Combat d'arrière-garde
Il paraîtrait qu'à l'École d'économie de Paris, les étudiants s'ennuient. Que ce titre, probablement ajouté par la rédaction de Libération, ne trompe pas : il s'agit d'une nouvelle diatribe, heureusement courte, contre le méchant enseignement de l'économie néoclassique (qui est le cache-misère des MÉCHANTS libéraux) qui empêche de voir la vraie réalité du vrai monde.
J'avais déjà fait un éloge des hétérodoxes, expliquant en quoi les hétérodoxes étaient nécessaires, mais aussi pourquoi les meilleurs hétérodoxes étaient des chercheurs qui maîtrisaient à fond le formalisme mathématique et les outils statistiques, et que cette maîtrise était la condition sine qua non pour apporter quelque chose à la science économique. L'alternative est de faire de la contestation bavarde.
L'article de Libération prouve que je ne suis guère lu pas les étudiants auxquels ce billet initial s'adressait. Ils récidivent, et donc moi de même.
Quelles sont leurs plaintes et leur revendications ? Moins de formalisme mathématique, ne pas se limiter à la théorie néoclassique et confronter les résultats théoriques au réel. La première et la dernière sont les plus intéressantes. Je commence donc par faire un sort à la deuxième. Ils déclarent en effet que « Les enseignements n'ont pas vocation à reproduire la domination exercée par la théorie néoclassique. » Qu'est-ce que cela veut dire ? rien, tout simplement : cela fait plus de vingt ans que l'économie néoclassique telle qu'ils l'honnissent et la pourfendent (essentiellement le modèle d'équilibre général d'Arrow-Debreu) n'existe plus. Elle a efficacement absorbé dans son cadre d'analyse les critiques et les remarques issues de courant initialement hétérodoxes. Le seul moyen de donner un sens à cette phrase est de confondre économie néoclassique et économie non-marxiste, et je ne leur ferait pas l'injure de suggérer qu'ils puissent défendre un tel contresens. L'erreur commise est de penser que la présentation qui leur est faite en M1 et M2 est déséquilibrée, alors que c'est celle qui leur a été faite dans leur formation initiale qui l'était.
Passons au formalisme mathématique. Oui, il est pesant. Je m'en suis déjà longuement expliqué dans ce billet. Pour faire court : oui, ce formalisme est utile, non, on ne vous l'enseigne pas pour le plaisir, oui vous en aurez vraiment besoin, et enfin oui, il a une utilité, il sert à trancher efficacement entre un habile discours qui ne repose que sur l'opinion et un raisonnement qui débouche sur des prédictions qui peuvent être confrontées au réel.
Enfin, troisième élément, la revendication de confrontation au réel. Là, ils demandent (j'ose aussi espérer qu'un partie de la réthorique de la trans-multi-pluri-disciplinaribidule leur a été suggérée par quelque journaleux) à ce que l'enseignement de l'économie se fasse en conjonction avec les autres sciences sociales. Pourquoi pas ? Mais les journées ne sont pas extensibles, et un cursus d'économie les remplit déjà fort bien. Faut-il, au non de l'inter-pluri-machin, faire mal plus de choses ? Je ne le crois pas. C'est une illusion de Khâgneux de croire que l'on peut exceller dans plusieurs domaines à la fois, même dans les sciences sociales. Oui, cette conviction est nécessaire pour passer le concours. Mais il est utile de s'en débarrasser aussitôt après, et de mesurer l'étendue de notre ignorance. D'ailleurs, en y réfléchissant, la confrontation au réel occupe une place proéminente dans les cursus d'économie. Cela s'appelle l'économétrie. Or, c'est précisément là que l'arsenal technique du formalisme mathématique est le plus nécessaire, et le plus lourdement employé.
Bref, chaque année, une telle revendication émerge. J'en ai été, au point de me faire le porte-parole de mes camarades sur le sujet, et de proférer de profondes âneries que les enseignants ont patiemment écoutées. J'invite donc ceux qui, par le plus grand des hasards, viendraient à me lire sur le sujet, à me contacter.
Publié le lundi, juillet 2 2007, par Mathieu P. dans la catégorie : Enseignement - Lien permanent
Commentaires
lundi, juillet 2 2007
17:21
Cela s'appelle "vieillir" ? Plus sérieusement, je partage ce que vous écrivez, notamment sur l'utilité des mathématiques (je m'accorde ici une pause récréative dans un modèle à deux pays, deux générations, un cycle démographique, un système de retraite et de l'immigration...). Plutôt que de balayer d'un revers de main ce qu'écrivent DES étudiants, il faut quand même s'interroger sur l'utilisation des mathématiques dans l'enseignement.
— Gizmo1. Les étudiants dont il s'agit sont probablement très bien formés en maths (peut être mieux que certains de leurs enseignants), et ce n'est pas la compréhension des maths per se qui pose problème, mais le fait que peut être, on ne leur explique pas pourquoi elles sont utilisées, à ce moment là du cours, et de cette manière là. Ou bien que les enseignants insistent plus sur les démonstrations, que sur l'intuition des résultats.
2. En 1ère et 2ème année de licence, en tout cas dans mon université, ce ne sont pas les notes dans les matières formalisées (maths, stats, micro) qui sont les plus "plombantes", mais bel et bien dans les matières dites "littéraires" (sociologie, introduction au droit, introduction à la science économique, histoire des faits économiques...)
3. Je suis frappée, lorsque à un de mes examens, est donné le choix entre un sujet "littéraire" (commentaire de texte, dissertation) et des exercices formalisés, les étudiants se jettent sur les exercices comme la vérole sur le bas clergé breton. Signe que les maths ne posent pas problème, en revanche le raisonnement économique est vacillant
4. Les étudiants signataires sont probablement suffisamment armés pour avoir cet esprit critique salutaire, et combler par eux mêmes les lacunes qu'ils estiment avoir dans des enseignements extra-disciplinaires. Probablement, lisent-ils beaucoup, fréquentent-ils les bibliothèques, et leur cri n'est que le reflet de ce que certains autres enseignants (dont moi!) dénoncent (voir Le Gizmoblog). Ce n'est hélas pas l'attitude des étudiants "lambda" dont on aimerait parfois qu'ils en disent un peu plus sur les enseignements qu'ils reçoivent
5. Ayant vu les commentaires sur le site de Libé, je crains que le message, pourtant intéressant, ne contribue une fois de plus au discours démagogique "ces - économistes - enfermés - dans - leur - tour - d'ivoire - qui - n'ont - jamais - travaillé - dans - une - entreprise - et - qui - se - trompent - toujours - dans - leurs - prévisions - malgré - leurs - modèles - compliqués". C'est dommage Bon, je r'tourne à mon modèle
lundi, juillet 2 2007
17:54
En l'occurrence, je crains que vous ne leur fassiez trop de crédit en pensant que leur réaction provient d'un esprit critique salutaire. J'y vois à mon grand désespoir la simple régurgitation des diatribes contre l'économie néoclassique que j'ai moi-même ingurgitées en prépa B/L. Il m'a fallu deux années complètes pour comprendre que les enseignants qui m'avaient inculqué ces idées se battaient contre l'économie telle qu'ils l'avaient vue 40 ans plus tôt. Je me suis déjà étendu sur le biais de sélection des enseignants de SES à ce niveau.
Il a aussi, il me semble, un effet de douloureux retour au réel. En sortant de prépa, surtout si on a réussi le concours, on est très incité à penser qu'on peut maîtriser en un an une discipline, voire plusieurs. Le constat de la superficialité de nos connaissances est parfois dur, et on regrette de temps à autres ce sentiment d'omnipotence intellectuelle qui sert tant à faire illusion devant des jurys de concours qui ne sont, au final, pas dupes.
— Mathieu P.mardi, juillet 3 2007
10:32
"Je me suis déjà étendu sur le biais de sélection des enseignants de SES à ce niveau"
— Pierre MJe cherche, je cherche, et je ne trouve pas. Je trouve bien des billets sur le récent débat à propos des commissions de spécialistes, mais rien sur le capes ou l'agreg de SES... Où est caché ce billet ???
mardi, juillet 3 2007
11:32
Le dernier en date les là, et donne les liens vers les billets précédent sur ce sujet.
— Mathieu P.mardi, juillet 3 2007
20:12
Je me sens un peu visé, aussi. Bon, je suis passé de la position citée comme anti-maths (Pour résumer à mort.) à celle d'étudiants regrettant de ne pas être plus câlé en math. Pas pour des raisons de notes, mais parce que j'ai découvert l'interêt qu'avaient les mathématiques dans certains modèles. Ces derniers, loin d'être fantasques, servant de fondation à une analyse plus réaliste.
— AJCPour ça, je suis assez d'accord avec Gizmo, me reconnaissant pas mal dans l'étudiant-type qui ne comprenait pas pourquoi on utilisait autant de maths, pendant une période. Ce n'est qu'en me repenchant sur mes cours, sur certaines formules, sur la signification de ces dernières, c'est en lisant certains auteurs que j'ai pris du recul là-dessus. (Ça m'empêche pas d'être une buse en math.)
Faut comprendre aussi autre chose : une majorité des étudiants se mettent à apprendre par coeur des formules sans connaître leur signification. "Pour les contrôles", "pour les notes". Et lorsque les étudiants se penchent plus sur une méthode de gavage plutôt que sur la compréhension de leurs cours, ça donne ça : "Signe que les maths ne posent pas problème, en revanche le raisonnement économique est vacillant " (Je cite Gizmo.)
Le gros problème étant que par la suite, tout comme au lycée ou au collège, beaucoup ont surtout l'objectif de récupérer un maximum de bonnes notes plutôt qu'une compréhension poussée du domaine qu'ils bossent régulièrement. L'un et l'autre de ces objectifs, malheureusement, diffèrent parfois. Un étudiant, s'il doit arbitrer, sait parfaitement qu'il aura plus à gagner en buchant des formules 1h30 sans tenter de les comprendre que de passer en révision les postulats, applications futures, explications précises et approfondies, etc.
Ce n'est pas nécessairement favorisé avec le système de contrôle continu, où le rythme est parfois un peu lourd à soutenir, et où le choix se pose ainsi : pour une matière Machinchose, on sait parfaitement qu'en bossant uniquement les exercices vus en TD, et uniquement cela, on peut avoir la moyenne. Rien de plus simple : quelques formules, explications basiques, contextes et rédactions à apprendre avant le contrôle. Cela ne signifie pas nécessairement que l'étudiant s'y connaîtra réellement dans le domaine Machinchose par la suite. Surtout qu'il aura mené une bonne stratégie afin d'obtenir une bonne note.
AJC
mardi, juillet 3 2007
20:20
Désolé pour le flood, mais c'est pour revenir sur un de mes anciens commentaires laissé sur ce blog. C'était au sujet de la tricherie.
— AJCBon, pour moi, l'élève qui triche est aussi méritant d'une bonne note que l'élève qui apprend par coeur. Les deux visent la bonne note, et sont obligés de comprendre un minimum de quoi parle un cours. Mais après cela, l'esprit critique et la curiosité tombent en panne.
Le problème, c'est qu'à l'heure actuelle, j'ai l'impression (En tout cas, jusqu'à mon petit niveau : L3.) qu'on est plus poussé à apprendre par coeur qu'à laisser vagabonder son esprit dans les méandres de la science économique, de ses multiples thèses, points de vue, théories, etc.
Et ce problème est lié également aux mathématiques : si, effectivement, des étudiants ne comprennent pas l'interêt d'utiliser telle ou telle formule, méthode, grille de lecture, que ça soit en raison du prof ou de leur manque de réflexion, ils n'ont uniquement qu'à viser une bonne note pour avancer, se foutant totalement du reste...
AJC
mardi, juillet 3 2007
22:55
Ceci n'est pas inintéressant : www.ederman.com/new/docs/...
— GizmoVu ici mahalanobis.twoday.net/st...
mercredi, juillet 4 2007
03:12
Bonjour,
— Arthurje suis un des auteurs de la lettre ouverte parue dans Libérartion, et j'aimerais apporter quelques précisions. D'abord, le titre ("Les étudiants en économie s'ennuient") n'a pas été ajouté par la rédaction de Libération. Je vous accorde volontiers qu'il aurait pû être plus alléchant. Parti comme un titre "provisoire", il répond pourtant à une réalité tellement consensuelle que personne -parmi les auteurs de la lettre ou parmi ceux qui l'ont lue avant publication- n'a pensé à le remettre en cause. Que les étudiants ne se plaisent pas dans les enseignements qu'ils reçoivent (au moins dans les premières années) à la fac est une réalité indéniable.
Vous dites que "l'économie néoclassique que nous pourfendons" n'existe plus aujourd'hui. Au niveau des enseignements reçus, c'est faux. Il suffit de se pencher un peu sur le contenu des enseignements de Licence. A Paris 1, comme au concours d'entrée à l'ENS Cachan (par exemple), l'équilibre général a la belle vie. Par ailleurs, dire que seul le formalisme mathématique est un gage de raisonnement rigoureux est réducteur. On pourrait presque affirmer l'inverse : sous prétexte de formalisation, on a tendance à nous servir un peu n'importe quoi (en n'oubliant l'hypothèse sur lesquelles elle repose par exemple). Enfin, la confrontation au réel me semble évidente. Tout simplement, parce que faire de l'économie, ça doit servir à quelque chose ! C'est évident une nouvelle fois, mais il faudrait le rappeler à ceux qui font des modèles théoriques très formalisés mais totalement inutiles...
mercredi, juillet 4 2007
10:57
@ACJ : En la matière, je suis bien d'accord que les exercices de micro sont arides, et qu'on peine, au moment, d'en voir l'intérêt. Les bons enseignants utilisent pour ces exercices des modèles d'articles, éventuellement simplifiés. Cela prend beaucoup de temps à faire au départ, cependant, et Gizmo a déjà amplement signalé le peu de cas qui était fait de l'enseignement dans de nombreuses commissions de recrutement. Au niveau L3, il est regrettable que les enseignants aient rarement l'audace de confronter les étudiants à du matériel véritablement exigeant, sans être à proprement parler de la recherche, comme par exemple les rapports du Conseil d'analyse économique.
@Arthur : Le principal problème de votre titre est qu'il introduit une confusion des genres. Le fait que l'ÉÉP soit mentionnée en premier a immédiatement conduit les enseignants à penser que l'année de M1 du Master APE était la première visée, et donc qu'il faudrait penser à y ajouter des cours. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas, en revanche je suis certain qu'en l'état, les incitations à travailler les cours comme il le faudrait ne sont pas optimales. Il en va d'ailleurs de même en M2, tous les doctorants issus du Master sont d'accord : il faudrait, pour bien faire, prendre le temps de lire attentivement trois ou quatre articles de recherche avant chaque séance de chaque cours. On a le temps pour cela, tant en M1 qu'en M2, mais pas l'habitude (pour les raisons d'organisation du premier cycle données plus haut, à savoir l'absence de confrontation précoce aux résultats de la recherche).
Concernant l'archaïsme des programmes des prépas B/L, je ne peux qu'être d'accord, et il en va sans doute de même d'un certain nombre de programmes de premier cycle. Il y a une raison structurelle à cela. À l'université, un sous-investissement chronique des enseignants dans le premier cycle (vous avez déjà vu un Professeur en titre faire un cours de premier cycle, vous ? Moi, pas avant le L3), avec le problème de rattraper les lacunes du secondaire (il faut commencer par rappeler ce qu'est une dérivée avant de pouvoir attaquer la micro) et d'avoir aussi des cours d'introduction aux filières plus professionalisantes (sous peine de perdre tous les étudiants au profit des filières de gestion). En ce qui concerne les prépas, j'ai déjà dit à quel point le porblème de compétence de nombreux enseignants, au moins à mon époque, était aigu.
Cependant, il ne faut pas non plus idéaliser la situation : je ne connais aucune filière où les étudiants se plaisent dans les enseignements qu'ils reçoivent en premier cycle universitaire. Les informaticiens se plaignent de devoir faire de l'algorithmique et du C plutôt que de coder vite et mal des applet java, les littéraires se plaignent des cours de grammaire et de stylistique, et aussi d'étudier autre chose aue leur littérature favorite (si tant est qu'ils aiment la littérature tout cours), les historiens des cours de méthodes leur enseignant les précautions nécessaires à prendre avec leurs sources,... Bref, un grand nombre d'élèves considèrent le L1 et le L2 comme la continuation du lycée, avec des enseignements subits et non choisis, un passage obligé, et donc fournissent un travail a minima qui empêche tant eux-mêmes que leurs enseignants de passer à ce qui est vraiment intéressant dans chaque matière.
En ce qui concerne l'économie néoclassique, j'aimerais bien avoir des exemples de cas dans lesquels, sous prétexte de formalisation, on vous a servi "n'importe quoi". Mon intuition est que vous n'avez pas saisi les enjeux de ce qu'on vous exposait. Ce n'est pas nécessairement votre faute : ils sont parfois tellement évidents pour l'enseignant qu'il oublie de les mettre en évidence, ce qui est une faute. Je le sais bien, ayant interpellé l'enseignante du cours de Micro I du M1 en lui disant "Qu'est-ce qu'on modélise, là, exactement ? Le village d'Astérix ?" quand elle s'est lancée dans l'exposé du modèle d'équilibre général sans production.
Sinon, pour avoir été en contact au Japon, puis à l'occasion à Paris, avec des laboratoires se revendiquant comme hétérodoxes, je suis bien obligé de reconnaître que c'est très nettement plus de ce côté que j'ai eu l'occasion d'entendre du n'importe quoi, avec de longs papiers ou exposés bavards, en retard de plus de trente ans sur l'état de la recherche, et surtout se noyant dans le discours au point de ne produire aucune idée ou proposition falsifiable. Or, en sciences, y compris humaines, il n'y a rien de pire que d'arriver à quelque chose qui n'est ni vrai ni faux.
Pour le dernier point, vous résolvez d'un trait de plume un débat séculaire. La recherche en économie doit-elle servir à quelque chose ? Rien n'est moins sûr. N'est-ce pas plutôt quand l'économiste se mêle d'être le conseiller du Prince qu'il fait les pires erreurs ? Pourquoi demander à l'économiste ce qu'on ne demande ni au mathématicien, ni au physicien, ni au sociologue, ni à l'historien ? Il faut donc que vous réfléchissiez très précisément à ce que veut dire "servir". S'il s'agit de mieux comprendre les mécanismes d'allocation des ressources rares dans les sociétés humaines, je suis d'accord. Si vous voulez dire que tout programme de recherche en économie doit déboucher sur des recommandations de politique économique, je vous mets en garde contre la tentation de jouer l'apprenti-sorcier.
Enfin, comme je l'ai dit dans mon billet, l'économie, sous la forme de l'économétrie et de l'économie empirique, a poussé très loin la confrontation avec le réel, s'attachant à produire des énoncés testables par confrontation avec les données, et développant des protocoles de production et d'analyse des données assurant que la confrontation se fait bien avec le réel, et pas avec un artefact de construction des données. Or, pour produire des énoncés testables, il faut des modèles formalisés.
— Mathieu P.jeudi, juillet 5 2007
14:09
@ Mathieu P.: Je partage tres largement ton point de vue (j'ai redige une bafouille sur Ecopublix sur le sujet). Mais j'aurais tendance a y voir aussi une consequence des problemes de l'universite francaise et de l'image de l'economie dans le debat public. Meme si je conviens volontiers n'avoir pas compris grand chose lorsque j'ai comme toi (avant toi) participer a ce genre de contestation, je l'avais fait au depart de bonne foi. C'est la derive ideologique de ce genre de mouvement qui elucide de vraies questions sur l'enseignement de l'economie. Tant qu'il n'y aura aucune incitation pour les enseignants de passer du temps a faire des cours de qualite, il ne faudra pas etre surpris par ce genre de reaction.
— Petitsuixjeudi, juillet 5 2007
22:27
Non la formalisation n'est pas utile. Elle n'est utile qu'à la minorité de ceux qui deviendront effectivement des économistes ou qui travailleront dans les métiers de la statistique (actuaires, etc.). Mais pour la majorité de ceux qui travailleront dans la gestion, le commerce, l'administration, l'enseignement, tout cela ne sera que perte de temps. L'université est centrée sur l'élite mais laisse insatisfait la plupart de ceux qui arrêtent en licence, en M1 comme on dit maintenant voire même en M2 pro. La critique des étudiants est donc légitime dans la mesure où l'on ne découvre l'ensemble des débats théoriques et pratiques qu'en préparant le capes ou l'agrégation.
— gregjeudi, juillet 5 2007
23:38
@ Petisuix : Merci, en fait, ton billet est de bien meilleure tenue, et bien mieux informé que celui-ci. Mon opinion n'a d'intérêt que dans la mesure où je suis passé d'un refus primaire de l'économie néoclassique à une thèse d'économie théorique dans un laboratoire du même métal.
— Mathieu P.@Greg : soyons sérieux trente secondes : les auteurs de la lettre (il se trouve que j'en connais certains) sont tous dans un Master estampillé "recherche". Ne leur faites par dire ce qu'ils ne peuvent pas raisonnablement soutenir.
vendredi, juillet 6 2007
08:13
"Soyons sérieux"... c'est vrai que, bien que je ne partage pas les convictions des auteurs de cette lettre, ce ton condescendant, voire méprisant (qu'on retrouve en bien pire chez Alexandre Delaigue, dont le dernier billet, quoique fort spirituel et pas si bête, ne l'honore donc pas à mon avis) commence à m'agacer un peu... !
— EmmelineGreg n'a pas foncièrement tort : le Master en question (il me semble au demeurant que cette lettre avait une visée plus générale, et que ses auteurs ne se sont réclamés d'APE que pour asseoir leur légitimité) est certes estampillé "recherche", mais son but avoué (par le directeur lui-même) est de préparer les étudiants à être actifs au sein de grandes institutions internationales - si effectivement la seule formation de ces futurs experts et décideurs est des équations mathématiques, on s'explique un peu mieux les déboires constants du FMI ! (il s'appelle d'ailleurs "Analyse et Politiques Economiques", tout un programme !)
Alors, l'avant-dernier paragraphe de votre commentaire 9, pourquoi pas ? mais un peu de cohérence ! que l'on nous dise clairement que l'économiste (version chercheur) n'a pas à être le conseiller du prince, qu'il fait juste de jolis systèmes complets comme peut en faire un philosophe, mais qui n'ont pas vocation à décrire le monde réel, ni même le village d'Astérix, qu'il fait de la recherche pour l'amour de la recherche... mais qu'on comprenne après la déception, la frustration des étudiants que personne n'a avertis, plutôt que de les regarder de haut ! Les gens ont le droit, après tout, de n'avoir pas l'amour de la recherche chevillé au corps...
J'ai la chance d'avoir fréquenté la même année ces deux extrêmes du domaine "économie-gestion" (d'ailleurs, pourquoi devrait-on regrouper les deux ?) que sont HEC et le Master APE. Très franchement, entendre une chercheuse de Jourdan dont je ne citerai pas le nom affirmer bien haut qu'il faudrait supprimer l'ENA et prendre à la place des énarques des économistes comme experts qui connaissent la vie, et (plus ou moins, là -mais juste là- je caricature un brin) que d'ailleurs seuls les économistes devraient avoir le droit de vote, et si possible choisir Sarkozy (non pas pour les mesures qu'il a annoncé qu'il fera, mais pour celles que Blanchard pense qu'il fera, c'est-à-dire l'opposé - pour le moment Blanchard s'est planté !), avant 5 minutes après de clamer que les grandes entreprises sont les seules présentes dans le BTP (à titre d'exemple, en Bretagne il y a en 2005 plus de 20 000 TPE et PME locales actives dans ce secteur, 400 d'envergure régionale et 100 d'envergure nationale)... ça m'a fait froid dans le dos !
vendredi, juillet 6 2007
09:26
Deux choses à la lecture des billets proposés sur les blogs (ici, chez éconoclaste et écopublix).
— L'Ariégeois1) Y aurait-il quelques réglements de compte ?
2) Le problème posé semble parisionno-parisien...non?
vendredi, juillet 6 2007
18:55
greg : "Non la formalisation n'est pas utile. Elle n'est utile qu'à la minorité de ceux qui deviendront effectivement des économistes ou qui travailleront dans les métiers de la statistique (actuaires, etc.). Mais pour la majorité de ceux qui travailleront dans la gestion, le commerce, l'administration, l'enseignement, tout cela ne sera que perte de temps."
— Antoine BelgodereAh... l'inflation scolaire... ne vous en déplaises, elle sert à selectionner les bon employés, capables d'être suffisamment bosseurs et intelligents pour résoudre ce genre de petits problèmes. Le marketing, le management, la GHR, beaucoup plus en phase avec les activités futures des étudiants, ne permettent hélas pas de sélectionner les bons. C'est le secret des grandes écoles. 2 ans de maths hyper hard en prepa, sans même l'excuse de les faire entrer dans des modèles économiques. Ensuite, on met le pied à l'étrier à ceux qui ont passé le filtre (cours de gestions, stages, etc). Si les facs d'éco supprimaient la formalisation, les cours seraient sans doute moins rébarbatifs, mais les taux d'insertion professionelle en pâtiraient beaucoup.
vendredi, juillet 6 2007
21:51
@ Mathieu P : Les étudiants frondeurs ne parlent pas que pour eux-mêmes, ils représentent l'ensemble des étudiants d'économie. Leur avantage c'est leur crédibilité dans leur critique : quand l'élite des formations éco discrédite l'enseignement c'est d'autant plus inquiétant sur la formation dispensée.
— greg@ Antoine Belgodère : la sélection est nécessaire mais elle peut prendre d'autres moyens que le recours aux mathématiques. Dans les prépa, on distingue justement l'enseignement économique des mathématiques. Les étudiants ont donc des cours intéressants, qui donnent sens à leur semaine (histoire, économie) et des cours de mathématiques qui servent à se distinguer. Dans ce cas, l'usage des maths est cohérent. Mais pour "tous les autres" de fac, on peut sélectionner sur l'expression écrite, sur la maîtrise de la rhétorique, sur la maîtrise des savoirs, sur la construction du savoir, sur d'autres compétences que les mathématiques. N'y a-t-il pas des auteurs à connaître, des résultats de recherche, des débats à maîtrisés, plutôt que des tonnes d'équations sans intérêt ? A quoi servent les courbes d'indifférence et autre ? Au bout de 4 ans, on est toujours pas à niveau, et le capes/capet ou l'agrégation sont alors l'étape de la révélation, de la découverte de l'économie... toutes ces années perdues...
vendredi, juillet 6 2007
22:05
Si j'ai bien compris, il faut bien qu'il y ait une sélection et celle-ci passe par les maths. Mais, question naïve, ne serait-ce pas possible de sélectionner les étudiants en économie... par l'économie ?
— PierreJe m'étonne surtout parce que vous semblez être d'accord sur le faite que toutes ces maths ne serviront qu'aux futurs chercheurs. C'est donc un peu comme si on sélectionnait les étudiants en histoire par le latin et le grec ancien...
samedi, juillet 7 2007
14:54
@ Pierre : bien vu ! C'est cela, ou presque... c'est comme si en "lettres" on faisait beaucoup de latin, de grec, que l'on faisait des traductions à n'en plus finir, si on ne faisait que de la "théorie" sur la biographie, sur la narration, beaucoup de grammaires et qu'on ne demandait pas aux élèves de lire des oeuvres !
— gregsamedi, juillet 7 2007
21:47
Hum... les étudiants en économie sont sélectionnés par l'économie. Que ça vous plaise ou non, les cours de micro qui vous gonflent sont de l'économie. L'économie est aujourd'hui une discipline très formalisée. Pour vous en convaincre, ouvrez une revue d'économie. Quant aux étudiants qui s'inscrivent en économie sans s'intéresser à l'économie, qu'ils se rassurent, la filière économie propose de bons débouchés professionels... grâce à la selection par les maths qui y est pratiquée.
— Antoine Belgoderesamedi, juillet 7 2007
22:31
@AB
— MarkssIl manque quand même de bons cours du type "Principles of Economics" dans les premières années de la fac. Pour ma part, mon expérience à Nanterre en L3-M1 est que l'évaluation la plus "juste" que j'ai connue, qui était aussi mon meilleur cours, c'était de l'économie de la croissance, très mathématisée, mais évaluée surtout sur la compréhension de la signification économique des équations. Contrairement à ce que semblent croire certains commentateurs, l'un n'exclut pas l'autre. J'y avais d'ailleurs aussi des cours "hétérodoxes" où l'on pouvait avoir 17 sans jamais être allé au cours, et où la petite expérience du khagneux sachant écrire suffisait à convaincre l'examinateur avec une dissertation bien tournée, là où ceux qui n'avaient connu que la fac étaient plus démunis dans ce genre d'exercice, qu'ils n'avaient jamais formellement appris. Je crois que ce genre d'évaluation est bien plus injuste, inutile et "non économique" qu'un exercice de maths bien commenté.
samedi, juillet 7 2007
22:48
Pour le "principles of economics", j'incline à penser que ça dépend des facs, et aussi des profs. Ce serait bête de prétendre qu'il est impossible de tomber sur des enseignants peu pédagogues pour les deux ou trois premiers semestres d'une licence. Après, il faut arrêter aussi de faire croire qu'il n'y a que des maths et de la micro dans les premiers mois. je vais sur le site de la filière éco à la sorbonne. D'abord, j'observe qu'il y a la possibilité de prendre, à côté de "licence d'économie", des choses hybrides comme "économie et sociologie" ou "économie gestion" ou "économie-droit". Ensuite, quand je vois le programme de la licence d'économie pure, dispo ici :
— Antoine Belgoderewww.univ-paris1.fr/lmd/fi...
que vois-je ? "Introduction générale à l'économie" (=Principles of Economics ?), "Economie descriptive", "Histoire économique contemporaine", "éco du budget, de la fiscalité, de la protection sociale", etc... à côté de la micro et des maths. On est loin de l'image donnée par les gens qui cherchent à faire croire qu'il n'y a que des multiplicateurs de Khun tucker pendant 1 an.
samedi, juillet 7 2007
23:08
@Markss : les commentateurs ne croient pas que la formalisation poussée exclue la compréhension et l'interprétation des résultats. Ils relèvent qu'un mauvais enseignant ne fera pas nécessairement le lien entre les deux.
— Gizmo@tous : dans de plus en plus d'universités (mais est-ce répandu à Paris ?), se développent des modules de "jeux pédagogiques" proches de la simulation expérimentale, en cycle L généralement (mais on pourrait concevoir des jeux au niveau M). L'approche ludique permet de s'affranchir de la notion de performance (ce qui ne va pas sans difficulté lorsque les maquettes prévoient qu'à chaque unité d'enseignement (UE) doivent correspondre des "crédits" et une note). Toujours est-il que, d'expérience, je trouve que cette approche participative est très efficace : les étudiants peuvent vraiment toucher du doigt les concepts d'élasticité, de demande, d'équilibre de marché, d'externalité, de duopole de Hotelling, voire même des concepts macroéconomiques (le concours de beauté de Keynes). Ils sont moins inhibés dans les discussions qui suivent les jeux, que dans un TD traditionnel. La question de savoir si les étudiants réussissent mieux aux examens lorsqu'ils ont bénéficié d'un enseignement accompagné de jeux pédagogiques est encore controversée. Le spécialiste français de la question est Nicolas Eber, IEP de Strasbourg. Voir : ses.ens-lsh.fr/document/a... et les références en bibliographie. En tous cas, je crois qu'aucun de mes étudiants ne s'est ennuyé pendant ces jeux ; certains jeux donnent même lieu à de franches rigolades...
dimanche, juillet 8 2007
23:28
Gizmo, vous m'évoquez un souvenir assez rigolo... deux desdits jeux en classe de M1, jeux destinés à un public de néophytes, public qui ne l'était pas et savait exactement quels résultats on lui demandait implicitement de retrouver "expérimentalement". Je vous laisse imaginer le résultat !
— Emmelinedimanche, juillet 8 2007
23:48
Mathieu P :
— AJCMais tu vas écrire "AJC" correctement un jour ? :oD
Sinon, en L3, ça s'améliore largement. (Enfin, de mon point de vue.) On commence à voir le bout du tunnel dans une majorité (Toutes ?) de matières. (Disons que c'est en L3 que je me suis d'un coup ré-intéressé à tout ce qui était matheux. Et en fin L1-L2, pour la microéconomie.)
Me semble que ce biais se trouve en L1/L2 et surtout, le gros souci se trouve au niveau des vulgarisateurs et des pensées "tendance" en économie : commencer à découvrir l'économie avec Maris, Georgescu-Roegen et sa décroissance, et Alter Eco, ça donne nécessairement une vision particulière de ce qu'il y a "au-dessus" de la première (Voire seconde.) année d'étude en économie.
Amicalement,
AJC
lundi, juillet 9 2007
11:54
Concernant les débouchés professionnels pour les économistes, ils sont, à ce que j'en ai vu, de trois ordres :
— Mathieu P.- l'expertise, au sein des grandes institutions et des grandes entreprises. Soit il faut savoir ce qui a été essayé, quels sont les prérequis pour que certaines solutions fonctionnent, et l'évaluation des solutions. Il faut donc certainement une dose de sciences politiques, mais aussi savoir lire les papiers de recherche (avec des équations dedans) et comprendre les stratégies économétriques d'valuation (équations);
- l'économétrie pure et dure;
- la recherche. Concernant ce poste, j'en ai déjà dit ce que j'en pensais, et je rejoins Alexandre Delaigue quand il parle de thèses de 900 pages de galimatias marxisant. Ce n'est pas la règle universelle de ceux qui refusent la formalisation, mais c'est hélas très, très répandu. Pour avoir assisté récemment à un colloque à l'INA sur les nouveaux médias et la propriété intellectuelle, j'ai bien pu mesurer combien le refus de la formalisation conduisait souvent à ne produire que du discours creux.
@ Greg : L'idée que les étudiants signataires représentent tous les étudiants en économie me fait très franchement rigoler. De vrais étudiants en L1 d'économie, j'en ai des TD entiers, et je peux vous dire qu'il ne s'agit pas, mais pas du tout, du même public que celui des signataires, qui sont à des distances considérables de ces gens-là. Preuve en est l'intervention de Gizmo, qui démontre qu'ils ignorent tout des programmes de L1 et L2. En tant qu'ancien préparationnaire, je sais combien ceux qui sortent de prépa sont mal placés pour s'ériger en porte-parole des élèves de premier cycle universitaire. À ce titre, un commentaire à l'article de Libé était très juste : ce que voudraient les étudiants en L1 d'économie, ce sont des maths financières, du management, de la gestion. Pour avoir essayé, les inégalités de revenu en France, le chômage ou les autres grandes questions économiques, cela les laisse complètement froids. Donc effectivement, problème parisiano-parisien d'élèves de formations sélectives qui se sont retrouvés, parfois un peu malgré eux, dans une formation "Recherche" qui n'a pas vocation à donner une culture générale en économie, mais à produire des chercheurs et des experts, et s'est placée pour ce faire sur le créneau de l'exigence, plutôt que sur celui de l'omniexpertise en n'importe quoi, déjà bien occupé par d'autres formations que tout le monde reconnaîtra. Quant aux débats à maîtriser et aux résultats de recherche, ils s'expriment justement sous forme d'équations et de commentaires desdites équations.
lundi, juillet 9 2007
13:57
@ Mathieu P. : Greg a raison dans le fond. Même s'il est sans doute exagéré de dire que l'on représente tous les étudiants en économie, il est certain qu'on en représente une large majorité. Que les étudiants s'ennuient en cours de micro (et pas que !) est une réalité avérée. Vous dites que nous ne connaissons rien des programmes de L1 et de L2 ? Erreur. J'ai moi-même été étudiant à Nanterre et à Paris 1, et l'épanouissement intellectuel était rare. Vous citez les programmes de Paris 1 en affirmant que les enseignements ne correspondent pas à la vision de l'enseignement de l'économie que nous décrivons. La théorie néoclassique (et l'enseignement formalisé qui constitue trop souvent son corollaire) y reste très présente, malgré la présence de certains profs talentueux. Il y a quelques années, dans cette fac, une liste Autisme-Economie s'est présentée aux élections de l'UFR d'économie et est arrivée en tête, pouvant ainsi chercher à influer sur les maquettes d'enseignement. Je vous invite à aller ici www.autisme-economie.org/... pour voir ce que nous proposons.
— Arthurlundi, juillet 9 2007
17:42
Je viens de lire les textes en question. Essentiellement, il me semble :
— Mathieu P1) Que vous voulez faire la part belle à des approches très marginales, supposées "bonnes" face à la "mauvaise" économie néolassique. Comme je l'ai dit ailleurs, si ces approches sont marginales, c'est qu'il y a une bonne raison : elles suppose d'abord de très bien connaître l'approcge la plus répandue (qui n'a plus grand-chose de néoclassique, je le repète : vous vous battez contre un moulinb à vent);
2) Que vous voulez mettre la charrue avant les boeufs en commençant par les débats internes à la science économique avant d'en avoir vu les outils. Or, la compréhension de ces débats repose sur la très bonne maîtrise des outils. Pour avoir essayé de faire comprendre à des étudiants les graves problèmes méthodologiques posés par le BIP 40 (cf l'article d'Optimum sur le sujet), j'ai mesiré toute l'ampleur du problème.
3) Je suis très très dubitatif face à la demande de pluridisciplinarité. Il est déjà difficile d'être bon dans un domaine, alors en maîtriser plusieurs... Cela me semble d'une part utopique au regard du niveau des étudiants que j'ai en TD, et d'autre part très, très éloigné des attentes des étudiants en question (la curiosité intellectuelle est le cadet de leurs soucis, ils veulent une formation qui les conduisent à des emplois bien payés).
Je reviens donc à la charge sur ce point essentiels : vous mélangez ce qui est de l'ordre de la formation des chercheurs et ce qui est de l'ordre de la formation par la filière d'économie à des débouchés professionels.
lundi, juillet 9 2007
18:47
Question (vraie, pas rhétorique) : on ne pourrait pas commencer par distinguer étudiants en éco-éco et étudiants en éco-gestion ?
— Emmelinelundi, juillet 9 2007
19:05
@Emmeline : bonne question, pas rhétorique. Hélas, je ne sais pas ce qu'est la gestion, hormis la comptabilité. Les fondements du marketing, c'est de la différenciation et/ou de la discrimination par les prix, plus de l'économétrie des données de panel. Les fondements de la stratégie, c'est de l'économie industrielle. La gestion des ressources humaines s'appuie sur de l'économie du travail. Quant à la finance, c'est aussi bien de la gestion que de l'économie. En revanche, si on crée des filières L d'éco-éco et des filières L d'éco-gestion, alors on peut rapidement fermer 80% (? ; en tout cas, une bonne proportion) des départements d'économie en France. Est-ce une bonne chose ? Personnellement, je ne le pense pas. Je pense que l'apprentissage de l'économie est très formateur, même si on ne se destine pas à une carrière de chercheur. Mais, bon, s'il le faut, je suis prête à faire des cours d' "analyse stratégique de l'entreprise sportive" ou de "gestion des fins de carrière"...
— Gizmolundi, juillet 9 2007
19:26
Aïe... mon mal vient de plus loin, comme dirait l'autre ! dans mon ignorance assez crasse du monde de la fac, je croyais sincèrement qu'il y avait déjà des licences écoéco et écogé (il me semble du moins que c'est ce que m'ont toujours dit ceux de mes amis -assez rares, je dois le dire- qui avaient choisi ce cursus), et ma question signifiait donc "dans ces échanges bloguesques, on pourrait distinguer bla bla bla...".
— EmmelineDès lors, je me tais et je suis d'accord. Mais la GRH c'est aussi un peu de psychologie, beaucoup de code du travail... et je suis sûre que Gizmo serait excellente à expliquer à ses élèves fascinés comment mettre à la retraite d'office les gens qu'on ne veut plus payer ! Plus sérieusement, je trouve très bien que la fac ne tombe pas dans certains insupportables travers (le "pratique" à tout prix, même s'il est souvent beaucoup plus "pipeau" que la théorie) des écoles de commerce, et je m'estime chanceuse d'avoir eu droit (au moins partiellement) aux deux enseignements - d'ailleurs (ça fera plaisir à certains...) c'est en ce moment (en entreprise privée et tout, hein...) le côté fac qui me sert le plus, et de loin. Il n'empêche qu'à mon avis nombreux sont ceux qui se dirigent en licence d'économie en croyant qu'on va leur apprendre, précisément, ce que sont comptabilité, stratégie, etc... en fait, pas mal de choses qu'on retrouve de-ci, de-là sur certains blogs... et j'ai bien peur que ceux-là, effectivement, "s'ennuient" !
lundi, juillet 9 2007
21:25
@Gizmo
— Cyril"En revanche, si on crée des filières L d'éco-éco et des filières L d'éco-gestion, alors on peut rapidement fermer 80% (? ; en tout cas, une bonne proportion) des départements d'économie en France".
C'est malheureusement ce qui attend bon nombre de filière science éco en France à partir de L3 (là on sépare éco et gestion). Il n'y a qu'à voir à quelle vitesse les effectifs fondent depuis quelques années et je ne parle même pas des master pro. Il faut dire que le système LMD n'arrange rien (suppression du concours Message par exemple). C'est d'ailleurs une question qu'il faudrait prendre au sérieux dans ce débat sur l'enseignement de l'économie.
Sinon sur l'opportunité "d'ouvrir" un peu les enseignements d'éco à d'autres disciplines ou d'autres courants... Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été dit ici ou là sur la nécessité de maîtriser les "fondamentaux", que l'on se destine à faire de la recherche ou pas. Et c'est un doctorant "hétérodoxe" en histoire de la pensée qui le dit ! Les maths c'est chiant mais c'est utile et il en faut... mais cela n'empêche pas une certaine ouverture, au moins à partir de la licence 3. L'argument "il est déjà difficile de maîtriser une discipline alors plusieurs" n'est pas fondé : de toute façon, une vie ne suffirait pas à maîtriser l'économie dans son ensemble. L'interdisciplinarité quand elle est bien utilisée permet de faire de la meilleure éco.
L'ouverture sur les approches hétérodoxes pose la question du pluralisme méthodologique... Qu'il soit souhaitable pour des étudiants de L1 ou L2 de les étudier je n'en suis pas sur... mais à partir de L3 ou M1, cela me parait souhaitable, en tout cas pour certaines d'entre elles.
A cet égard, je voudrais faire remarquer que hétérodoxes n'est pas synonyme "d'anti-maths" : les travaux post-keynésiens ou évolutionnistes sont mathématisés, même certains travaux institutionnalistes ont recours à des simulations informatiques (www.geoffrey-hodgson.info... Le clivage orthodoxe/hétérodoxe implique bien d'autres choses qu'un simple rejet des mathématiques : c'est l'objectif même de la théorisation qui est différent (d'ailleurs, de mon point de vue, l'approche néoclassique et certaines approches hétérodoxes sont complémentaires). Mais ça, pour que les étudiants le comprennent, il faudrait que les profs des deux bords le comprennent aussi.
mardi, juillet 10 2007
10:34
Merci Cyril de souligner la confusion qui s'était progressivement installée entre l'offre de cours de niveau L et celle de niveau M. En M, effectivement, il y a certainement la place pour des cours portant sur des approches alternatives. C'est le cas du Master APE que suivent un certain nombre des signataires de la pétition. Le problème, régulièrement souligné, est que les cours en question sont posibles dans l'année de M2 (car année très à la carte) alors que le pic de rejet de la formalisation par les étudiants vien en milieu d'année de M1 (où on peut s'interroger sur l'opportunité d'imposer de tels cours à tout le monde).
— Mathieu P.jeudi, août 2 2007
16:03
Je viens de terminer ma licence AES critiqué par certains sur ce blog. Je suis très satisfait de l'enseignement que j'ai recu et je pense que la multi pluri machin qu'elle propose est pertinente pour comprendre les mécanismes économiques : savoir ce qu'est qu'un contrat en terme juridique par exemple.
— ThomasSur l'enseignement de micro : dispensé par un enseignant qui n'aimait pas cette discipline (il semble que se soit un hétérodoxe passionné d'économie sociale et solidaire) j'y ai été plutot hermétique malgré la simplicité des équations proposées (oui les math ne sont pas mon fort).
C'est en L3 que l'étude du marché du travail m'a fait comprendre les enjeux de la micro grâce a un enseignant passionnant. Celui-ci a réussi à faire passer les modèles par le discours à une classe totalement réticente aux mathématique et j'ai pour la première fois de mon cursus eu le sentiment de faire de l'économie. Vous savez celle des vrais économistes.
Le but de ce commentaire était d'aborder un point qui n'a pas été évoqué : l'ignorance totale de ce qu'est l'économie par les élèves de terminale ES. En effet pas une seule fois il n'est suggéré que l'économie est une science sociale basée sur des modèles mathématiques (suite à cette ignorance et à d'autre raison plus personnelle j'ai mis de côté les math pendant mes 2 années de 1ere et terminale ES chose que je regrette amèrement).
Peut être est-ce la une des causes de l'ennui des étudiants de licence SES.
J'aimerais soulever un autre point : comment se fait-il qu'un bac intitulé Science ECONOMIQUE et Sociale soit moins utile qu'un bac S pour continuer dans l'économie? Il me semble que cet intitulé est trompeur et peut engendrer des mauvais choix d'orientaion chez les lycéens comme cela a été le cas pour moi....
jeudi, août 2 2007
21:51
@Thomas : Concernant la filière AES, j'ai eu deux sons de cloche. L'un, venant du service d'orientation de mon université, est assez positif en termes de débouchés. Il est présenté comme conduisant pour la plupart des étudiants (enfin, ceux qui vont jusque-là) comme conduisant à des licences pro dont les débouchés sont larges et relativement demandés, et pour les meilleurs à des master pro d'une bonne tenue. Inversement, des lecteurs de ce blog ont présenté la filière AES comme une voie de garage de donnant aucune qualification.
Mon impression est que la filière AES n'étant nulle part considérée comme très importante, l'orientation et le contenu qui lui sont donnés varient énormément d'une université à l'autre (au temps pour le caractère national des diplômes, soit dit en passant). À Paris 1, la spécialisation en ressources humaines, ainsi que l'implication d'une partie de l'équipe enseignante à en faire une filière formatrice, peut expliquer son relatif succès à la sortie. Il faut toutefois noter que l'équipe en question remarque depuis quelques années une baisse assez sévère du niveau, qui remet en cause la crédibilité des titres décernés.
Ce qui m'amène à votre deuxième point : le problème de la formation des élèves de la filière ES dans les lycées a été souvent évoquée en filigrane sur ce blog. En gros, l'impression dominante des enseignants du supérieurs est que l'agrégation de sciences sociales (qui fournit le gros des enseignants d'économie du secondaire) étant essentiellement passée par des sociologues (les économistes ont plus de débouchés), souvent peu à l'aise avec l'économie en général et le formalisme mathématique en particulier, et préférant donc les explications en termes d'économie sociale, qui leur permet d'employer leurs cadres d'analyse habituels. Plusieurs enseignants se sont, à juste titre récrié que tel n'était pas leur cas, mais sans, à mon sens, vraiment démentir que l'enseignant de SES du secondaire compétent en économie était l'exception plutôt que la règle.
Vient enfin la question de la filière elle-même. Je ne connais pas les conditions de création de la filière ES. A-t-on voulu créer une filière pro qui ne dirait pas son nom (le cas actuel) ou une filière d'humanités modernes pour dégager un espace entre une filière L progressivement délaissée par les bons élèves (en partie parce que très limités dans ses débouchés) et une filière S qui devenait le passage obligé pour des études supérieures ? En tout état de cause, j'ai cru remarquer que les conseils d'orientation visaient bien plus souvent à remplir les classes de telle ou telle filière dont le maintient était jugé nécessaire par les chefs d'établissement que l'intérêt des élèves. Ce défaut d'information sur l'orientation, encore plus accentué dans l'enseignement supérieur, est une plaie béante du système éducatif français que beaucoup de monde feint d'ignorer.
En tous cas, je suis heureux que vous ayez fini par rencontrer un enseignant suffisamment motivé et doué pour vous faire aimer la microéconomie et vous faire comprendre quel intérêt avait le formalisme mathématique employé à bon escient.
— Mathieu P.vendredi, août 3 2007
19:45
Mathieu P., vous avez fait une Terminale S, une Maths Sup et une B/L à Henri IV (autant d'endroits où vous avez certainement ingurgité des maths à haute dose). Vous ne savez visiblement rien de ce qu'est une Terminale ES (certainement pas une filière pro ! les bacs technologiques et professionnels, ça existe, et l'équivalent "pro" des SES est le bac STG), éventuellement quelque chose de ce qu'en retirent les élèves qui vont ensuite en AES. Ne faites pas ce que vous reprochez aux étudiants de Sciences Po, et contentez vous de parler (bien) de ce que vous connaissez (bien).
— Emmelinevendredi, août 3 2007
20:39
@Emmeline : Je parle, il est vrai, de ce que je ne connais pas directement... encore que : étant dans un lycée polyvalent (un des plus mal classés de l'académie au demeurant), j'ai eu l'occasion de voir comment dans certains établissements la filière ES servait de leurre à parents qui ne voulaient pas entendre parler de filière pro. Je pense qu'à ce niveau, beaucoup de choses dépendent de la politique d'orientation des collèges et des lycées. Je vois aussi en filière économie mes élèves avoir de gros problèmes sur des choses mathématiquement assez simples, comme le calcul de d'un indice de Gini à partir de quantiles de revenu. Je suis tout prêt à admettre qu'ils ne sont pas représentatifs de la filière ES. Mieux, je pense que la filière ES pourrait être d'une niveau bien meilleur que ce qu'elle est actuellement : il est regrettable qu'une poignée seulement d'élèves issus d'ES aillent en B/L, et encore la plupart peinent beaucoup.
Ceci dit, l'enseignement de SES en secondaire est fréquemment évoqué sur ce blog, essentiellement depuis une perpective ''ex post''. Je serais intéressé par d'autres impressions d'étudiants passés par là et venus ensuite à l'économie dans le supérieur.
— Mathieu P.samedi, août 4 2007
11:10
"Je serais intéressé par d'autres impressions d'étudiants passés par là et venus ensuite à l'économie dans le supérieur."
— Heu...Eh bien, c'est mon cas :j'ai fais un bac ES, à la sortie du lycée je ne savais pas trop quoi faire mais j'appréciais l'esprit pluridisciplinaire des SES. C'est cette recherche de pluridisciplinarité qui m'a fait aller en AES (dans une petite fac de province proche [surtout de puis le TGV] de Paris - je vous laisse deviner laquelle). L'autre option c'était de tenter sciences po mais je pense que je n'aurais pas eu le concours.
J'ai fais mon cursus en entier, jusque la maitrise, option Ressources humaines, avec mention B à chaque fois. Au départ, le caractère pluridisciplinaire est vraiment appréciable, même si les matières juridiques étaient peut être un peu trop importante. Par contre, je pense que l'année de maitrise est de trop en terme de pluridisciplinarité, surtout qu'à ce moment je commençais sérieusement à apprécier l'économie (au passage, la réforme LMD a au moins eu un aspect positif puisque maintenant la filière AES s'arrête à la licence). L'année suivante j'ai fais un DEA d'éco dans ma fac (mais j'étais pris à Paris X et à Paris I dans 3 DEA en tout, preuve qu'une maitrise AES ce n'est pas si pourri) puis j'ai enchainé sur une thèse d'éco. Etant donné que je n'ai pas eu d'allocation, je me suis dit qu'il serait bon de passer un concours de l'enseignement en parallèle histoire d'assurer mes arrières. J'ai donc passé l'agreg d'éco-gestion (option gestion administrative, en gros RH) que j'ai raté d'un rien la première fois et que j'ai largement eu cette année (devant plusieurs normaliens :-) ). Je continu ma thèse cette année en tant qu'ATER ce qui me permet de valider mon stage sans passer par l'iufm (ouf!).
Voila pour mon histoire perso. Je raconte tout ça afin d'en finir avec cette idée suivant laquelle la filière AES ne mènerait à rien. Tous mes amis qui ont été avec moi jusque là maitrise ont aujourd'hui un emploi (maitrise en 2004), la plupart ayant fait un DESS (dans des domaines variés : rh, logistique, domaine de la santé etc) ou passé des concours administratifs. Certes, il est rare de rentrer directement comme cadre, mais c'est plus la faute aux dess (master 2) qu'à la maitrise. Pour ma part, si j'ai pu avoir l'agrégation sans suivre de préparation spécifique (et alors qu'il n'y a jamais eu aussi peu de poste) c'est largement grâce à ma formation initiale dont la pluridisciplinarité m'a appris à être à l'aise dans plusieurs matières.
Ayant fait AES, la transition par rapport à l'économie du lycée a été douce. On a fait de la microéconomie mais à dose bien moins soutenue qu'en filière éco. Evidemment, j'ai eu des lacunes que j'ai été obligé de rattraper, mais quand on est motivé ce n'est pas un problème. Ce que je peux dire, c'est que mes cours de SES m'ont laissé un bon souvenir mais que, rétrospectivement, ils me semblent quand même parfois un peu superficiel en économie. La faute à mon avis à un programme très important et peut être, aussi, à une trop forte exigence envers des profs (la plupart du temps "seulement" certifiés) à qui l'ont demandent d'enseigner plusieurs matières (éco, socio, mais aussi sciences politiques et des éléments d'histoire et d'anthropologie).
samedi, août 4 2007
11:30
Désolée pour ce coup de grogne... effectivement, ce qu'est la ES dépend essentiellement, d'abord des élèves, donc de l'établissement qui a finalement la dernière main dans la répartition et en deuxième position seulement des professeurs. Moi-même ai connu, personnellement et à Henri IV, la transition entre ES "choisie" et ES "subie" (qui comme par hasard a coïncidé exactement avec le changement de proviseurs) ; par ma mère, à moult reprises membre de commissions d'appel, la position sur ce sujet d'une petite dizaine de lycées parisiens ; par mes camarades/connaissances post-bac, la version banlieue et province... D'ailleurs, au vu des évolutions récentes (désolée de vous renvoyer ainsi au rang des dinosaures, mes 6 ans de moins m'en donnent le droit !), c'est plutôt la L qui devient de plus en plus la dernière chance des rétifs au bac technologique (la filière pro c'est encore tout autre chose, et ça se décide généralement en fin de 3e, pas de Seconde).
— EmmelineDe cela, je vois que la majorité des profs de SES sont effectivement de gauche (y compris parmi ceux qui ont reçu une formation d'économiste), et que ce sont finalement les madelinistes purs et durs qui sont les seuls à recourir à la formalisation mathématique... et n'aboutissent qu'à en dégoûter leurs ouailles !
A 17 ans et sans la moindre connaissance du monde de la recherche, et à moins d'avoir eu droit (j'ai eu cette chance en terminale, mais encore avais-je comme prof un MCF de Sciences-Po ! lycée privilégié quand tu nous tiens...) à plusieurs heures d'épistémologie sur ce qu'est la science économique - à ne pas confondre avec l'économie - c'est à dire quelque chose qui a vocation non pas à reproduire le réel mais éventuellement à l'expliquer, avec en plus les railleries affichées des profs de maths sommés de faire un ou deux exos de micro au cours de l'année, on en conclut vite que les maths en économie, c'est du pipeau fini ! En comparaison, les clés (prémâchées) de lecture du monde données par l'enseignement de SES (qui offre quand même l'immense avantage d'être couplé avec un minimum de socio : mener en parallèle une étude du coefficient de Gini - certes sans apprendre à le calculer, mais après tout les statisticiens sont là pour ça et nous le livreront tout cuit -, des tout petits bouts d'économie des inégalités, la lecture de textes de Chauvel et l'histoire de l'émergence du concept d'exclusion, ça avait quand même de la gueule !) sont infiniment plus séduisantes... et, agrémentées de nostalgie, le restent une fois les lycéens propulsés dans le monde de la fac. Monde où par ailleurs on leur demande de maîtriser des outils mathématiques qui, pour une raison que seul le directeur des programmes sait, ne figurent nullement dans l'enseignement mathématique dispensé en ES (même en spécialité, où - tenez-vous bien - on fait de la géométrie dans l'espace et de la coloration de graphes !)
Le problème, c'est que les deux semblent compatibles, mais que personne ne se donne jamais la peine d'expliquer aux lycéens puis étudiants que le "discours sur le monde" et la "science économique" se recoupent mais ne se recouvrent pas. Et que les profs de SES ont sur leurs collègues universitaires un first mover advantage de malade, sans compter la force de la proximité.
Pour finir (désolée pour la longueur), et en tant qu'ES qui a reculé devant la B/L, il faut voir que j'avais un frère, ex-ES devenu B/L dépressif, dont l'exemple n'avait rien d'enthousiasmant, et que la perspective de passer mes vacances d'été enfermée à devoir rattraper le programme de maths de Terminale S (trigonométrie, probabilités, barycentres...) toute seule ne l'était pas davantage. Pour attirer les ES en B/L, encore faudrait-il la leur rendre accessible ! Aujourd'hui, ils y sont non seulement l'exception, mais encore les intrus.
Enfin (les élèves d'AES ici présents me pardonneront ma scandaleuse généralisation), il est également probable que vous n'ayez pas les meilleurs élèves de ES parmi vos élèves : de tout ce que j'ai pu entendre (soit un échantillon de deux douzaines de profs de SES potentiellement représentatifs), c'est la filière poubelle que recommendent les profs à qui ne peut faire ni prépa, ni IUT, ni BTS, ni droit, ni socio (si si si), ni école post-bac, ni économie (l'ordre n'étant pas significatif), mais aura quand même ainsi la possibilité d'accéder à une licence pro très convenable. Le problème étant que tous les profs ne faisant pas l'effort de recommander quoi que ce soit (j'ai là encore été ultra favorisée, mais j'en suis consciente), la filière AES apparaît effectivement comme très attractive pour qui a apprécié la fameuse pluridisciplinarité, fleur de la ES, et n'a pas passé le concours de Sciences-Po !
samedi, août 4 2007
14:55
Rigolo : je n'avais pas lu le commentaire de "Heu..." publié à 11h10 car j'étais déjà en train de rédiger le mien quand il a été mis en ligne, mais il semble donner pleinement raison à ma dernière phrase !
— Emmelinesamedi, août 4 2007
19:10
Pour une fois que je peux apporter mon grain de sel, allons-y. Je sors de deux ans de AES et je me dirige vers le magistère d'économie de Paris I où la formalisation est omniprésente. L'écart sur l'usage des mathématiques est abyssal.
— geoPour donner un petit aperçu, nous nous sommes arrêtés aux dérivées partielles en mathématiques et nous avons fait en tout et pour tout 2 exercices formels en microéconomie. De plus, la micro et la macro ne sont enseignés qu'à partir de la deuxième année (Paris VII).
En ce qui concerne le niveau, mon expérience personnelle confirme les propos d'Emmeline, à savoir que le niveau est exécrable et ce au grand désespoir des professeurs. J'ai en outre remarqué que le choix de ce cursus découlait le plus souvent d'une véritable hantise des mathématiques pour la plupart des personnes à qui j'ai posé la question. Le cours de micro illustre ce dégoût : les notes y furent catastrophiques et quasiment toute la promo en garde un mauvais souvenir. Sortant auparavant d'un DEUG MIAS (la poubelle des bacs S), je ne me suis pas senti dépaysé.
Il y a pourtant à mon avis un aspect positif vis à vis de l'économie qu'une de mes profs avait souligné : cette formation pluridisciplinaire offre une introduction plus soft et moins indigeste que les formations économiques traditionnelles. En ce qui me concerne, elle est venue confirmer ma vocation pour l'économie et m'a offert la motivation suffisante pour survivre à formalisation qui m'attend à la rentrée. Le côté pluridisciplinaire doit aussi jouer quant à l'ouverture d'esprit (et voir que cela peut plaire aux entreprises comme l'affirme heu... me rassure un peu). Vous avez peut-être vécu la même chose en B/L ?
dimanche, août 5 2007
15:50
A la lecture des derniers commentaire je me rend compte que je ne suis pas le seul a penser du mal du système d'orientation francais. C'est pourquoi je fais appel a vous économistes confirmés ou en herbe : existe-t-il des travaux sur le sujet du type l'impact du système d'orientation sur le marché du travail. C'est un sujet qui me tient a coeur ( j'ai en horreur ces fonctionnaires qui n'ont aucune idée de l'impact de leurs paroles sur des jeunes lycéens ou étudiants livrés a eux même dans la complexité des études supérieures) et sur lequel j'aimerais (hypothétiquement pour l'instant) effectué un travail de recherche. Il m'est avis qu'ils ont une part restreinte certes mais non négligeable de responsabilité dans le taux de chômage.
— Thomaslundi, juin 23 2008
19:25
Actuellement en fin d'hypo B/L, j'ai quelque peu le sentiment d'avoir mon mot à dire.
— PiyounA entendre le bloggeur, il serait dépassé (ou du moins il l'était)... Deux arguments à rétorquer :
- le premier : le niveau d'économie (cela a été dit mais on ferait peut-être bien de le préciser...) n'est pas franchement exubérant ! on croirait à vous entendre qu'en B/L on reçoit un enseignement aussi idéologique que prétentieux (c'est mon impression à la lecture des commentaires) : d'ailleurs je précise que mon prof est un vieux de la vieille, peut être un des premiers à l'origine de la B/L, à vérifier... Mais ceci pour demander à partir de quoi on peut affirmer ça " J'y vois à mon grand désespoir la simple régurgitation des diatribes contre l'économie néoclassique que j'ai moi-même ingurgitées en prépa B/L. Il m'a fallu deux années complètes pour comprendre que les enseignants qui m'avaient inculqué ces idées se battaient contre l'économie telle qu'ils l'avaient vue 40 ans plus tôt."
- le second : ce programme a, bien au contraire ("Concernant l'archaïsme des programmes des prépas B/L, je ne peux qu'être d'accord"), de la chance d'être un programme de SCIENCES SOCIALES. Sans prétendre réussir à étudier le fait social total, l'enseignement sociologique permet d'aborder d'autres types d'actions que celles de l'homo oeconomicus et ses actions "rationnelles en finalité"... Et ce n'est pas une mince affaire, quand on sait que les économistes ont une fâcheuse tendance à penser rationnellement à la place d'individus qu'ils supposent rationnels. Les robinsonnades dénoncées par Marx ne sont jamais bien loin... même s'il semble bien qu'un nombre important d'économistes n'en soient plus à ce niveau.
mardi, juin 24 2008
01:27
J'entends vos arguments et je les accepte, mais j'ai l'impression qu'elle vous permet une "victoire" plus large sur les autres sciences sociales. Sinon comment expliquer que les économistes citent si peu souvent des sociologues (Cf. Olivier Bouba-Olga et son billet) alors que l'inverse se produit.
— PiyounDes fois je me demande pas si cette critique de la B/L ne viendrait pas tout simplement d'un fait social très simple, à savoir une lutte de pouvoir au sein du champs intellectuel économique (désolé, je suis en train de lire Bourdieu) entre les économistes formés à l'université (ou via la prépa Cachan, à l'ENS) et ceux qui intègrent les ENS et l'ENSAE via la B/L... Peut-être suis-je trop naïf pour accorder de l'intérêt à des critiques sociologiques de la science économique ?
(PS : j'ai bien le sentiment d'avoir une guerre de retard, vu la date du billet... il faut dire que ce genre de débats m'intéressent)
mercredi, juin 25 2008
12:30
J'ai fait un tour sur votre blog, regardé les commentaire par ci par là... Je remarque quand même quelques choses en rapport avec ce débat (pardonnez que je raisonne encore en "sociologue") :
— Piyounvous êtes intégré dans le champ intellectuel économique à un haut niveau (B/L à Henri IV, la Rue d'Ulm ensuite, je me trompe ?). Et sans y porter aucun jugement, vous êtes rentré dans le courant dominant de la science économique.
Première remarque : vous avez adopté la formalisation mathématique, gage de sérieux et de scientificité (au sens de Popper : infirmable empiriquement), contrairement à une littérature économique à quoi on ferait tout dire ou presque, par des effets réthoriques. Certes, les mathématiques sont peut être beaucoup plus froids et clairs pour ça... Mais quand même, vous êtes un ex-B/L d'H-IV, votre prof de philosophie vous a fait lire Critique de la raison pure de Kant non ? Ses démonstrations sont tout aussi solides qu'une série d'équation... et pourtant, seulement grâce à des mots. Or, dans un de vos billets, j'ai lu que, justement, mieux vallait formaliser mathématiquement. Comme je l'ai déjà dit, je trouve que, même si vos arguments sont justes et recevables (surtout contre ceux qui contestent la scientificité de la science économique), ils sont trop exclusifs : dans ce cas précis, vous caricaturez, il me semble, la littérature économique quand elle n'a pas de base mathématique suffisante.
Deuxième remarque : par conséquent, dans votre position de doctorant, donc de dominant dans le champ intellectuel économique (j'entends, dominant face aux journalistes/hommes politiques/universitaires d'autres spécialités/simples citoyens), vous êtes naturellement amené à défendre votre position. Donc, même si je pense que vous êtes dans le vrai, face la brutalité (intellectuelle) des anti-économistes et autres, vous êtes amené à durcir votre position et mettre dans le même sac des gens qui critiquent peut-être l'homo oeconomicus sans pourtant être réfractaires à la science économique ni même en être ignorant (je vous trouve, par exemple, très dur contre les profs de B/L... je ne sais pas si vous voulez brûler le chef de la collection "Repères" mais bon, n'oubliez pas que les B/L sont quand-même des élèves ouverts et intéressés, parfaitement aptes à ouvrir un brûlot anti-économistes de leur propre chef).
Voilà l'intérêt de la sociologie (des sciences) il me semble. Il y a une lutte de pouvoir, pour affirmer la scientificité de la science économique, et certaines de vos remarques dépassent le cadre scientifique et épistémologique, pour être purement politiques, en vue de la conservation de la maîtrise de ce champ.