Éléments d'économie de la publicité
Dans les conversations sur les méfaits de l'économie de marché, la publicité fait partie des boucs émissaires désignés. Elle est d'autant plus difficile à défendre que l'analyse économique de la publicité semble au premier abord fort éloigné de la descriptions que font les professionnels du domaine de la publicité.
Avertissement : je ne suis pas un spécialiste de l'analyse économique de la publicité, donc ceci n'est pas une revue de littérature en bonne et due forme, et probablement même pas à jour
Du temps de cerveau disponible
On connaît la célèbre citation de Patrick Le Lay : « Nous vendons du temps de cerveau disponible. » La divergence entre la vision publicitaire et la vision de l'économiste commence là. Pour l'économiste, il n'existe pas de temps de cerveau disponible. Il existe des préférences (ce qu'un individu fait quand il est contraint de choisir entre des options alternatives, par exemple entre deux pots de mayonnaise) et des ensembles d'information (ce que la personne connaît sur les produits concernés). L'idée que les préférences pourraient être modifiées est généralement considérée avec un certain scepticisme, surtout si elles réagissaient à des messages aussi incessants et triviaux que ceux de la publicité (les traumatismes majeurs sont une autre histoire, on sort du domaine de la rationalité économique). C'est pourtant précisément ce que prétendent faire les publicitaires : donner envie d'acheter le produit, et ce produit-là plutôt que celui des concurrents.
Qui croire, donc ? Ce que je vais essayer de montrer ici est que les deux explications ne sont pas aisément séparables, les économistes montrant que tout ce que les publicitaires attribuent à des changements de préférences peuvent s'expliquer par des changements dans l'ensemble d'information des agents.
La publicité directement informative
C'est le cas le plus simple : dire que la publicité apporte de l'information au consommateur sur les caractéristiques d'un bien, par exemple. Ainsi, on comprend bien les publicités qui comprennent la photo d'un ordinateur, ses caractéristiques techniques et son prix. On comprend l'utilité des informations données. Les caractéristiques des ordinateurs évoluent vite (et donc l'information des consommateurs se périme vite), et leurs prix fluctuent (essentiellement du fait du prix de la mémoire vive, dont la production est très concentrée). L'information ainsi fournie permet au consommateur de mieux savoir quelle gamme de produits lui est accessible, et donc de faire de meilleurs choix. Sous l'hypothèse que le coût de la publicité n'est pas trop fort, son existence va améliorer l'efficacité du marché (et possiblement le bien-être du consommateur).
La publicité d'existence
L'ennui, c'est que ce type de publicité est minoritaire, quand il n'est pas purement et simplement interdit. Que penser alors de toutes les publicités qui se contentent de montrer le produit ? C'est que chaque consommateur n'a pas un catalogue complet des produits disponibles dans sa tête. L'apprentissage ou le simple rappel de l'existence d'un produit (dont les caractéristiques sont par ailleurs connues ou évidentes) constitue une information en soi. On revient donc au cas précédent.
La publicité de marque
Reste une grande part de la publicité à expliquer : celle faite par des produits biens connus, qui est le fondement de cette idée que la publicité peut modifier les préférences : quelle information m'apporte une publicité pour une voiture mise à côté d'un joueur de rugby passablement hirsute ? J'ai envie de dire qu'on est là encore dans une forme d'information. La publicité s'adresse à un certain public (pour caricaturer ici : les amateurs de rugby plutôt que les footeux), dont je me sens proche ou non. Il me renseigne donc pour la capacité a priori du bien à me plaire en fonction de mes préférences (penser ici à la stratification sociale des sports, qui fait que quand une marque de prestige allemande va chercher un sportif, elle demande à Tiger Woods). Retour, à nouveau, au cas précédent ?
L'effet de signal
Il ne faut cependant pas charrier : quelle information m'apporte une publicité avec seulement le produit et une femme légèrement vétue ? Pas d'information directe, effectivement. Faisons cependant un pas en arrière : est-ce que le simple fait de faire de la publicité n'apporte pas une information ? Évidemment, oui, la publicité n'étant pas gratuite. L'entreprise qui fait des dépenses de pub espère que ces publicités lui rapporteront quelque chose. D'après ce qui précède, elle espère donc qu'une fois ayant appris l'existence et les caractéristiques de son bien, je préférerait l'acheter qu'acheter les produits de la concurrence ou d'autre produits. En d'autres termes (toujours en prenant un consommateur rationnel), elle pense que son produit est bon, et elle est prête à dépenser de l'argent pour le faire savoir. La publicité se ramène alors à un cas particulier des problèmes de signal, et on sait depuis Akerlof que la possibilité d'émettre des signaux améliore l'efficacité du marché dès lors que le coût de la publicité est inférieur à l'avantage qu'un bon produit donne à son fabricant (très grossièrement dit). Bref, on se ramène à nouveau au cas précédent.
Dès lors, le problème du publicitaire est simplement comment attirer l'œil de consommateur pour qu'il reçoive l'information qu'on veut lui transmettre (d'où la prolifération des images qui attirent instinctivement l'attention ou sont traditionnellement associée à des idées plaisante, ou à l'inverse qui suscitent la curiosité).
Comment séparer les deux conceptions ?
Comme je l'ai dit plus haut, il n'est pas évident de séparer les deux conceptions. On ne sait pas ce qui se passe dans la tête des individus, et donc difficile de savoir s'ils décident plus ou moins rationnellement sur les informations à leur dispositions (qui passent elles-mêmes dans une multitude de filtres). On aurait envie de faire des études randomisées proposant différents supports ayant la même information. Sauf qu'on sait que les enquêtes où les gens de mettent pas de ressources en jeu (par exemple celles reposant sur de simples déclarations « ça me donne plus envie d'acheter ») sont notoirement peu fiables. Pour ce que j'en sais d'ailleurs, les études d'impact de la publicité peuvent avoir une bonne méthodologie, mais sont réalisées en dépit de toutes les précautions nécessaires. Elles constituent ainsi une source de revenus d'appoint significative pour les étudiants, intermittents ou jeunes journalistes, qui savent que les institut effectuant ces études sont souvent peu regardants sur la correspondance entre les caractéristiques réelles des gens enquêtés et celles qu'imposeraient leurs quotas. J'imagine qu'il existe des études d'impact correctement faites, et j'aimerais en voir les résultats.
Donc, pollution ou pas pollution ?
Est-ce qu'en disant cela, on ne passe pas un peu à côté du problème, qui serait selon certain l'envahissement de l'espace public par les publicités ? C'est pour moi un problème différent. Dans l'immense majorité de la publicité par affiches, il s'agit d'espace alloué par la puissance publique elle-même, ou par ses mandataires. Dans la plupart des cas, je doute que le surcoût en termes de bruit informationnel soit supérieur aux recettes tirées de la vente des espaces en question (au sens : je doute que la plupart des gens accepteraient une augmentation de leur impôts correspondant à la baisse des ressources des collectivités concernées).
La problème commence à mon sens quand la publicité se fait sans contrepartie sur l'espace public (comme on le voit à l'entrée de certaines villes de province), ou que la faiblesse apparente de son coût conduit à surcharger l'espace disponible. Comme d'habitude cependant, les agents réagissent aux incitations. Ainsi, j'utilise une extension du navigateur Firefox qui efface la majorité des publicités (rendant Le Monde en peu moins illisible). Certes, la course aux armements entre les uns et les autres (penser au spam et aux antispam) ressemble à une course à l'échalotte où on investit des ressources qui seraient plus utiles ailleurs. Personnellement, j'ai tendance à mettre ça au débit de la relative nouveauté de l'informatique, qui fait qu'il y a encore des personnes que l'on peut duper à coups d'offres de Viagra ou d'offres de collaboration mirobolante. L'éducation à l'informatique devrait corriger le problème, même si l'apprentissage est de fait assez long.
Le problème est plus complexe quand on parle de la publicité dans son ensemble : est-elle aussi une course aux armements conduisant à dissiper des ressources ? Faute de connaître l'utilité apportée par l'information, c'est difficile d'y répondre. Sur ce point, je penche plutôt pour une position sceptique : il ne sert à rien d'interdire la publicité, c'est quelque chose qui revient par la fenêtre quand on la met à la porte. J'en veux pour preuve l'inventivité déployée pour contourner les interdictions ou mises en garde existantes (des cigarettiers qui faisaient de la publicités pour leurs alumettes à McDo brutalement transformé en défenseur de la diététique).
Publié le vendredi, mars 6 2009, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
samedi, mars 7 2009
02:04
L'analyse économique de la publicité daterait au moins des années 1930, en réponse notamment aux critiques qu'elle recevait déjà à l'époque (voir par exemple cette entrée intéressante : www.econlib.org/library/E... ) et les économistes, avec raison, y ont porté un intérêt en termes de bien-être (dont la question du monopole et des barrières à l'entrée), de (coûts de) recherche informationnelle et de prix, de qualité des produits et de structures de marché, pour reprendre le sommaire de ce gros volume dédié à l'économie de la publicité et édité par un spécialiste du sujet chez Edward Elgar (www.e-elgar-economics.com... ). Comme le rappelle l'entrée en question, les économistes ont généralement tendance à considérer que la publicité promeut la concurrence et réduit les coûts d'information. Bref, une analyse économique pondérée (pléonasme !) du phénomène devrait raisonnablement conduire un bénéfice net strictement positif pour nos sociétés capitalistes, non ?
— MoggioEn outre, comme nous sommes dans la catégorie "Économie de la culture" de ce blog, un argument positif de plus pour la publicité pourrait être qu'elle est un moyen (parmi d'autres) de financement (partiel ou entier) de la production et de la diffusion des biens (informationnels) collectifs que sont une grande quantité de contenus culturels (contenus audio, vidéo et texte), d'où notamment l'existence de nombreuses chaînes de télévision, de nombreuses stations de radio et de nombreux journaux et magazines. Et à mesure que ces contenus seront toujours plus numérisés et distribuables numériquement, il n'est pas impossible que le financement publicitaire par plates-formes multi-faces (comme disent les économistes) soit amené à se développer un peu plus dans les années à venir (hypothèse). Bien sûr, j'ai conscience que l'argument en question pourra être critiqué, notamment par certains paternalistes culturels pessimistes (qui savent, eux, ce que devraient "consommer" leurs concitoyens en matière culturelle) qui répondront que le financement publicitaire tire vers le bas le consommateur culturel en lui proposant des produits de basse qualité (plus petit dénominateur commun) et la citation de Le Lay pourra être alors ressortie. Comme il s'agit de goûts et de couleurs, et comme nous sommes sur un blog d'économie et que les économistes, traditionnellement, se refusent à faire des jugements de valeur sur les préférences des consommateurs, ni à les classer entre elles, il peut être délicat de chercher à répondre à la critique. On notera peut-être toutefois que, chaque jour, des millions de Français regardent TF1, écoutent NRJ et lisent 20 minutes dans les transports en commun, et qu'ils ont préféré faire cela plutôt que, notamment, regarder, écouter ou lire autre chose. S'ils ne sont pas trop éloignés du consommateur rationnel et informé des manuels de microéconomie, c'est que c'est ainsi qu'ils maximisent volontairement leur satisfaction ou leur utilité sous contraintes de ressources, non ? "Oui, mais ils sont mal informés ou mal instruits ou les deux, répondra le défenseur des biens sous tutelle, : ils ne connaissent pas (les bienfaits de) Arte, France Culture et Le Monde !" ... Bon, euh, désolé, j'arrête, il est tard, je me suis un peu lâché, pardon...
Merci pour ce billet.
dimanche, mars 8 2009
12:42
Le problème des "contenus culturels" que la publicité permet de diffuser (chaînes de télévision, stations de radio et nombreux journaux et magazines), c'est qu'ils ne sont en grande majorité qu'un moyen de vendre un public à des annonceurs. C'est donc inverser totalement la logique des moyens et des fins.
— DC"On notera peut-être toutefois que, chaque jour, des millions de Français regardent TF1, écoutent NRJ et lisent 20 minutes dans les transports en commun, et qu'ils ont préféré faire cela plutôt que, notamment, regarder, écouter ou lire autre chose" : tous les travaux sérieux sur la propagande (sociologique) expliquent très bien ce qu'il en est réellement de cette "préférence"...
dimanche, mars 8 2009
19:27
Il faudra un de ces jours que je lise et fasse une note de lecture du chapitre sur la publicité du Handbook of Industrial Organization. Je n'en ai malheureusement pas le temps maintenant.
Pour répondre un peu à DC : où est l'inversion des moyens et des fins ? Les médias, sauf ceux de service public, sont des entreprises, dont le but est de faire ce que leurs actionnaires en veulent. Les contenus que les médias en question proposent sont donc alignés sur ces fins, et tout le monde le sait ou devrait le savoir. La remarque de Moggio est donc assez pertinente, d'autant plus qu'il existe une forte asymétrie d'information entre les annonceurs et la plate-forme (le média en question), ce dernier étant censément beaucoup mieux informés sur les contenus intéressant son public.
Les travaux que j'ai lus en sociologie des médias me laissent assez dubitatif (ce que j'ai présenté ici doit faire le même effet à leurs auteurs). Je suis en effet toujours gêné par le portrait moutonnier et totalement passif que les travaux que j'ai lus faisaient des personnes exposées aux messages en question. Après, je n'ai peut-être pas eu accès à ce qu'il y a de meilleur dans la littérature en question. Pour être plus précis, ce que je trouve convaincant dans les résultats de l'analyse économique de la publicité, c'est qu'ils expliquent comment on peut influencer des agents parfaitement rationnels (donc avec une hypothèse très forte), alors que ce que j'ai lu en sociologie postulait assez largement la capacité d'influence qui était précisément à démontrer.
— Mathieu P.dimanche, mars 8 2009
19:39
@DC : Je prends la liberté de vous répondre car votre commentaire porte moins, je crois, sur le billet de Mathieu P. que sur mon modeste commentaire ultérieur. Je persiste à penser, peut-être naïvement, que la publicité est d'abord un moyen positif de financer chaque jour, partiellement ou totalement et sans prélèvement obligatoire, la production et la diffusion à une grande partie de la population mondiale de programmes audiovisuels (films, documentaires, programmes d'information au sens large, dessins animés, courts-métrages, séries télévisées, jeux télévisés, émissions musicales, etc.), d'émissions radiodiffusées, et de journaux et de magazines. Des contenus financés ainsi qui sont, pour le dire vite, offerts à prix "réduits" voire gratuitement au téléspectateur, à l'auditeur ou au lecteur. Qu'on puisse interpréter (de manière péjorative ?) ce type de financement comme étant d'abord un moyen (mauvais ?) de "vendre un public" plus ou moins captif à des annonceurs publicitaires (méprisables ?) ne change rien au fait qu'il correspond à un moyen apprécié par des millions voire des milliards d'individus de se divertir, de s'informer, de s'amuser, d'apprendre, etc. Il correspond aussi la réaction naturelle du marché face à l'existence de biens informationnels plus ou moins collectifs (désolé pour le jargon...) pour lesquels il peut être difficile de nier qu'il n'existe aucune demande volontaire et informée. Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris la seconde partie de votre commentaire mais je serais tenté de l'interpréter comme signifiant que cette demande serait, au moins en partie et d'après des travaux sérieux, la conséquence d'efforts de "propagande (sociologique)". Me voilà alors victime d'une forme de propagande que je ne connaissais pas car, je l'avoue, il m'arrive de regarder TF1 ou M6 (ou BFM TV ou I>Télé), d'écouter Radio Classique et de lire 20 minutes et Métro dans les transports en commun parisiens ! ;-) Plus sérieusement, s'il vous plaît, qu'est-ce que cette "propagande (sociologique)" -- à l'échelle mondiale, je présume -- et quels en sont les effets concrets sur les individus qui en sont victimes ? D'avance, merci pour vos éléments de réponse.
— Moggiolundi, mars 9 2009
02:13
Comme souvent, avec une hypothèse aussi forte que celle de la rationalité standard, on se crée des problèmes scientifiques de toute pièce. Ici le problème est : les entreprises dépensent des ressources importantes en publicité, pour agir sur les préférences d'un individu rationnel, dont on a pourtant postulé qu'elles étaient relativement stables dans le temps et non modifiables. La résolution est simple : la pub ne transforme pas les préférences, elle fournit des informations. Une bonne information favorise la transparence du marché, diminue les asymétries, etc. et peut donc s'inscrire dans le cadre de la rationalité d'une firme (tout en étant favorable au fonctionnement du marché).
— stagellLe lecteur sceptique n'en ressent pas moins comme un malaise : celui d'être face à une belle construction logique, mais qui laisse échapper le monde réel, pour résoudre académiquement des problèmes académiques. En particulier, pour rester dans un registre économique : le but de beaucoup de pub (notamment pour les biens de luxe) semble être précisément de rompre l'homogénéité des produits, en les différenciant (artificiellement), et d'instaurer ainsi des formes de concurrence monopolistique. Certaines de ces campagnes publicitaires semblent avoir, de ce point de vue, du succès.
Par ailleurs, un élément a comme été perdu avec le rejet de perspectives hétérodoxes à la Galbraith (filière inversée) : la publicité participe de la production du désir d'objet, nécessaire à la croissance continue de la consommation. Il y a plus que des actes de cognition dans la publicité, il y a aussi de l'émotionnel (sinon, pourquoi y aurait-il donc des filles à poil ?). C'est une autre dimension que laisse entièrement échapper une perspective standard : elle en rejette jusqu'à la pertinence.
PS : les sociologues ont, il me semble, un regard également sceptique sur la publicité, depuis les travaux de Lazarsfeld. Plus précisément, ils postulent que le message n'agit pas comme une seringue hypodermique, que l'on injecte sans filtre dans un cerveau. Tout leur travail consiste précisément à comprendre comment se transmet cette influence, à travers quel biais socio-cognitifs (l'attention à éclipse de Hoggard) et sociaux (le two step de Lazarsfeld).
lundi, mars 9 2009
08:43
Merci pour l'article et les commentaires! Pour rester dans le registre de l'académisme académique, ne pourrait-on pas dire que la publicité représente une perte sèche énorme pour la société? Si l'on retire toute la pub informationnelle pour ne garder que celle de branding (càd les pubs qui jouent sur l'émotion et les marques plutôt que sur les produits), on pourrait dire que la boîte A ne fait de la pub que parce que B en fait. Si A veut rester présent dans l'esprit des consommateurs, il doit au moins égaler B en dépenses marketing. En moulinant tout ça avec un peu de théorie des jeux, on voit qu'une grosse part de la pub n'est qu'une surenchère, dépassant de loin toute visée informationnelle.
— nicolas.Et pour retourner dans le monde réel, je pense pas qu'on puisse défendre la publicité en lui offrant le rôle de financeur des produits culturels. Pour chaque dollar payé par la pub dans l'industrie culturelle US, le consommateur en paye 7. Là encore, les problèmes engendrés par la pub (pénurie d'info due à l'autocensure des journalistes, par exemple), sont peut-être plus grands que les bénéfices qu'elle crée.
lundi, mars 9 2009
09:19
@Moggio : les commentaires suivants ont finalement prolongé utilement mes propos sans doute trop succincts.
— DCLe concept de "propagande sociologique" est dû à Jacques Ellul dans son ouvrage fondamental publié en 1962 intitulé "Propagandes". Il désigne par là le mouvement de fond, propre aux sociétés contemporaines, qui cherche à intégrer les individus dans la société en leur faisant intégrer un certain nombre de modèles de comportement. La publicité est, dans ce domaine, un agent puissant et, ce qui est fondamental, pensé comme tel. Voir les travaux de Lippman et Bernays par exemple (notamment dans les années 20 aux Etats-Unis).
@ Mathieu P. : si tu souhaites éclairer ta lanterne sur cette question des "influences" et sur le mythe (commode et rassurant) que constitue l'image de l'homme comme '"individu rationnel", je te conseille de te tourner vers les travaux de la psychologie sociale (Jean-Léon Beauvois par exemple pour ce qui est du domaine francophone).
lundi, mars 9 2009
10:03
Bon, j'aurais dû me douter qu'un sujet comme celui-là allait susciter une vague de commentaires sur la base de « dans la vraie vie ». On est là dans un des domaines où l'économie appuie là où ça fait mal : un point où il y a beaucoup d'idées reçues, un méchant commodément désigné, et un consensus mou sur des explications qui, quand on gratte un peu, n'expliquent pas grand'chose. J'invite donc mes commentateurs à faire attention à ne pas sauter trop vite sur leur clavier et à faire attention à ma remarque liminaire : que penser quand un même phénomène peut être expliqué de deux manière différentes, et qu'il est difficile de trancher en faveur de l'une ou de l'autre ? Le fait que l'une satisfasse plus le sens commun (et, disons-le, une certaine satisfaction de penser qu'on est plus malin que les pauvres gens que la publicité enduit d'erreur) ne me paraît pas un argument suffisant.
— Mathieu P.lundi, mars 9 2009
11:26
D'apres ce rapport les depenses publicitaires directes sont faibles par rapport au PIB (0.5-1%) :
— Laurent GUERBYwww.senat.fr/rap/r04-413/...
Par contre dans certains secteurs :
www.forum-auto.com/automo...
Et si on compare a la recherche pour l'industrie pharmaceutique certains disent que pour 1 euro en recherche il y a 2 euros en marketing, un effet pervers du systeme de propriété intellectuelle actuel :
medicine.plosjournals.org...
lundi, mars 9 2009
14:08
Il est toujours possible de tout décrire dans un langage de description donné, comme celui de la théorie du consommateur rationnel. Ainsi, il est possible de dire que certains biens sont positionnels, et que la publicité informe sur leur nature. Et l'on peut croire ainsi avoir décrit, et même expliqué le monde réel, à la façon dont Tsycho Brahé a, en introduisant quelques subtilités de vocabulaire, sauvé en apparence le système de Ptolémée. Le problème est qu'il y a toujours un Copernic pour dire que tout cela relève de la tautologie lexicale. Des biens sont ostentatoires. La pub vise à faire croire (et non à informer) qu'ils ont cette propriété. Elle y parvient parfois : c'est une description infiniment plus brève, supportant le rasoir d'Occam, et bien plus satisfaisante. Elle a juste un défaut : ne pas être en accord avec une hypothèse forte, dotée d'un caractère presque sacré, celle de la rationalité de l'acteur (ou de la centralité de la terre).
— StagellL'économie néo-classique ne brise aucun lieu commun, et c'est obtenir à bon compte une satisfaction symbolique (et positionnelle...) que de le croire. Recourir à l'économie hétérodoxe, ou à la sociologie, c'est au contraire ne pas vouloir nier l'évidence, à savoir le caractère persuasif de la publicité, mais s'efforcer d'en comprendre les limites (qui sont infiniment plus grande que ne le suppose le sens commun) et les mécanismes précis. Cette attitude intellectuelle a un immense avantage : elle nous apprend des choses sur le monde réel, non sur une tentative scolastique de sauver scolastiquement une fragile entreprise académique.
lundi, mars 9 2009
14:52
@Mathieu P.
— nicolas.Sur la théorie des jeux appliquée au marketing, faudrait que je retrouve la démonstration que m'avait fait un prof d'éco... dès que j'ai le temps :)
En revanche, je suis d'accord avec vous sur le besoin de sortir du référentiel US. Présupposer que le consommateur est capable de comprendre l'autocensure, c'est déjà se placer dans un marché très mature, niveau média. Dans des pays nouvellement capitalistes, j'ai vu des gens incapables de faire la différence entre la publicité et l'éditorial. Imaginez leur tête si vous leur parlez d'autocensure.
Quand à la perte sociale qu'elle engendre, voici un petit exemple du Monténégro, où j'étais la semaine dernière. Là bas, un gros opérateur de télécommunication allemand, aux couleurs roses, a racheté l'opérateur historique, s'emparant de toute l'infrastructure et refusant aujourd'hui de dégrouper les clients. En gros, il se comporte en monopoleur. Problème: les telco sont quasiment les seuls annonceurs du marché. Dénoncer le plus gros d'entre eux, c'est s'exposer à une perte significative des revenus et ce, quel que soit le média concerné.
D'accord, c'est une situation particulière, typique des petits marchés. Mais affirmer que les lecteurs cessent d'acheter un journal lorsqu'ils y voient de l'autocensure, c'est se tromper sur les motivations des consommateurs. La raison numéro 1 pour l'achat d'un quotidien national, dans la plupart des pays (en France c'est différent), c'est les résultats sportifs. La raison numéro 2 doit être les annonces d'emploi. Dans ces conditions, l'autocensure des journalistes d'investigation passe complètement au second plan.
lundi, mars 9 2009
17:31
@Mathieu P. (je cite : "pourquoi la publicité est-elle efficace alors que les gens auxquels elle s'adresse sont conscients de ses propriétés ? Comment se fait-ils que les rendements de la publicité n'aient pas décru rapidement dès lors que les gens se sont rendus compte qu'on essayait, selon vous, de les manipuler ?")
— DCLa majorité de la population ne se pose pas ce genre de question, et donc n'y répond pas pour elle-même (il n'y a donc ni "conscience" ni même début de "paranoïa"). Il n'y a qu'à voir la difficulté qu'ont les anti-pubs à se faire comprendre du quidam (qui justement "se sent parfaitement libre dans ses choix").
lundi, mars 9 2009
23:00
@Mathieu P.
— PierreJetez un oeil aux travaux de Beauvois (en fait de l'économie expérimentale/comportementale pour vous). Vous verrez que les gens ne sont pas si rationnels que ça...
J'ai pas trop envie de vous contredire (même si je ne suis pas d'accord du tout avec vous, je pense par exemple que le phénomène de surcharge informationnelle n'est pas négligeable - le cerveau consomme une bonne part de notre ration de calorie - , que l'inconscient est une hypothèse qui est assez bien étayée - l'hypnose - etc) même si votre billet a un parti pris évident ("je pense", "à mon sens", "il ne sert à rien d'interdire" etc).
Mais vous avez le temps...
mardi, mars 10 2009
08:58
@Mathieu P. (je cite : "Et si l'erreur de raisonnement était dans le fait de penser que le quidam n'est pas effectivement libre ? ")
— DCS'il y a bien un acquis de la science au vingtième siècle c'est bien celui concernant les mécanismes psychologiques des êtres humains. C'est-à-dire qu'on n'est plus au stade des hypothèses (ou des raisonnements) mais du factuel (expérimental et vérifié).
Quand je parlais des anti-pubs c'était uniquement pour donner un exemple de la façon dont l'idée "je suis libre dans mes choix" fait partie de l'équipement mental de base de l'individu contemporain et souligner combien soumettre cette proposition à (libre) examen lui est particulièrement pénible (rien à voir donc avec la mise en cause d'hypothétiques capacités intellectuelles de nos contemporains).
mardi, mars 10 2009
10:18
Personnellement, j'ai toujours eu un peu de mal avec cette vision de la publicité. Non pas parce que je critique la rationnalité mais parce que cette explication s'oppose tellement au sens commun que j'avais du mal à y croire.
— ThomasMais ce post m'a fait réfléchir et m'a plutôt convaincu.
Beaucoup de gens voyant la publicité comme quelque chose qui déforme les préférences le pensent car ils y sont tout le temps exposé. Il est assez facile d'imaginer que l'information qu'elle transmet est connaissance commune quand on y a constamment accès.
Je pense vivre assez isolé de la publicité (pas de télé, pas de radio, par exemple). Du coup, je n'ai aucune idée du nom des derniers films ou dernières innovation sur les biens de consommations courantes (la dernière pastille de lessive 10 en 1 par exemple). Pour caricaturer, Coca pourrait avoir sorti une boisson au goût de rose que je ne le saurais même pas!
Bon ça reste un cas personnel mais qui a le mérite de voir le problème d'un point de vue "extérieur".
mercredi, mars 11 2009
08:20
@Mathieu P. : les anti-pubs considèrent (dans leur immense majorité) qu'il n'est pas possible de se défendre contre la pub (ce que confirment les études menées à ce sujet). C'est bien pourquoi ils militent pour sa limitation drastique dans l'espace public. Car c'est bien dans ce dernier cas que personne ne peut faire le choix conscient d'éviter la publicité (alors qu'on peut décider volontairement de ne pas écouter la radio et ne pas regarder la télévision chez soi par exemple - voir le commentaire précédent).
— DCdimanche, mars 15 2009
13:02
J'ai lu vendredi soir en rentrant du boulot un petit texte du sociologue français Raymond Boudon publié en avril 2008 dans la Revue des Deux Mondes au sujet de ce qu'il appelle l'"exception antilibérale française". Je ne sais pas trop pourquoi mais, au cours de ma lecture, j'ai été conduit à rapprocher un passage de l'article (bas de la page 124) à ce billet et aux commentaires qui l'ont suivis. Le voici : "Les libéraux voient l'être humain comme autonome, les antilibéraux comme hétéronome et manipulable. Les premiers veulent qu'on fasse confiance à son bon sens. Les seconds qu'on s'en défie et en appellent à ceux qui sont supposés savoir."
— Moggio