Enseignement de l'économie : la saga continue
Une tribune de plus dans Les Échos par Hélène Rey, et la question de l'enseignement de l'économie en France est relancée. Étienne Wasmer applaudit des deux mains, tandis qu'OBO et Gizmo fulminent. Pour ma part, je partage assez la lassitude de SM . Non pas que la question soit inintéressante, mais parce que rien de tout cela ne fait avancer la situation, essentiellement parce que le problème est très mal posé.
Les Français et l'économie
Il faut se souvenir que le débat part, à l'origine, de l'idée que les Français ont une mauvaise image de l'économie de marché en général, et de l'entreprise en particulier. Bien qu'il faille nuancer cette idée, la défiance à l'égard des mécanismes de marché en France est inscrite profondément dans un paysage politique qui oppose colbertistes-corporatistes et étatistes-planificateurs, sans qu'une formation significative aient des positions authentiquement libérales en matière d'économie.
Cela ne signifie pas que les Français soient particulièrement mauvais en économie : les comparaisons internationales, avec les États-Unis par exemple, montrent que les vieilles lunes protectionnistes et la crainte du chinois mondialisé avec le Yuan entre les dents n'est pas propre à la France. Il n'empêche que je me demande comment on peut en arriver à une situation où je pense pouvoir dire sans me tromper qu'une part significative de la population imagine que la fortune d'un Bolloré prend la forme de lingots d'or entreposés dans un coffre en Suisse, ou que les milliards perdus par la Société Générale sont issus des bénéfices faits sur l'activité de banque de dépôt.
Les deux paragraphes précédents vous semblent-ils cohérents l'un avec l'autre ? Pourtant, il s'agit à mon sens de deux problèmes différents.
Dans le premier cas, il s'agit de la formation des élites politiques et économiques, qui ne reçoivent que rarement un enseignement de l'économie un minimum rigoureux et à jour. Oui, il existe des cours d'économie, parfois de très bonne tenue, à Sciences-Po, à HÉC ou à l'ÉNA. Mais par quel partie des promotions sont-ils suivis ? Ont-ils l'influence nécessaire pour contrebalancer le discours tenu dans les autres cours ? J'en doute. Je doute surtout que la forme d'esprit encouragée par ces formations permettre d'appréhender convenablement les problèmes économiques. On pourrait en dire tout autant sur la formation des journalistes, qui en plus d'être légère sur ce thème, se compose pour une partie de la profession par l'habitude prise de ne plus vérifier les informations, ce qui nous vaut régulièrement des énormités (l'autre jour, une différence entre le PIB français et de PIB Britannique de l'ordre d'une soixantaine de millions d'euros) dans les colonnes d'un quotidien vespéral de référence.
Dans le second cas, il s'agit de la formation en économie dispensée dans le secondaire.
Enseignement de l'économie dans le secondaire
Notez que je n'ai pas parlé de la filière SES ici, parce qu'effectivement, moins d'un tiers d'une génération est exposé à cet enseignement, et les dérives qui y existent (manuels idéologiques, enseignants biaisant leur enseignement) ne sont d'une part pas propres à la filière (demandez aux enseignants d'histoire, et j'ai même vu ce type de querelles entre enseignants de mathématiques), et d'autre part relèvent d'un problème d'évaluation des enseignants et pas de contenu des programmes.
Ceci étant dit, il faut à mon sens se demander où la majorité des collégiens et lycéens reçoivent leur introduction à l'économie. Pour enfoncer une porte ouverte, je commence par rappeler que cela se fait d'abord à la maison, par exposition aux médias et aux discussions de famille. Voir pour cela le paragraphe ci-dessus. L'effet famille peut jouer un rôle important. En effet, les parents des lycéens actuels sont nés il y a quarante à cinquante ans. Quelles sont leurs représentations de l'histoire économique de la France ? Une ère de prospérité et de planification, les Trente Glorieuses, suivie par trente ans de croissance molle et de libéralisation. De là à penser que la planification était le ressort de la prospérité et le libéralisme économique celui de la crise, il n'y a qu'un pas, d'autant plus aisément franchi que pour des personnes nées dans les années 1960, le retard technologique et la pénurie démographiques issus des années 1930 et de la guerre ne sont pas évidents. Il y a donc fort à parier que les collégiens arrivent déjà avec des représentations très biaisées.
Où ensuite entendent-ils parler d'économie ? Essentiellement dans les cours d'histoire et de géographie. Il ne s'agit aps de jeter la pierre aux enseignants de ces matières, entendons-nous bien : ils ont des programmes colossaux à traiter, et l'histoire économique (sans parler de l'économie elle-même) est rarement leur spécialité. Ce que je veux ici souligner, c'est que l'échelle de ces deux matières (en ce qui concerne les sujets au programme) focalise l'attention sur les sujets et les effets macro-économiques, renforçant à nouveau la conception de l'économie comme une boîte noire avec une politique économique en entrée et un taux de croissance en sortie. La nécessité d'expliquer les idées keynésiennes pour comprendre les années 1930 et ultérieures achève au lycée de fixer ces représentations.
Est-ce à dire qu'il faudrait un enseignement généralisée de l'économie dans le secondaire ? Je ne pense pas, d'une part parce que les programmes actuels sont déjà assez lourds, et surtout que le problème, à mon sens, n'est pas un problème de connaissances, mais un problème de raisonnement. À ce titre, je rejoins les positions d'enseignants de toutes les matières, qui regrettent que l'enseignement actuel prenne la forme de recettes à apprendre (y compris des explications de texte) au détriment de méthodes, dont les ex-lycées devenus étudiants manquent cruellement.
Il y a donc au départ des représentations profondes à changer, et ce n'est pas une manipulation des programmes qui y changera quoi que ce soit : La Société de la défiance comme Les Désordres du travail montrent qu'il existe des fondamentaux profonds, sociaux, à la défiance à l'égard du marché, et c'est probablement en intervenant à ce niveau-là (relations de travail, imposition stricte des règles de concurrence, mise en évidence des rentes corporatistes) que se situe le meilleur levier sur ces représentations.
Publié le dimanche, février 3 2008, par Mathieu P. dans la catégorie : Economistes - Lien permanent
Commentaires
lundi, février 4 2008
23:01
Franchement, finalement, quand tu y réfléchis bien, la solution, elle n'est pas forcément à caser dans un programme scolaire.
— éconcolaste-sm(Là, je rigole pas)
Non, la solution, moi je l'ai : subventionner les sites internet de qualité qui attirent des centaines de milliers de lecteurs et leur font découvrir et aimer l'économie. Super, non ?
(Là, je rigole, mais on sait jamais :-) )
jeudi, février 7 2008
11:08
"je pense pouvoir dire sans me tromper qu'une part significative de la population imagine que .../...les milliards perdus par la Société Générale sont issus des bénéfices faits sur l'activité de banque de dépôt"
— FranckA votre avis d'où proviennent t'ils? Je serai très intéressé de lire votre réponse. Où plus exactement de voir comment vous allez pouvoir démontrer que les fonds propres que la SG vient de perdre (la perte de 5 Mds est issue d'opérations pour compte propre) ne sont pas issus pour une grande partie des réserves et provisions sur les bénéfices passés et que l'augmentation de capital en cours ne trouve pas sa motivation dans la perpesctives de bénéfices futurs.
jeudi, février 7 2008
13:35
Votre hasard est un peu rapide comme explication. Je vous rappel que la banque de détail et de financement représente 50 % du bénéfice de la SG en 2006 et cela sans tenir compte des sinergies qu'elle apporte aux autres métiers du groupe. Votre point de vu renvoi à un discour récurent des banques qui utilisent cet argument pour justifier notamment les restructurations internes et pressions sur les salaires dans les réseaux. L'histoire montre que lorsque les marchés financiers engrange des bénéfices ont explique que la banque de détail n'y ait pour rien et que lorsque les bénéfices baissent ont rappel gentiment au réseau qu'il fait parti du groupe.
— FranckCependant mon propos n'était pas là, mais de faire remarquer qu'il faut toujour être prudent lorsqu'on lance ce genre d'affirmation. Le débat actuel sur l'enseignement de l'économie renvoi à l'idée qu'il ne faut pas confondre science économique et économie. La pratique montre que la réalité est souvent éloignée de la théorie.
Mon expérience montre que malheureusement les enseignants ont une vision trop souvent déconnectée des réalités économiques. L'enseignement de l'entreprise se résume trop souvent aux grandes entreprises et les connaissances des enseignants en comptabilité et gestion financière est bien trop faible pour aborder et comprendre les problématiques des PME et TPE.
La vrai question est de savoir ce que l'on veut enseigner. Si c'est la science économique, dans ce cas les programmes sont sans doute bien fait. Si c'est l'économie, ils sont malheureusement hors sujet. L'enjeu du débat est à mon avis beaucoup plus profond et renvoi au rôle même de l'enseignement. Forme t'on des futurs citoyens ou des futurs soldats de la guerre économique. Pour ma part je pense que l'école est là pour former de futurs citoyens et cela me pousse à soutenir les enseignants de SES même si je pense qu'ils ont des lacunes très importante dès qu'ils abordent l'entreprise.
Un seul exemple: Ils utilisent le terme de profit pour les entreprises. En 13 ans de vie professionnel comme chargé d'afsaires entreprise dans des grandes banques, je n'ai jamais entendu utilisé ce terme. Il ne faut alors pas s'étonner de la deconnexion qui existe avec le monde de l'entreprise. Les pourfandeurs des SES jouent sur ces lacunes et les amplifient pour arriver à leurs fins.
samedi, mars 19 2011
16:11
Je dois dire que j'ai des doutes sur la sincérité de l'enseignement à science-po.
Il me semble que Jean-Jacques Rosa à introduit l'enseignement du "public choice" dans cet école et que ça a vite été arrêté ...
Sur un autre thème mais connexe, un autre haut fonctionnaire et ancien député français ET européen très bon connaisseur des institutions de la démocratie directe, aux US, en Allemagne, en Suisse et en Italie, à proposé d'y donner des cours. Ça a été refusé tout net.
Dans un cas comme dans l'autre la compétence et la réputation des enseignant n'est pas en cause.
Mais alors pourquoi ... un mur idéologique peut être ?
Ces deux enseignement remettraient il trop en cause l'efficacité d'un certain type d'action politique ?
— Alfsamedi, mars 19 2011
21:07
En ce qui concerne l'économie, le Département d'économie s'est enrichi de deux à trois membres chaque année au cours des dernières années. Cela a considérablement augmenté la quantité de cours faites par des titulaires, ainsi que les conférences de méthode (TD) données par les thésards, eux aussi beaucoup plus nombreux qu'auparavant. Mécaniquement, cela a fait diminuer le recours aux intervenants extérieurs. Je ne pense pas qu'il faille chercher une explication plus loin. En l'état, le Département dispose de plusieurs enseignants parfaitement à même de traiter de la théorie du choix public dans leurs cours.
— Mathieu P.