Il faut commencer par distinguer deux choses : le recrutement et la formation des enseignants du primaire d'une part, le recrutement et la formation des enseignant du secondaire d'autre part. On va voir que dans les deux cas, les problématiques sont liées, mais avec des différences significatives.

Le système actuel

Les enseignants du primaire

Depuis 1989, les instituteurs dont devenus des professeurs des écoles, passant ce faisant de la catégorie B à la catégorie A de la fonction publique. Cette revalorisation, qui n'était pas que symbolique, marquait la reconnaissance du rôle accru joué par les enseignants du primaire dans la formation des élèves. Comme l'essentiel des personnels de la fonction publique, ils sont recrutés sur la base d'un concours de niveau L3 (Licence). Le concours pour les professeurs des écoles se fait sur une base académique (on candidate dans une académie précise, et les lauréats obtiennent des postes dans un des départements de l'académie où ils ont candidaté). Il comporte trois épreuves d'admissibilité, portant sur les mathématiques, le français, l'histoire-géographie et les sciences et techniques, et quatre épreuves d'admission (un entretien, une option artistique, une langue, éducation physique). Les lauréats suivent ensuite une année de formation dans les IUFM (Institut universitaires de formation des maîtres, héritiers des anciennes écoles normales d'instituteurs), ponctuée de stages. On peut donc estimer qu'un professeur des écoles a un niveau universitaire correspondant au minimum à un M1. En l'état, sa formation reflète la diversité des contenus qu'il aura à enseigner.

Comme tous les enseignants, les professeurs des écoles ont connu une évolution assez importante de leur métier : par la force des choses, ils ont dû pallier de plus en plus aux problèmes personnels et sociaux des élèves, jouant tour à tour le rôle d'assistantes sociales et de psychologue, au fur et à mesure que les postes correspondant étaient supprimés des écoles. Parallèlement, on leur a demandé des compétence supplémentaires (maîtrise d'une langue étrangère, Certificat informatique it internet) afin d'élargir leur palette de formation.

Les enseignants du secondaire

Pour les professeurs des collèges et des lycées, les choses se corsent. Je laisse de côté certains statuts, comme celui des PEGC, actuellement en voie de disparition. Je vais négliger de même le cas des enseignants des établissements technologiques et professionnels pour ne traiter que le cas de l'enseignement général.

Pour être professeur dans le secondaire, il n'y a pas un, mais deux concours : le CAPES et l'agrégation. Les deux sont passés sur une base nationale et conduisent dans la plupart des cas aux mêmes postes (les agrégés peuvent enseigner en classe préparatoire et à l'université, mais passons). Le CAPES est accessible à partir du niveau Licence (L3) et l'agrégation à partir du M1 (ou être lauréat du CAPES). Les concours sont sur une base disciplinaire, l'épreuve de pédagogie prenant la forme d'un oral, une leçon sur un thème imposé préparée en temps limité. Dans les deux cas, les lauréats passent ensuite une année de stage en IUFM, où ils reçoivent leur salaire normal mais n'effectuent qu'une partie de leur service, passant l'autre moitié du temps à se former auprès des enseignants de l'IUFM. À l'issue de leur année de stage, ils participent à un système d'allocation des enseignants (sur lequel on reviendra plus tard). Les certifiés ont une charge de 18 heures de cours hebdomadaires, les agrégés de 15 heures (pour une rémunération supérieure à celle des certifiés). Ces chiffres ont été calculés pour correspondre à l'équivalent de 42 de travail heures par semaine, et le salaire est calculé sur la base de dix mois de travail (du fait des grandes vacances), son versement étant étalé sur les douze mois de l'année.

Qu'est-ce qui ne fonctionne pas ?

La réponse est : beaucoup de choses, et la liste ci-dessous n'est pas exhaustive.

L'évaluation

L'évaluation des enseignants au cours de leur carrière est un problème chronique. Le faible nombre des inspections (et des inspecteurs), la soumission de certains inspecteurs à des modes pédagogiques, la difficulté à écarter un enseignant notoirement problématique sont autant de problèmes connus. Un enseignant doit trouver lui-même la motivation de bien faire son travail, tant les incitations sont faibles. Plus encore que pour les enseignants-chercheurs à l'université, la conception d'un système d'évaluation semble difficile, sauf à imaginer de vastes usines à gaz où les élèves passeraient chaque année des tests standardisés, et où la rémunération des enseignants serait affecté par une prime dépendant de la progression de leur élèves, de la composition socio-culturelle de leur classes, etc. Le sujet est d'ailleurs tellement sensible qu'il n'a pas été évoqué pour l'instant.

Les IUFM

Toute personne ayant des enseignants dans son entourage a probablement entendu des histoires d'horreur sur les IUFM, comme la recommandation de corriger les copies en rose (le rouge étant trop agressif), ou la désignation d'un ballon comme un « référentiel bondissant ». Au-delà de ces clichés, il semble que la formation dispensée dans les IUFM soit très hétérogène, allant du tutorat par des enseignants expérimentés et rompus aux classes difficiles aux délires de pédagogues qui n'ont pas vu un élève depuis plus de dix ans. Le problème essentiel des IUFM paraît surtout être leur fonctionnement en vase clos, alors qu'ils auraient vocation à avoir des échanges importants avec les domaines universitaires (psychologie, sociologie, sciences cognitives, pédagogie) proches de leurs domaines de compétence.

L'allocation des enseignants

La procédure d'allocation des enseignants du second degré est pour le moins baroque. Reposant sur un système de points principalement assis sur l'ancienneté, il conduit à ce que les jeunes enseignants aillent dans les zones les moins demandées, et se voient confier les classes les plus difficiles, et parfois sans contrepartie (quand ils ont le statut de remplaçant, à cheval plusieurs établissements différents en même temps). Les systèmes existant pour inciter les enseignants expérimentés à prendre des classes difficiles sont trop faibles pour avoir un effet notable.

Le double statut des enseignants du secondaire

Du fait de l'existence de deux concours, on trouve dans les mêmes établissements des enseignants dont les services et les rémunérations diffèrent pour un travail demandé identique. Au-delà de la simple injustice, cet état de fait a depuis longtemps été compris par les pouvoirs publics, qui ont augmenté le nombre de places au CAPES (plus d'heure et salaire inférieur) et réduit celles à l'agrégation. Avec des salaires et un statut social des enseignant en bernes, cela a entraîné une baisse continue du niveau du CAPES (mesurée par le repêchage de candidats plusieurs points en-dessous de la moyenne), tandis que l'agrégation, qui joue dans les matières littéraire le rôle de filtre pour l'accès à la thèse est devenue de plus en plus sélective, et son programme de plus en plus éloigné de celui de l'enseignement secondaire. On aboutit donc a un double problème : d'une part la sous-valorisation du métier d'enseignant du secondaire, qui fait baisser le niveau de recrutement (deux titulaires du même CAPES peuvent ainsi avoir des niveaux très différents) d'un côté, et d'autre part la sur-qualification d'une petite partie des enseignants (les agrégés) dont un certain nombre auraient souhaiter enseigner dans le supérieur.

De plus, comme pour les professeurs des écoles, les tâches demandées aux enseignants se sont considérablement accrues au fur et à mesure de disparition ou de la faillite des autres personnels d'encadrement présents dans les établissements.

Alors, quelle réforme ?

Que propose alors le gouvernement ? Essentiellement, une réforme à l'économie qui ne traite aucun des problèmes soulevés ci-dessus. L'idée générale est la « mastérisation » des formations. Comme on l'a vue, professeurs des écoles et lauréats du CAPES ont à l'issue de leur stage un niveau au moins M1, au moins M2 pour les agrégés. Amener tous les enseignants à un niveau M2 dans le cadre de Masters professionnels en alternance pourrait donc constituer une rationalisation du système ad hoc existant actuellement. Sauf que ce n'est pas ce qui est proposé. La réforme proposé est celle de Master où le contenu disciplinaire est réduit à la portion congrue (un tiers des coefficients) au profit d'une formation pédagogique qui rassemble précisément ce qui a fait la réputation sulfureuse des IUFM. Au cours de l'année de M2, les candidats passeraient un concours leur donnant le droit de candidater à un poste dans l'académie de leur choix, la validation du concours étant soumise à l'obtention du Master lui-même. Les lauréats prendraient alors directement leur pleine charge d'enseignement, l'année de stage étant supprimée.

Dans le primaire : économiser sur le concours

Pour les enseignants du primaire, le but essentiel semble être d'économiser sur l'organisation des concours. Ceux-ci ne comporteraient en effet plus que deux épreuves d'admissibilité (avec le français non-obligatoire) et un entretien d'admission. Rien ne viendrait donc plus garantir qu'un professeur des écoles maîtrise les contenus qu'il a vocation à enseigner, à commencer par la langue elle-même.

Dans le secondaire : économiser partout

Pour les enseignants du secondaire, le problème se redouble. Non seulement le concours perd l'essentiel de son contenu, mais en plus l'année de stage est supprimée. Théoriquement, la formation de Master prévoit que les candidats effectuent des stages de quelques semaines... sauf que l'offre de tels stages serait de 40 000 pour 150 000 candidats. On aurait ainsi des enseignants qui n'auraient jamais vu d'élèves avant de prendre leur poste plein.

Dans les deux cas, la réforme produirait donc des enseignants moins bien formés à la fois à leurs disciplines et à leur métier. Cet effet serait amplifier par la présence de « reçus-collés », candidats ayant obtenu leur Master, mais pas le concours. Ces personnes deviendraient les petites mains de l'enseignement, bouchant ça et là les trous et payés au lance-pierre (34,5 € de l'heure, correspondant à 8 € bruts de l'heure suivant le même calcul que pour celui des autres enseignants) sans statut bien défini. Plusieurs académies font d'ailleurs déjà appel aux étudiants titulaires d'une licence pour cela, l'excès global d'enseignants brandi par le ministère semblant recouvrir à plusieurs endroit de graves sous-effectifs.

Comment cela s'est-il produit ?

Le plus difficile à comprendre est comment cette réforme, qui concrétise les rêves les plus fous de pré-éminence du pédagogique sur les contenus, traditionnellement portés par les éléments les plus à gauche des IUFM, a pu être porté par un gouvernement qui leur est idéologiquement très opposé ? Mon impression est que ce dernier s'est fait vendre la réforme sur le double argument de l'économie et de l'idée qu'enseigner était un « métier », le même pour tous quelle que soit la discipline.

Bilan

Il ne me semble ainsi pas exagéré de dire que la réforme proposée non seulement ne répond pas aux problèmes existants, mais en créent de nouveaux. Il existe pourtant de nombreuses pistes pour améliorer la situation... mais qui toutes impliquent une augmentation conséquente des moyens alloués à l'éducation d'une part, et une individualisation des carrières d'autre part (comme ça, je me fais des ennemis à gauche et à droite à la fois). Un exemple : quand Ségolène Royal avait proposé d'imposer aux enseignants d'être présents 35 heures par semaines dans les établissements, la plupart des syndicats avaient dit « Chiche ! ». Quand elle a compris que cela voulait dire les doter des bureaux et ordinateurs dont disposent tous les autres cadres de catégorie A de la fonction publique, cette suggestion est vite passée aux oubliettes, alors même qu'elle engageait un gros sacrifice des enseignants (qui renonçaient à faire valoir que leur temps de travail n'avait jamais été ré-évalué). Mais en l'état, la seule suite à donner aux proposition actuelle est effectivement la poubelle.