Crash-course pour ceux qui n'ont pas suivi (ils devraient lire les billets en question plutôt que celui-ci, d'ailleurs) : alors qu'Olivier Bouba-Olga critique le discours sarkozien concernant les pauvres français qui voudraient gagner plus mais qu'on empêche de travailler plus, Alexandre Delaigue rappelle, utilement, les doute qu'on peut avoir sur l'idée que les Européens préfèrent plus le loisir, que les Américains, et donc que la réduction règlementaire du temps de travail peut être nuisible si elle empêche effectivement ceux qui voudraient travailler plus de le faire. Bref un débat ouvert ? C'est ainsi que conclut Alexandre, qui souligne qu'il existe en ce domaine une vraie différence, et que le résultat de l'élection pourrait révéler la préférence effective.
On peut pourtant aller un peu plus loin. En effet, il est théoriquement possible de mesurer la préférence pour le loisir très simplement, on considérant la rémunération des heures supplémentaires. En effet, s'il faut payer plus une personne pour sa n+1-ième heure que pour la n-ième, cela signifie qu'on est dans une zone où la désutilité du travail est croissante. Plus même, cela laisse soupçonner que la n-ième heure est déjà sous-payée par rapport à ce que la personne voudrait offrir comme travail, mais comme on ne négocie pas ses contrats de travail à l'heure près...
En pratique, cette mesure est difficile : les heures supplémentaires sont encadrées, tant en termes de durée que de rémunération. On doit pourtant pouvoir s'en sortir en constatant que dans certains cas, la même tâche est réalisée par une personne ayant le statut d'employée (donc à la durée légale du travail) et par une autre ayant le statut de cadre (pour laquelle la notion de durée de travail est nettement moins pertinente) : quel est le supplément de salaire horaire sur les heures marginales réalisées par le cadre par rapport à l'employé, à tâche équivalente ? Si ce supplément est positif, alors la conclusion est assez directe : les personnes considérées n'ont pas envie de travailler plus au taux de salaire normal. On est donc justifier à leur donner les moyens de réaliser leur arbitrage travail-loisir optimal dans le cadre d'une relation d'embauche inégalitaire. Donc règlementer le temps de travail.
Il n'est pas claire que la conclusion aille en ce sens, et encore moins qu'elle soit valable pour tous les secteurs. Comme la plupart des économistes, je suis plus favorable aux décisions décentralisées, branche par branche, ou entreprise par entreprise. Mais force est de constater que cela n'est guère possible étant donnée la grande misère du syndicalisme français actuel (et oui, les syndicats de patrons ne me semblent pas valoir mieux que leurs contreparties).
5 réactions
1 De Olyvyer - 05/12/2006, 13:56
"Comme la plupart des économistes, je suis plus favorable aux décisions décentralisées, branche par branche, ou entreprise par entreprise. Mais force est de constater que cela n'est guère possible étant donnée la grande misère du syndicalisme français actuel (et oui, les syndicats de patrons ne me semblent pas valoir mieux que leurs contreparties)."
Comme la plupart des économistes...c'est peut-être déjà aller un peu vite en besogne.
Les solutions branche par branche, entreprise pour entreprise plutot que des mesures qui devraient s'appliquer à tous, ca se discute nécessairement. Si les coûts de transaction / coordination cumulés des marchandages locaux sont supérieurs aux coûts générés par une loi (toutes choses égales par ailleurs...) alors pourquoi la plupart des économistes seraient favorables aux décisions décentralisées?
2 De Fr. - 05/12/2006, 15:22
Il faut que je cherche la référence, mais un économiste avait pondu un papier qui expliquait que l'envergure du dissensus intra-professionnel chez les économistes expliquait pourquoi les politiques économistes se rédigent sans eux (dans la majeure partie des cas).
L'article est cité dans le hors-série de Problèmes économiques consacré aux idées reçues de la science économique, publié en 2001 je crois.
3 De edgar - 06/12/2006, 00:01
il me semble que la négociation par branches est la pire des solutions (vs négociation centralisée ou au contraire décentralisée au niveau de l'entreprise), phénomène mis en évidence par layard, nickell et jackman de mémoire.
par branche, chaque branche prend comme niveau "acceptable" de départ le niveau atteint par la branche précédente, ce qui entraîne une dérive inflationniste.
Curieusement, la négociation centralisée permet de faire entrer des considérations d'équilibre macro dans les échanges (cf. accords de wassenaar en 1983 aux pays-bas).
mais je date peut-être...
4 De Elessar - 06/12/2006, 05:10
@edgar: Non, c'est très pertinent.
Un résultat connu (pas de référence, désolé) dit d'ailleurs que la taille optimale des syndicats est soit au niveau de l'entreprise, soit nationale. Dans le premier cas, pas d'effets macro des négociations, dans le deuxième, les effets macro sont internalisés. Le pire (surprise surprise), c'est la situation française, où les syndicats sont assez puissants pour avoir des effets macro, mais suffisamment peu représentatifs pour ne pas internaliser ces effets.
LSR
5 De Nicogeek - 07/12/2006, 22:02
@Elessar : Je pense que vous parlez du papier de Calmfors et Driffill (1988), Economic Policy, Vol. 6 "Bargaining structure, corporatism, and macroeconomic performance". Ils donnent la même intuition que vous, et lancent quelques régressions cross-country qui semblent aller dans leur sens.