Note : je mets en ligne ce billet trop tard pour une relecture décente. Les faute d'orthographes risquent donc d'y être nombreuses, je vous prie de m'en excuser.

Organisation de l'ouvrage

L'organisation du livre met en évidence ses lignes de force. Dans une première partie, Frey donne sa vision méthodologique de l'économie de la culture. La deuxième partie est consacrée à l'analyse des institutions culturelles, en particulier des musées et des festivals. Une troisième partie traite des moyens de politique publique d'encouragement des arts, et la quatrième partie s'intéresse au problème de l'investissement dans et de l'évaluation des biens artistiques.

La structure un peu composite de la partie IV révèle ce qui est, à mon sens, un des problèmes du livre : il s'agit plus d'une collection d'essais que d'un propos structuré, les apports principaux étant ceux des parties II et III.

Première partie : Qu'est-ce que l'économie de la culture ?

Dans cette partie, l'auteur expose ce qu'est et doit être, selon lui, l'économie de la culture.

De tout l'ouvrage, c'est peut-être la plus datée à mon sens. Frey y défend à la fois la pertinence des outils « néoclassiques » (en fait de l'économie mainstream, les outils cités dépassant de loin le cœur de l'économie néoclassique) et l'intérêt des approches qualifiées d'« hétérodoxes » (avec les mêmes limites que ci-dessus), en particulier les apports de l'institutionnalisme et du béhaviorisme. Il me semble que la composition retenue pour le Handbook of the Economics of Arts and Culture rend un peu caduque une telle défense, puisqu'elle fait la place à tous ces types d'approches.

L'élément le plus intéressant est sans doute le moins économique. Frey se livre en effet à une petite sociologie des économistes intéressés par les thèmes de l'économie de la culture. Il met en évidence que la plupart d'entre eux sont des amateurs d'art éclairés, pratiquant parfois une activité artistique à un niveau respectable. Il s'interroge ainsi sur les conséquences de tels liens. En particulier, il note que deux idées sont acceptées pratiquement sans discussion dans le milieu, alors qu'elles n'ont rien d'évident (Tyler Cowen est une exception notable). La première est que les arts et la cultures sont non seulement bon en soi, mais préférables à la plupart des autres biens et services, et à ce titre leur consommation comme leur production doivent être encouragées, défendues et, souvent, subventionnée. Il met là le doigt sur un point fort délicat. On attend de l'économie de la culture qu'elle propose des 'résultats' sur l'évaluation de l'action publique culturelle, pas qu'elle prenne comme prémisse que cette action est désirable. Frey suggère que l'abandon de la question « à quoi sert la culture » soit plus ou moins un prérequis permettant aux économistes d'aborder les acteurs du champ culturel sans y faire face à une hostilité radicale. Frey lui-même aborde la question en passant en revue les réponses qui ont été apportées, notamment par David Throsby, et les moyens empiriques d'estimer l'importance attachée à la culture, regrettant que les résultats en ce domaine soient fort parcellaires.

L'autre point trop peu discuté au goût de Frey est l'idée selon laquelle le grand public (i.e. le consommateur souverain de la quasi-totalité des modèles économiques) ne soit pas un position de prendre des décisions éclairées sur les biens culturels, la masse choisissant nécessairement des biens de qualité inférieure. Là aussi, Frey voit l'influence des mécanismes de distinction, particulièrement forts et visibles dans les milieux artistiques. On verra comment dans la troisième partie de ce livre, il bat en brèche cette idée.

Cette introduction s'adresse à mon sens à des personnes travaillant déjà dans le domaine culturel ou à des économistes abordant ce domaine, et met le doigt sur certains biais pertinents du champ. La description de ce dernier, cependant, me semble faire la part un peu trop belle à des lignes de fracture méthodologiques sans doute un peu réductrices.

Deuxième partie : analyse des institutions culturelles

On arrive ici au cœur du sujet. Dans les différents papiers qui composent cette section, Frey essaye de relier la structure institutionnelle des institutions culturelles et leur manière d'accomplir leur mission. Les grand musées sont son sujet de choix, mais il montre comment son raisonnement s'étend sans peine aux festivals et aux institutions culturelles de moindre ampleur.

L'argument central de toute cette partie est que les directeurs de ce type d'institutions devraient bénéficier d'une très large autonomie dans la gestion des ressources qui leur sont allouées. Frey se fait en particulier l'avocat de deux mesures allant directement à l'encontre des pratiques de tous les musées publics et de la plupart des musées privés : d'une part donner la possibilité aux musées de vendre des éléments de ses collections, et d'autre part leur accorder l'entier bénéficie de l'ensemble des recettes de leur activité (et réciproquement la responsabilité des dettes non anticipée).

Pour les collections, l'idée est que les collections des grands musées sont le plus souvent pléthoriques, une majorité (parfois très large) d'œuvres n'étant tout simplement pas assez intéressantes (par rapport aux chef-d'œuvres de la collection) pour être exposées. Ces œuvres restent donc indéfiniment dans les réserves. Dans le bilan du musées, elles ne pèsent pas lourd, puisque ne sont imputées que les dépenses afférentes à leur conservation. Frey pointe l'incohérence de cette nombre comptable par rapport aux outils habituels de gestion des stocks. En effet, si ces œuvres ne sont as assez intéressantes pour un musée, elles sont susceptibles de constituer des pièces très intéressantes pour des collections privées. À voir les marchés de l'art, il existe certainement une demande solvable pour ces pièces. En conséquences, leur valeur dans le bilan du musée doit être mesurée à l'aune du coût d'opportunité de les garder en réserve : est-ce que ce que la possession de cette œuvre par le musée lui apporte un bénéfice supérieur à ce que sa vente lui permettrait de faire immédiatement (en termes d'aménagement du musée ou d'acquisition d'autre pièces qui combleraient des vides de la collection, par exemple) ?

Le plus souvent, la plus-value marginale de telles œuvres est pratiquement nul, d'autant plus faible d'ailleurs que les particuliers acceptent souvent de prêter des éléments de leurs collections pour des expositions temporaires (un tel prêt augmentant la visibilité, et donc la valeur, de l'œuvre prêtée). Frey ajoute que la mise sur le marché progressive de ces réserves est dans l'intérêt de l'art (ces œuvres seraient vues et circuleraient plutôt que de dormir dans des cartons) et ne nuirait pas nécessairement aux impératifs de conservation (il existe déjà des dispositions légales concernant les biens culturels important détenus par des particuliers). Il imagine ainsi la possibilité non seulement de vendre, mais aussi de louer des œuvres, ce dernier arrangement permettant aux amateurs de découvrir de nombreuses œuvres différentes,tout en permettant au musée de vérifier régulièrement l'état de conservation des pièces.

Au-delà du dogme de l'incessibilité, Frey explique que l'arrangement institutionnel actuel ne permet pas ce genre de choses pour les musées publics. En effet, les règles de comptabilité publique font que le produit d'une telle vente retourne quasi-automatiquement dans le pot commun des ressources de l'État, ce qui correspond pour le musée cessionnaire à une taxe implicite de 100 %. L'auteur en veut pour preuve la différence de comportement sur les marchés de l'art entre les musées d'art contemporain européens et le Museum of Modern Art de New York, ce dernier finançant par des cessions sa politique très active d'acquisitions. Il renforce sont argument en comparant les situations des festivals, montrant que la montée en puissance des subventions publiques dans des festivals à l'origine privée conduit à un rationnement des places disponibles (plutôt qu'à une augmentation de leur prix ou des spectacles proposés pour suivre la demande) et à une réduction de l'ambition artistique (ou au contraire la fuite en avant vers des œuvres au public très restreint). Frey ne cite pas cet exemple, mais le fonctionnement du Festival d'Avignon, avec son « On », son « Off » institutionnalisé et son « Off du Off » me semble illustrer assez bien son propos.

De manière similaire, le financement des musées public conduit à une généralisation de l'argument de la taxe implicite. Qu'il s'agisse de musées ou de festivals, on sait souvent que l'État ou les collectivités concernées combleront le déficit éventuel. Ainsi, tout surplus dû à une amélioration de la collection ou des conditions d'accueil entraîne une réduction correspondante de la subvention allouée, ce qui ne pousse pas à améliorer la fréquentation de la collection permanente, hors un fonds de clientèle, souvent assez captive (les touristes qui vont voir la Joconde au Louvre), et qui suffisent tenir le rang du musée en termes de nombre de visites. Frey voit là une des causes de l'engouement des musées pour les expositions temporaires. De par leur nature temporaire justement, les recettes générées ne sont pas intégralement déduites du calcul de la subvention du musée pour les années suivantes. Cela fournit une incitation à augmenter les recettes de cette nature, qui peuvent être réutilisées comme le musée l'entend. L'effet est encore augmenté par un levier de sous-estimation des coûts. Le plus souvent, les expositions temporaires sont organisées avec le personnel et dans les locaux du musées, dépenses incluses dans les charges générales du musées et non intégralement imputées au budget spécifique de l'exposition concernée. La valeur d'opportunité d'avoir des salles fermées, moins de personnel et de surfaces disponibles pour la collection permanente n'apparaît dans aucun bilan comptable, alors qu'il faudrait imputer l'ensemble de ces coûts au budget de l'exposition permanente.

En conséquence, Frey propose d'accorder aux musées une autonomie décisionnelle et budgétaire beaucoup plus importante qu'à l'heure actuelle, sous condition d'un cahier des charges strict en matière d'expertise et de conservation de la collection. L'idée n'est pas de demander aux musées de s'autofinancer, mais que la subvention publique prenne la forme d'une dotation fixe, prévisible, couvrant le cœur de l'activité du musée. La direction du musée serait alors libre d'user à sa guise des recettes que sa politique d'accueil du public (souvent le parent pauvre des musées actuels, avec des cartels désespérément laconiques et des audioguides onéreux et au contenu souvent très élémentaire) lui permettrait d'obtenir, et inversement responsable des déficits encourus.

En lisant cette partie, je n'ai pas pu m'empêcher de trouver l'argument convaincant, même si je trouve que Frey pousse un peu loin les recommandations qui en découlent, ce qui est probablement délibéré de sa part. Force est de constater, me semble-t-il, l'écart entre l'ampleur du trésor de guerre (parfois au sens propre) amassé par les grands musées et la faiblesse des efforts faits en direction du public, les musées se reposant volontiers sur des bénévoles. Le matériel pédagogique disponible est souvent très en-deçà de ce que la technologie et l'état des connaissances permettrait. L'écart est frappant lorsque vous faites une visite guidée avec un bon guide, qui peut traiter à la fois des aspect techniques, du contexte historique de l'œuvre et de sa place dans le programme artistique de l'auteur. L'obstacle n'est pas technique, mais matériel : produire ces contenus est cher, et fait concurrence aux produits dérivés (catalogues, guides), vendus par les musées et dont ils peuvent récupérer le produit, contrairement aux entrées supplémentaires.

Je ne suis toutefois pas convaincu par l'idée que le système de circulation des œuvres entre musées, qui repose sur le prêt gracieux et non sur la location, soit particulièrement inefficace. Certes, l'argument de coût d'opportunité joue dans ce cas aussi, contribuant à sous-estimer le coût de ces échanges, mais il ne me semble pas clair que la demande pour de telles œuvres soit suffisante pour permettre la mise en place d'un marché qui ne serait structurellement dominé par un très petit nombre d'agents disposant d'un très fort pouvoir de marché (donc un marché peu efficace).

En tout état de cause, le travail de Frey et de ses co-auteurs plaide pour une remise à plat des statuts des principaux musées, et d'une délimitation claire de leur mode de financement, de leurs moyens d'action et de leurs objectifs. Ceux qui veulent en savoir un peu plus sur la théorie économique des musées peuvent consulter l'article Wikipédia correspondant, largement inspiré du chapitre du Handbook, rédigé par Frey et Stephan Meier.