Les deux premières contributions au blog en témoignent d'ailleurs : du format d'un article de revue, ils sont un peu longs pour un blog, et manquent à mon sens de la spontanéité et de la liberté de ton qui est un peu la norme de l'exercice. Bon, mon avis est sans doute d'autant plus biaisé que je me sens, sur la base de ma faible expérience de l'enseignement, assez nettement en désaccord sur le texte d'André Cartapanis sur la professionnalisation de l'université.
Ce que je comprends de la base de ce billet est que la vocation de l'Université est (je cite),
de former ce qu’on appelle encore des cadres supérieurs ou des responsables, sur la base d’une formation générale de haut niveau, combinant des apprentissages méthodologiques et des approfondissements disciplinaires, ce qui justifie d’ailleurs la connexion entre recherche et enseignement, la méthode scientifique étant considérée comme la meilleure des pédagogies.
Pour ce faire, il s'agit de
s’appuyer sur l’acquisition de connaissances génériques, de compétences et d’aptitudes comportementales, beaucoup plus que sur la maîtrise de techniques finalisées ou la réalisation de stages d’application, quelles que soient les disciplines
Face à mon TD d'étudiants de première année en économie, j'ai comme un doute. Ils sont trente. Combien d'entre eux seront cadres (je ne parle même pas de cadre supérieurs) ? Sans doute moins d'une dizaine. Combien seront cadres supérieurs ? Les doigts d'une main suffisent. Que faire, alors, des 25 autres ? N'ont-ils pas vocation aux aussi à être à l'Université ? C'est une position qu'on peut défendre, mais le fait est que d'une part ils sont là, et que d'autre part on ne peut pas faire comme s'ils n'existaient pas.
Mon doute se redouble quand je lis ceci, avec des étudiants qui, après un premier cycle en économie, accèdent à une école d'ingénieurs, et se retrouvent fort marris qu'on leur demande de calculer une intégrale. J'ai bien l'impression qu'à vouloir mettre l'accent sur les « aptitudes comportementales » (le fameux apprendre à apprendre) au détriment de maîtrises techniques, on n'obtienne ni l'un (des étudiants qui ont un rapport purement utilitariste aux enseignements, faute de voir en quoi cela peut leur servir quand ils auront un emploi dans la Vraie Vie), ni l'autre (les contenus sont oubliés aussitôt passée l'épreuve associée). Cela d'autant plus que, si dans d'autres pays, la polyvalence et l'ouverture dans la formation sont valorisés, les employeurs français (publics autant que privés) attendent précisément d'un candidat des compétences pointues sur le domaine. On peut le regretter, et remarquer qu'on se prive ainsi de candidats dont le principal talent est la capacité à acquérir rapidement de nouvelles méthodes, mais c'est un fait avec lequel il faut compter pour tous les étudiants qui ne dépasseront pas le niveau L.
André Cartapanis met à juste titre l'accent sur le côté très formateur des séminaires de recherche et sur les listes de lecture copieuses, qui ont au moins le mérite de montrer aux étudiants que les premières années d'Université ne sont pas des vacances entre le lycée et l'insertion professionnelle. Certes, mais d'une part cela n'est utile que pour les publics se dirigeant vers un cursus long (et répétons-le, ce n'est pas le cas général à l'Université, loin s'en faut), et d'autre part demande un taux d'encadrement sans commune mesure avec celui qui existe actuellement (sans parler des incitations des enseignants à participer à ce type, très chronophage, d'enseignement).
Il faut dire qu'il propose ensuite, de manière cohérente avec son propos, de purement et simplement confier aux IUT et aux BTS toutes les formations courtes (jusqu'à la Licence pro). Ce n'est probablement pas une mauvaise idée, tant la limitation des places dans ces formations génère un flux d'étudiants qui vont à la fac par défaut. Mais je n'arrive pas à réconcilier cette idée avec l'absence d'une réduction drastique du périmètre des Universités : les étudiants qui entrent en première année en pensant qu'ils vont faire un cursus long et en ayant les acquis pour se faire sont peu nombreux. Alors évidemment, on peu vouloir faire que cette Université, débarrassée du fardeau de la massification sur les IUT et BTS, absorbe les CPGE et les Écoles d'ingénieur pour ressembler à autre chose qu'une armée mexicaine. Soit, mais j'ai un peu l'impression qu'il s'agit là d'évacuer le problème sur des structures qui non seulement sont dévalorisées par l'Université (dans certaines disciplines, prendre un poste en IUT est infamant au point de signifier qu'on renonce à candidater après à un poste universitaire standard), mais encore n'ont certainement pas la capacité de voir arriver la masse d'étudiants qu'il s'agirait de leur transférer.
Bref, je reste très peu convaincu par ce texte, qui met l'accent sur les seules formations M comme vocation de l'Université, au détriment de la masse des étudiants qui y sont réellement. Or, ce que je vois là me pose de nombreuses questions. pour n'en donner qu'un exemple, j'ai participé dans mon université à une réunion sur la définition des enseignements en économétrie sur l'ensemble du niveau L. À la lecture des programmes, un étudiants qui aurait appris ce qu'on attend de lui serait au même niveau qu'un étudiant de deuxième année de l'ENSAE (donc de niveau M1 dans une école dont l'économétrie est la spécialité). Bien évidemment, ce n'est pas le cas. C'est cet écart immense entre l'ambition, légitime, des programmes et ce qui est effectivement retenu par les étudiants en termes de compétences spécifiques qui me semble fonder en partie le problème de légitimité de l'enseignement supérieur français.
6 réactions
1 De Gizmo - 21/10/2008, 22:22
Mathieu, ce serait bien que vous mettiez un lien avec ce billet, en commentaire du billet de Cartapanis. Ce dernier ne connaît pas forcément votre blog, mais il sera probablement intéressé à lire votre réaction. Je pense que sur le fond, il raisonne comme moi, à partir d'un monde idéal où les directeurs d'iut sélectionneraient, non les meilleurs étudiants (ie. des bacs généralistes avec mentions), mais des étudiants ayant vocation à être des techniciens (et non des cadres). Il n'y a rien de honteux à celà : il est du devoir des pédagogues d'orienter les étudiants qui ont des aptitudes à suivre des filières longues vers ces filières longues, et d'orienter les étudiants qui n'ont pas ces aptitudes vers les filières courtes. Si vous aviez des étudiants qui sont actuellement en iut, car "on" leur a dit que la formation était mieux encadrée, et qu'ils pourraient ensuite raccorder les études longues "si ça marche bien", vous seriez plus motivé, et la Nation y perdrait moins : faire faire des études de technicien à un étudiant qui a le potentiel pour faire des études longues (d'ingénieur, de cadre) est un gâchis social aussi grand que le symétrique : engager dans des études universitaires un étudiant qui n'en a pas la capacité. Il n'y aurait donc pas une "réduction du périmètre des universités", mais une meilleure allocation des étudiants. Le problème est qu'on marche sur la tête : on sélectionne pour des filières courtes de techniciens, mais on engrange du tout venant (non nécessairement motivé, ni formaté pour) pour des filières longues de cadres / ingénieurs. Oui, l'Université a vocation à former des cadres ; l'université ne peut se concevoir qu'au niveau M. Une université qui ne formerait que jusqu'au niveau L s'appelle un collège universitaire, dans lequel la recherche universitaire a peu sa place. Mais Mathieu, peut être que votre appartenance à un grand aboratoire parisien vous fait perdre de vue cette évidence.
2 De Mathieu P. - 22/10/2008, 10:18
Pour le lien, je crois que je vais m'abstenir. Ma liberté de ton sur ce blog m'ayant déjà valu des déboires, je préfère éviter d'aller chercher les ennuis : tout le monde n'est pas prêt à jouer le jeu du blog, et je sais d'expérience que certains prennent mal de voir leur parole discutée par un doctorant. Ce blog a par ailleurs suffisamment peu d'exposition pour que celui qui y vienne ne se fasse pas trop d'illusions sur la portée de ce que je peux dire.
Sur le fond, je crois que mon biais est à l'inverse de celui que vous suggérez. En effet, je n'enseigne pas à l'École d'économie de Paris, mais à Paris 1, et je n'ai jamais donné de TD (ne parlons même pas de cours) au-delà du L2 (en filière AES, en Économie, je n'ai pas dépassé le L1). Pour avoir chaque année posée la question à mes TD, je suis bien conscient que la plupart sont là par défaut (tant en Éco-gestion qu'en AES), faute d'avoir obtenu une place en IUT ou BTS. Donc oui, il y a effectivement un gros problème d'allocation à la fin du lycée, qui conduit les élèves les mieux préparés aux supérieurs à aller dans les filières courtes (qui ne leur sont pas destinées) et les moins bien préparés à l'Université (qui ne leur est pas plus destiné que les IUT aux autres).
Une fois le problème posé en ces termes, je m'interroge sur le pourquoi de la chose. Pour moi, deux éléments guident les lycéens qui marchent bien vers les IUT ou les BTS : d'une part, une plus grande probabilité d'obtenir un emploi après deux ou trois ans. Venant d'un lycée de province pas particulièrement favorisé, je mesure toute la puissance de ce raisonnement : parmi mes camarades, la plupart ne pensaient pas que leurs parents pourraient assumer les frais d'une scolarité dans le supérieur plus de deux ou trois ans, ce qui les obligeait à considérer en priorité les filières courtes. Pour ma part, sans une bourse au mérite et ensuite mon statut de normalien, mes études auraient représenté une charge financière considérable pour mes parents. Je n'aurais probablement pas poussé au-delà d'un M2 ou M1+concours.
Outre la contrainte financière et les débouchés à court terme, je crois qu'un facteur important de succès des filières techniques est précisément qu'elles sont sélectives. On ne peut donc pas vouloir leur transférer les étudiants dont elles n'ont pas voulu, et espérer que ces derniers réussissent aussi bien que les premiers. À rebours, les échos que j'ai dans le domaine de l'informatique est que les étudiants sortant d'IUT ont un niveau qui leur permet de ne pratiquement rien faire en licence, et peu d'effort à faire en maîtrise, alors que leurs camarades luttent. Pourquoi ? Précisément parce qu'on est dans un domaine où une vraie compétence technique est indispensable (voit chez l'Énervé pour la même chose dans le domaine de la conception de digues et de barrages), et que les premiers cycles universitaires peinent à transmettre cette
(pour reprendre les termes de l'article initial) sans laquelle il est vain de penser former un ingénieur ou un cadre à la hauteur de sa tâche.Je mesure bien la difficulté de l'exercice : depuis le début de mon monitorat, j'ai encadré, avec beaucoup d'intérêt, les « Projets tutorés », un cours sans TD orienté précisément sur l'acquisition d'outils et de méthodes de travail précises (analyse et présentation de données, calcul d'un coefficient de Gini et d'une courbe de concentration, analyse de textes), ce qui se révèle très, très difficile face à des étudiants qui veulent essentiellement avoir la moyenne à l'examen sans s'interroger sur les contenus qui leurs sont transmis.
Maintenant, peut-on dès la sortie du lycée savoir quels étudiants ont vocation à être des techniciens et quels étudiants ont vocation à faire des études longues ? Dans certains domaines (informatique, ingéniérie), la question ne se pose pas : la maîtrise de la technique est un passage obligé, la technique en question se présentant sous la forme de systèmes complexes d'équations ou de connaissances de principes et de langages de programmation. Dans d'autres (les humanités classiques : histoire, littérature, philosophie), c'est nettement plus clair, le problème essentiel n'étant pas la perte de bons étudiants vers les BTS et les IUT (je laisse de côté les prépas, qui dans ces domaines reviennent de toutes manières à l'Université), mais le manque de place dans ses structures. Dans le domaine des sciences sociales, dont l'économie, je peine à avoir une idée claire sur la question. Où sont les bons étudiants partis en formations courtes qui viendraient faire de l'économie à l'université ? Sont-ils si nombreux ? J'avoue que je n'en sais rien. Les études en économie souffrent à mon sens d'un manque de visibilité de leurs débouchés, et mes visites au centre d'orientation de mon université ne m'ont pas franchement éclairé sur ce point (le travail effectué par le SODIP est bon, c'est moi qui n'arrive pas à bien saisir l'ampleur et la pertinence des débouchés effectifs).
Nous sommes donc d'accord sur un point, celui qu'il devrait exister des établissements d'enseignement supérieur spécialisés dans les filières courtes, et d'autres dans les filières longues. Pour ma part, et pour le peu que vaut mon avis en la matière, je ne pense pas qu'il soit possible de transformer les IUT et BTS pour remplir le rôle des premiers, tant le caractère sélectif de ces formations fonde à mes yeux leur succès. C'est donc une transformation radicale de ces derniers qu'il faudrait proposer, ce qui revient de fait à créer des collèges universitaires. Naturellement, et j'en suis conscient, la création de tels établissements signifierait l'existence d'enseignants du supérieur faisant peu ou pas de recherche. De fait, à Paris 1, de tels enseignants existent déjà de fait, qui consacrent un temps et une énergie considérable à faire tourner les premiers cycles, pour bien peu de reconnaissance. Dans les matières à agrégation du secondaire, il existe en outre un vivier d'enseignants largement sur-qualifiés pour les enseignements qu'ils donnent. Mécaniquement, cela signifie, il me semble, une diminution du nombre d'enseignants-chercheurs dans ce qui reste des universités, très sélectives et tournées vers les formation M et D. C'est ce que j'entendais par « réduction du périmètre ». Notez que je ne m'exclus pas de cette réduction : mon appartenance à un grand labo ne signifie en rien que je ne fasse pas partie de ceux qu'une allocation optimale des ressources conduirait à faire beaucoup d'enseignement et peu de recherche.
3 De éconcolaste-stéphane - 23/10/2008, 21:28
Sur les BTS-IUT-licences pro : de toute façon, il ne faut pas attendre la moindre cohérence. DUT et BTS sont une aberration au jour d'aujourd'hui dans le LMD, conservés pour satisfaire les demandes des représentants du patronat (source : mon ex IPR, même pas sous couvert d'anonymat), qui ont plébiscité à l'époque de la réforme le caractère opérationnel de ces diplômes. Et peu payés ? Allons, allons...
Sur les CPGE, y a problème : à brève échéance, il y faut des agrégés du secondaire, des mecs capables de tenir une classe, d'aller au turbin et disposant d'une solide culture générale dans leur domaine. Tout sauf ce que la majorité des universitaires potentiellement intéressés par une telle tâche ont. Or, faire monter les agrégés profs de prépa à la fac n'est pas gagné d'avance. Y a qu'à voir l'image des PRAG. En un mot : agrégé au lycée, t'es en haut de l'échelle ; agrégé en fac, t'es en bas...
Et pour le coup, de toute façon, quand tu vois qu'il n'est pas possible de réformer le bac, imagine un tel bazar... En revanche, je vois bien du transfert de licence pro en lycée. En IUT, c'est déjà largement le cas, non ?
4 De Mathieu P. - 23/10/2008, 23:29
Effectivement, je tombe dans le travers qui me gêne le plus dans le texte d'origine, raisonner à vide sans prendre assez en compte la difficulté à changer, ne fût-ce qu'à la marge, le système existant.
Je ne comprends pas bien la dernière phrase...
5 De plm - 26/10/2008, 09:02
Je pense comme Gizmo : "Mathieu, ce serait bien que vous mettiez un lien avec ce billet, en commentaire du billet de Cartapanis". J'ai souhaité l'ouverture de ce blog de l'AFSE pour préparer les entretiens du 21 novembre à Lyon dans le cadre des Journées de l'économie (www.journeeseconomie.org/) afin que chacun puisse faire part de son expérience, de ses idées sur ce que l'on pourrait changer. La liberté de ton est une composante essentielle de cet exercice et c'est l'occasion pour l'AFSE d'entendre ce que chacun pense de l'enseignement de l'économie dans le supérieur. Le temps presse, il ne reste que trois semaines avant les entretiens, c'est le moment de nourrir la réflexion sur ce blog de l'AFSE.
6 De Mathieu P. - 26/10/2008, 12:26
Je suis désolé, mais je vais vous faire la même réponse qu'à Gizmo ou qu'à Alexandre : je n'ai guère envie de tirer le premier (l'article original n'a pour l'instant aucun commentaire), surtout dans un domaine où :