J'avais déjà fait un éloge des hétérodoxes, expliquant en quoi les hétérodoxes étaient nécessaires, mais aussi pourquoi les meilleurs hétérodoxes étaient des chercheurs qui maîtrisaient à fond le formalisme mathématique et les outils statistiques, et que cette maîtrise était la condition sine qua non pour apporter quelque chose à la science économique. L'alternative est de faire de la contestation bavarde.

L'article de Libération prouve que je ne suis guère lu pas les étudiants auxquels ce billet initial s'adressait. Ils récidivent, et donc moi de même.

Quelles sont leurs plaintes et leur revendications ? Moins de formalisme mathématique, ne pas se limiter à la théorie néoclassique et confronter les résultats théoriques au réel. La première et la dernière sont les plus intéressantes. Je commence donc par faire un sort à la deuxième. Ils déclarent en effet que « Les enseignements n'ont pas vocation à reproduire la domination exercée par la théorie néoclassique. » Qu'est-ce que cela veut dire ? rien, tout simplement : cela fait plus de vingt ans que l'économie néoclassique telle qu'ils l'honnissent et la pourfendent (essentiellement le modèle d'équilibre général d'Arrow-Debreu) n'existe plus. Elle a efficacement absorbé dans son cadre d'analyse les critiques et les remarques issues de courant initialement hétérodoxes. Le seul moyen de donner un sens à cette phrase est de confondre économie néoclassique et économie non-marxiste, et je ne leur ferait pas l'injure de suggérer qu'ils puissent défendre un tel contresens. L'erreur commise est de penser que la présentation qui leur est faite en M1 et M2 est déséquilibrée, alors que c'est celle qui leur a été faite dans leur formation initiale qui l'était.

Passons au formalisme mathématique. Oui, il est pesant. Je m'en suis déjà longuement expliqué dans ce billet. Pour faire court : oui, ce formalisme est utile, non, on ne vous l'enseigne pas pour le plaisir, oui vous en aurez vraiment besoin, et enfin oui, il a une utilité, il sert à trancher efficacement entre un habile discours qui ne repose que sur l'opinion et un raisonnement qui débouche sur des prédictions qui peuvent être confrontées au réel.

Enfin, troisième élément, la revendication de confrontation au réel. Là, ils demandent (j'ose aussi espérer qu'un partie de la réthorique de la trans-multi-pluri-disciplinaribidule leur a été suggérée par quelque journaleux) à ce que l'enseignement de l'économie se fasse en conjonction avec les autres sciences sociales. Pourquoi pas ? Mais les journées ne sont pas extensibles, et un cursus d'économie les remplit déjà fort bien. Faut-il, au non de l'inter-pluri-machin, faire mal plus de choses ? Je ne le crois pas. C'est une illusion de Khâgneux de croire que l'on peut exceller dans plusieurs domaines à la fois, même dans les sciences sociales. Oui, cette conviction est nécessaire pour passer le concours. Mais il est utile de s'en débarrasser aussitôt après, et de mesurer l'étendue de notre ignorance. D'ailleurs, en y réfléchissant, la confrontation au réel occupe une place proéminente dans les cursus d'économie. Cela s'appelle l'économétrie. Or, c'est précisément là que l'arsenal technique du formalisme mathématique est le plus nécessaire, et le plus lourdement employé.

Bref, chaque année, une telle revendication émerge. J'en ai été, au point de me faire le porte-parole de mes camarades sur le sujet, et de proférer de profondes âneries que les enseignants ont patiemment écoutées. J'invite donc ceux qui, par le plus grand des hasards, viendraient à me lire sur le sujet, à me contacter.