On me demande en effet de réfléchir sur ce que sera la France dans quinze ans. Ayant chez moi certains numéros de revues du type Science et vie se livrant à cet exercice et datant du début des années 1990, je vois à quel point c'est l'occasion pour les auteurs d'être ridicules une fois l'échéance arrivée. Il y a de bonnes raisons à cela, d'ailleurs : qui a une idée claire de ce que sera tel secteur économique dans quinze ans a tout intérêt à développer directement ses idées innovantes plutôt que d'en parler aux quatre vents. Si personne n'est preneur pour les idées en question, c'est probablement qu'elles ne sont pas si bonnes que ça (statistiquement : inutile de me citer des contre-exemples de génies méconnus). Il y a donc un biais de sélection qui fait que les idées qu'on trouve dans ce genre d'exercices ne sont pas forcément les meilleures en termes de technologie. La réflexion sur la politique, la société ou la démographie en revanche se prêtent sans doute bien mieux à ce type d'exercice.

Or, qu'ai-je à dire ? Je peux parler d'économie de la culture avec une relative compétence. Cependant, non seulement le champ d'études lui-même est récent, mais en plus l'évolution technologique produit des modifications profondes de la production des œuvres culturelles. Je ne me sens pas capable de prédire ce que cela pourrait donner dans quinze ans. Il y a certes une grande permanence dans les processus créatifs, et l'ouverture à des contenus nouveaux reste un processus assez lent. Ce sont les modes de diffusion qui changent. Pour avoir une idée de l'organisation du secteur culturel à cette échéance, il faudrait avoir une idée claire sur :

  • Le résultat net entre les tendances centrifuges dues aux technologies de réseau (qui n'impliquent plus la présence physique) et les tendances centripètes liées à la hausse des coûts de transport (via l'augmentation du prix de l'énergie). Selon l'effet dominant, on peut assister à une marginalisation ou à un retour en force du spectacle vivant.
  • Le résultat du jeu de pouvoir entre les fournisseurs de contenu (éditeurs, majors), les fournisseurs d'accès (entreprises de télécommunications) et les opérateurs de plates-formes (ordinateurs, téléphones et leurs systèmes d'exploitation). Selon qui tient la position dominante et le type de coalition qui se crée, on peut aboutir à un flux important de contenus et à des mécanismes de redistribution indirecte de la rente aux créateurs, ou au contraire à un verrouillage légal et matériel très fort des contenus.
  • Le type même d'outils technologiques utilisés : très ouverts (mini-PC, souvent vendus avec des OS libres) ou au contraire très fermés (iPhone), ce qui rejoint le point précédent. Le type de consommation ne sera pas non plus le même selon que dominent des terminaux de très petite taille (du type iPhone), avec un écran et des capacités réduites, ou au contraire des terminaux du type mini-PC, plus interactifs, ou encore des tablettes tactiles réduites à la taille et à l'épaisseur d'un magazine. L'interactivité, la finesse et le mélange entre texte, audio et vidéo n'est pas du tout le même dans chaque cas.

Autant dire que des scénarii très divergents sont à l'heure actuelle envisageable. Plutôt que de dire des bêtises, je préfère donc pour l'instant passer mon tour au jeu de la prospective en ce domaine.

Je pourrais également parler d'enseignement supérieur. Si les durées d'évolution y sont encore plus longues, la rédaction du précédent billet m'a fait prendre conscience que je risquais surtout de prendre mes désirs pour des réalités. Là encore, ce n'est pas l'exercice demandé.

Bref, je passe, et laisse à d'autres la tâche délicate de faire des prévisions sur ce que sera la France dans quinze ans.