence et les caractéristiques de son bien, je préférerait l'acheter qu'acheter les produits de la concurrence ou d'autre produits. En d'autres termes (toujours en prenant un consommateur rationnel), elle pense que son produit est bon, et elle est prête à dépenser de l'argent pour le faire savoir. La publicité se ramène alors à un cas particulier des problèmes de signal, et on sait depuis Akerlof que la possibilité d'émettre des signaux améliore l'efficacité du marché dès lors que le coût de la publicité est inférieur à l'avantage qu'un bon produit donne à son fabricant (très grossièrement dit). Bref, on se ramène à nouveau au cas précédent.

Dès lors, le problème du publicitaire est simplement comment attirer l'œil de consommateur pour qu'il reçoive l'information qu'on veut lui transmettre (d'où la prolifération des images qui attirent instinctivement l'attention ou sont traditionnellement associée à des idées plaisante, ou à l'inverse qui suscitent la curiosité).

Comment séparer les deux conceptions ?

Comme je l'ai dit plus haut, il n'est pas évident de séparer les deux conceptions. On ne sait pas ce qui se passe dans la tête des individus, et donc difficile de savoir s'ils décident plus ou moins rationnellement sur les informations à leur dispositions (qui passent elles-mêmes dans une multitude de filtres). On aurait envie de faire des études randomisées proposant différents supports ayant la même information. Sauf qu'on sait que les enquêtes où les gens de mettent pas de ressources en jeu (par exemple celles reposant sur de simples déclarations « ça me donne plus envie d'acheter ») sont notoirement peu fiables. Pour ce que j'en sais d'ailleurs, les études d'impact de la publicité peuvent avoir une bonne méthodologie, mais sont réalisées en dépit de toutes les précautions nécessaires. Elles constituent ainsi une source de revenus d'appoint significative pour les étudiants, intermittents ou jeunes journalistes, qui savent que les institut effectuant ces études sont souvent peu regardants sur la correspondance entre les caractéristiques réelles des gens enquêtés et celles qu'imposeraient leurs quotas. J'imagine qu'il existe des études d'impact correctement faites, et j'aimerais en voir les résultats.

Donc, pollution ou pas pollution ?

Est-ce qu'en disant cela, on ne passe pas un peu à côté du problème, qui serait selon certain l'envahissement de l'espace public par les publicités ? C'est pour moi un problème différent. Dans l'immense majorité de la publicité par affiches, il s'agit d'espace alloué par la puissance publique elle-même, ou par ses mandataires. Dans la plupart des cas, je doute que le surcoût en termes de bruit informationnel soit supérieur aux recettes tirées de la vente des espaces en question (au sens : je doute que la plupart des gens accepteraient une augmentation de leur impôts correspondant à la baisse des ressources des collectivités concernées).

La problème commence à mon sens quand la publicité se fait sans contrepartie sur l'espace public (comme on le voit à l'entrée de certaines villes de province), ou que la faiblesse apparente de son coût conduit à surcharger l'espace disponible. Comme d'habitude cependant, les agents réagissent aux incitations. Ainsi, j'utilise une extension du navigateur Firefox qui efface la majorité des publicités (rendant Le Monde en peu moins illisible). Certes, la course aux armements entre les uns et les autres (penser au spam et aux antispam) ressemble à une course à l'échalotte où on investit des ressources qui seraient plus utiles ailleurs. Personnellement, j'ai tendance à mettre ça au débit de la relative nouveauté de l'informatique, qui fait qu'il y a encore des personnes que l'on peut duper à coups d'offres de Viagra ou d'offres de collaboration mirobolante. L'éducation à l'informatique devrait corriger le problème, même si l'apprentissage est de fait assez long.

Le problème est plus complexe quand on parle de la publicité dans son ensemble : est-elle aussi une course aux armements conduisant à dissiper des ressources ? Faute de connaître l'utilité apportée par l'information, c'est difficile d'y répondre. Sur ce point, je penche plutôt pour une position sceptique : il ne sert à rien d'interdire la publicité, c'est quelque chose qui revient par la fenêtre quand on la met à la porte. J'en veux pour preuve l'inventivité déployée pour contourner les interdictions ou mises en garde existantes (des cigarettiers qui faisaient de la publicités pour leurs alumettes à McDo brutalement transformé en défenseur de la diététique).