Les biens culturels constituent, exception culturelle oblige, un des secteurs les plus protégés de l'économie. La protection est d'abord naturelle : il y a la double barrière de la langue et de la culture, sans lesquelles les produits culturels n'ont pas de valeur, donc pas de sens. Il serait absurde de déplorer ces barrières, puisqu'elles sont "naturelles". Quoique... force est de constater que certains pays, au premier rang desquels le Royaume-Uni ou la France, font très peu d'efforts pour promouvoir le plurilinguisme dans leur population, et encore moins l'éducation aux cultures étrangères. Ouvrez un manuel d'anglais ou d'allemand de lycée : l'essentiel du matériel est tiré d'articles de journaux, traitant de "sujets d'actualité", au détriment des extraits littéraires et des fondamentaux culturels. De même, il faut se garder de donner trop de poids à l'importance de la culture d'origine : des biens culturellement très marqués, comme Le Voyage de Chihiro (jugé à l'origine inexportable en raison de l'omniprésence de références au monde des divinités japonaises) sont l'exemple d'exportations réussies.

Passons maintenant au protectionnisme culturel. Pratiquement tout l'arsenal est déployé : quotas de diffusion, subventions à la production et à l'exportation,... Quelle justification pour cela ? L'argument essentiel est qu'en l'absence de ces protections, la demande se concentrerait sur quelques bien de consommation facile, culturellement pauvres, au détriment de biens plus difficiles d'accès. Pour un économiste normalement constitué, cet argument est difficile à avaler, car il repose in fine sur un jugement de valeur : il y a les "bons" biens culturels, exigeants, inaccessibles au profane, et les "mauvais", qui n'apportent que divertissement.

Un tel paternalisme culturel peut certes avoir un sens si les "bons" produits culturels présentent des externalités positives dont sont dépourvus les "mauvais": il est parfaitement argumentable que la lecture de Balzac est plus formatrice que celle de Guy des Cars. Mais alors, pourquoi ne pas le dire clairement, plutôt que faire la politique de saupoudrage culturel que dénonce Françoise Benhamou ? C'est que le secteur culturel franà§ais est atteint de schizophrénie. Il est déchiré entre son snobisme, qui prend comme critère de qualité le fait d'être rejeté par le grand public et acclamé par quelques happy few, et d'autre part la prohibition absolue de lier tout mécanisme d'encouragement à un jugement de valeur qui renverrait la politique culturelle à l'époque de l'art officiel et de la censure.

En d'autres termes, la question importante est de savoir qui est le juge. Et là , vous m'aurez vu venir : d'une manière ou d'une autre, c'est le marché. Qu'il s'agisse de petits marchés de niche (galeries d'art, politique d'achat de musées) ou de marchés très larges (pour les films), c'est au final la demande pour le bien culturel qui détermine son succès ou son échec. La meilleure preuve vient probablement du cinéma, où¹ le système d'aides le plus apprécié est celui des aides automatiques, conditionné au nombre d'entrées.

Pourquoi alors tant d'histoires ? c'est que non seulement, à force de saupoudrages peu efficaces, des sommes finalement importante soutiennent un système de clientélisme artistique peu efficace, mais surtout qu'on ignore tout de cout effectif des mesures non-tarifaires, quotas et prix unique du livre, et de leur impact sur la culture. En France, la vulgate sur ce point veut que l'amour de l'art soit tel que les consommateur de biens culturels, les vrais, les bons, ne soient pas très sensibles aux prix. Je ne suis pas convaincu.