L'expérience de base est très bien cadrée. Aux Pays-Bas, 17% d'une classe d'âge accède à l'Université. Or, il y a un taux d'échec très importants, puisque 80% des étudiants ne réussissent pas à obtenir leur première année en un an. Le problème est d'autant plus important pour les universités que leur budget dépend du nombre d'étudiants passant en année supérieure, et que pour des raisons de réputation, elles ne peuvent évidemment pas baisser leurs exigences. Plusieurs réformes des enseignements n'ont ainsi pas donné d'effets tangibles. D'où l'idée de voir si les étudiants seraient motivés par un gain monétaire.

Les frais de scolarité sont modestes (1300 euros par an), et il n'y a pas de sélection à l'entrée.

L'expérience porte ainsi sur 254 étudiants en première année d'économie et gestion. La scolarité de première année est très encadrée : tous suivent les mêmes cours, les examens sont des questions à choix multiples (donc pas de biais de correction) dont le résultat est donné par le taux absolu de bonnes réponses de chaque candidat (il faut avoir 60% de bonnes réponses), et indépendant du résultat des autres candidats. Le cadre parfait donc.

Les 254 étudiants ont donc reçu, un mois après le début des cours, la proposition de participer à une expérience qui leur permettrait de recevoir une somme d'argent s'ils obtenaient leur année. L'expérience excluait les redoublants et ceux ne venant pas directement du secondaire. Ils savaient que ceux qui accepteraient seraient répartis en trois groupes : un euros groupe sans gratification (dit groupe de contrôle), un groupe gagnant une récompense de 227 euros (groupe F) et un troisième gagnant une récompense de 681 euros (groupe H). 249 étudiants ont accepté de participer, et ils ont alors appris dans quel groupe ils se trouvaient (les groupes, naturellement, étaient tirés aléatoirement). Aucun n'étudiant n'ayant quitté en cours d'année, le panel de données est donc très bon, d'autant plus qu'on dispose maintenant des résultats de ces étudiants au bout de trois ans.

Est-ce que cela a fonctionné ? En fait, pas beaucoup. Les étudiants du groupe de contrôle ont été 19% à passer, contre 20% pour le groupe L et 24% pour le groupe H, avec peu de différences sur le nombre total de crédits obtenus par étudiant dans chaque groupe. Après trois ans, on n'observe plus de différence entre les trois groupes.

Pourquoi ces résultats un peu décevants ? D'abord, les explications à exclure : les groupe de contrôle ayant obtenu des résultats en ligne avec les années précédentes, on peut penser que les examens n'étaient pas plus difficiles, et qu'il n'y a pas eu d'effet de pairs lissant les différences entre groupes. Ensuite, il n'y a pas eu de compensation de l'expérience par les familles. Dans les trois groupes, les familles offraient en moyenne 650 euros aux étudiants qui réussissaient leur année (autant dire qu'elles se sont alignées sur les récompenses du groupe H). En revanche, en divisant chaque groupe en sous-groupes en fonction de leur niveau en mathématiques au lycée, les auteurs se sont rendus compte que l'effet incitatif était beaucoup plus net et positif pour les bons élèves du groupe H, et légèrement significatif et négatif pour les mauvais élèves du même groupe. L'effet positif pour les bons est encore présent, et significatif, sur leur résultats trois ans après.

On peut avancer une explication de ce phénomène. Les questionnaires remplis par les étudiants leur demandaient, en dehors de contrôles habituels (profession et revenu des parents) les chances qu'ils pensaient avoir de réussir leur année. Or, tous sur-estimaient largement leurs chances, pensant avoir près de 50% de chances de passer (je rappelle que le bon chiffre était 20%). De ce fait, si l'incitation renforce les bons dans leur confiance, elle a pu donner aux moins bons une information de meilleure qualité sur leurs chances : s'il y a besoin d'une incitation, c'est que beaucoup de réussissent pas, et que, sachant leur niveau en maths, ils sont particulièrement concernés, entraînant une forme de découragement. Les auteurs interrogent de plus les risques de substitution entre une motivation rationnelle (je me forme pour avoir un meilleur revenu durablement) et une motivation myope (je fais le minimum pour avoir mon année et toucher la prime).

Que peut-on tirer de plus de cette étude ? D'une part, il faut souligner la qualité de la méthode, même si les résultats sont moins tranchés qu'on aimerait (ça marche, mais un tout petit peu). D'autre part, on peut remarquer que si les résultats sont faibles, c'est que les récompenses le sont aussi. Imaginons un élèves soumis à une forte contrainte de revenus : ce ne sont pas 700 euros possibles qui vont lui permettre de se loger plus près de l'université ou de payer ses repas. Il faut donc se garder de la tentation de faire de cette expérience une critique (dans un sens ou l'autre) des bourses au mérite : on a là un problème d'échelle certain.

Enfin, je pense qu'on peut reprendre deux chiffres qui seront utiles tant aux étudiants qu'aux enseignants : d'une part la sur-estimation par les étudiants de leurs chances de réussite. Ce constat doit appeler les enseignants à bien informer leurs étudiants des vrais taux de réussite, afin que ceux-ci révisent leur estimation de la quantité de travail nécessaire. D'autre part, et de manière liée, les étudiants ont déclaré leur temps d'études moyen par semaine, cours et TD compris. La moyenne est de 25 heures.