Psychologie élémentaire des étudiants
David Monniaux se livre à un petit exercice de psychologie élémentaire des étudiants (et des journalistes, mais c'est un autre débat). Il demande quelles peuvent bien être les incitations. Réponse à la grosse louche économique.
Je pense que tous ceux qui ont enseigné, en particulier dans les classes ou TD demandant un travail personnel quelconque, auront remarqué que l'attitude la plus répandue chez les étudiants est d'essayer d'en faire le moins possible, et que ce travers peut les pousser à tenter des opérations de bluff vouées à l'échec. Cela pose, il me semble, deux questions. Pourquoi cette volonté d'en faire le moins possible ? Pourquoi pensent-ils que l'enseignant ne va pas détecter les tentatives de fraude ?
Les incitations à travailler (le moins possible)
Le premier point met évidemment le doigt sur une faille du mécanisme d'incitation du système scolaire et universitaire. L'étudiant de première année en économie sait que le problème de maximisation de l'utilité sous contrainte de budget (on voudrait que les étudiants en fasse le maximum possible étant données leurs capacités et leur temps) est équivalent à celui de minimisation des dépenses sous contrainte d'atteindre une certaine utilité. Comme l'exigence scolaire et universitaire se formule dans ces derniers termes (il faut avoir au moins la moyenne pour passer en année suivante ou avoir son diplôme), il est naturel qu'ils formulent le problème ainsi : quelle quantité minimale de travail dois-je fournir pour atteindre l'objectif ? Ajoutons que c'est même rationnel, puisque les premières années, rien ne distingue l'étudiant passé tout juste de celui qui a obtenu une excellente note. Preuve par la contraposée : quand le rang de sortie compte (concours de l'enseignement, classes prépa, TD de préparation aux concours de la fonction publique), l'attitude des étudiants est significativement différente. La solution semble donc claire : établir des quotas de passage en année supérieure, à la manière de ce qui se fait en médecine.
Vous êtes d'accord avec le paragraphe précédent ? Pourtant, il comporte deux problèmes. Le premier est que ma preuve ne prouve rien. Les concours en question ont en commun une chose : le niveau exigé pour ne pas être recalé d'office est pratiquement inatteignable. Sachant qu'on ne pourra pas atteindre ce niveau, il est rationnel de maximiser ses chances en se rapprochant le plus possible de ce niveau. Le second problème est qu'il n'est bien évidemment pas rationnel de faire le minimum : très rapidement, les lacunes s'accumulent jusqu'à devenir insurmontables, expliquant l'importance du taux d'échec en deuxième et troisième années d'université.
Donc, en amont des incitations, il faudrait plutôt mettre l'accent sur l'information, et tà¢cher de persuader les étudiants que le travail demandé n'est pas un pur signal, mais qu'il a un contenu qui est indispensable non seulement pour comprendre les cours de niveau plus élevés, mais aussi pour leur activité professionnelle et civique ultérieure. Or, force est de constater que le lien est rarement fait, même dans des disciplines comme l'économie qui s'y prêtent (ah, proposer en devoir à mes étudiants un commentaire du programme économique des trois principaux candidats à la présidentielle...). De plus, si les universités commencent à afficher des « prérequis » pour tel ou tel cours, ils sont rarement plus qu'indicatifs, laissant au choix l'enseignant combler tant bien que mal les manques, ou l'étudiant aller au casse-pipe.
Viennent maintenant les incitations. Le système de quotas évoqué plus haut pêche naturellement par sa rigidité : en fonction de quoi fixer de tels quotas, surtout à l'entrée de filières généralistes ? En revanche, conditionner le passage en année supérieure à l'obtention d'une note minimale donnée (ou de manière équivalente une mention) pousserait mécaniquement vers le haut l'objectif à atteindre de plusieurs étudiants. Sélection ? Oui, c'est le seul instrument d'incitation dont dispose le système scolaire, qu'on le veuille ou non.
Fraude et bluff
Pourquoi maintenant tenter de frauder ? Pour les enseignants, il s'agit parfois d'une colle. Il suffit d'avoir tant soit peu enseigné pour s'être trouvé face à un étudiant qui avait si manifestement recopié son exposé sans le comprendre qu'on s'en demande comment il a pu un instant croire que cela passerait inaperà§u.
Là encore, je mettrais en avant un biais informationnel, lié au précédent : si l'étudiant pense que les contenus de comptent pas, il s'attend de la part de l'enseignant à la même technique que lui-même applique, un travail a minima (et son anticipation n'est pas toujours fausse). Il y a donc une certaine probabilité que cela passe inaperçu, donc c'est à tenter, d'autant plus que les sanctions sont le plus souvent légères, en particulier pour les exercices de contrôle continu.
Mais alors, pourquoi n'y a-t-il pas plus de « bonnes » tentatives de fraude, entendre par là des tentatives vraiment subtiles et difficiles à détecter ? Serait-ce qu'on ne les voit pas ? Je ne pense pas. Tout élève assez intelligent pour trouver comment frauder habilement l'est aussi assez pour se rendre compte que le travail nécessaire pour bien frauder (et faire durablement illusion) est supérieur au travail minimal exigé, et donc peu rentable.
Et là se trouve le revers de la médaille des incitations : en augmentant les incitations à plus travailler, on augmente aussi les incitations à bien frauder.
Ceci étant dit, il devrait être clair, au moins pour des élèves d'économie, que la formation est une affaire de capital humain, dont les rendements sont importants. Le programme optimal consiste donc clairement à en accumuler le plus possible quand l'acquisition de ce capital est le moins coûteuse, donc les premières années.
Publié le jeudi, mars 8 2007, par Mathieu P. dans la catégorie : Enseignement - Lien permanent
Commentaires
vendredi, mars 9 2007
07:56
quelques remarques :
— olivier Bouba-Olga* établir des quotas, mais pour quoi faire? en moyenne, 40% d'échec à l'Université... les étudiants ont du mal à optimiser, puisqu'une bonne part n'atteint pas l'objectif d'obtenir la moyenne...
* sur la fraude, j'aurai quelques anecdotes croustillantes... en fait, nous avons tous les ans de la fraude, plus ou moins intelligente, et si cette fraude perdure, c'est en partie parce que les sanctions au niveau de l'université sont souvent faibles. Petit exemple : vous trichez dans une matière? si vous êtes pris, vous avez 0 à la matière. Et c'est tout. Si c'est pas de l'incitation à la fraude, ça!
vendredi, mars 9 2007
11:15
« Si cette fraude perdure, c'est en partie parce que les sanctions au niveau de l'université sont souvent faibles. Petit exemple : vous trichez dans une matière? si vous êtes pris, vous avez 0 à la matière. Et c'est tout. »
— David MonniauxJustement, dans le premier cas de fraude que j'ai débusqué, il y a déjà quelques années de cela, nous n'aurions pas dû mettre zéro. Il y avait fraude aux examens (l'étudiant avait demandé, sans doute payé, un semi-pro pour rendre un projet valant pour note de module), nous aurions dû, si j'ai bien compris, faire un dossier de procédure disciplinaire. Les sanctions peuvent aller de l'annulation de toute la session d'examens toutes disciplines confondues à l'interdiction de passer un diplôme public pendant plusieurs années (je ne sais pas comment elles s'articulent, s'il faut récidive, etc.).
Mais, « pas de vagues » ou « ça fait des paperasses ». Et puis, on sait bien que l'étudiant va de toute façon au casse-pipe dans les niveaux supérieurs.
Mais, en effet, avec le laxisme décrit ci-dessus, stricto sensu, à court terme, l'espérance de gain via la fraude est > 0, alors qu'un travail non rendu = 0.
Ce que je comprends moins, d'un point de vue économique, c'est la tentative de pipeau complet à l'oral une fois démasqué. Ça énerve les enseignants, ça peut les inciter à devenir vraiment méchants (à pour une fois, « faire des vagues »). Ça n'a de sens que si l'étudiant suppose vraiment qu'il ne peut rien lui arriver de pire que d'avoir zéro.
vendredi, mars 9 2007
12:19
En ce qui concerne la fraude, j'ai moi aussi quelques exemples assez amusants. Mais je dois dire que j'hésite à les relaté, partagé entre la crainte que cela donne des idées à peu de frais, et l'espoir que l'astuce étant connue, les enseignants ne s'y laissent pas prendre.
Cette année par exemple, j'essaye de convaincre les chargés de TD d'un TD que je coordonne d'authentifier leurs messages par une clef GPG, en particulier quand il s'agit de sujets d'examens.
— leconomistevendredi, mars 9 2007
20:31
L'incitation au comportement stratégique a été largement amplifié par la semestrialisation et le système des unités de valeurs. Cela a conduit à diviser des "gros cours" en petits ce qui décourage les étudiants : genre, pourquoi bosser microéconomie1 qui vaut 5 coeffs sur 50. pour découvrir au bout d'un moment que microéconomie1+2+3+4 cela fait 20 coeffs sur 50, mais trop tard...
— alexandre delaigueDeuxième problème central : le système de notation fabrique ce genre de comportement en créant un mépris pour le savoir vu comme un simple moyen d'obtenir des notes. Je n'ai pas de solution à ce problème; mais il me semble qu'on devrait y réflechir avant de rechercher des mécanismes incitatifs qui ne font qu'amplifier ce mépris du savoir.
jeudi, mars 15 2007
14:03
@ david monniaux : le 0 a été obtenu après procédure disciplinaire et passage devant la commission de discipline de l'université...
— olivier Bouba-Olga@ alexandre : oui, on constate clairement des impasses plus fréquentes avec le morcellement des cours. on va faire en partie machine arrière pour les prochaines maquettes...Sur la notation, on aimerait bien faire moins d'évaluation, mais des évaluations transversales à certains cours, ce qui suppose aussi des td transversaux. Des sortes de TPE pour étudiants, en gros. Difficile à mettre en place...
dimanche, mars 18 2007
09:37
Les enseignants ont en général une vision exagérément optimiste de la fraude. D'une part ils supposent qu'ils la détectent dans une large partie des cas, d'autre part ils imaginent que l'étudiant la "paie" un jour par la baisse de son niveau, enfin ils imaginent qu'il devient vite moins compliqué de travailler que de bien frauder.
— ScipiosToutes ces considérations relèvent du préjugé. Il n'y a aucune raison que les étudiants ne trichent pas massivement avec en général suffisamment de subtilité pour ne pas être détecté. Il n'y a aucune raison que cela ne leur donne pas un réel avantage, surtout à niveau équivalent. Et il est évident que frauder est plus économique que de travailler ; frauder dans une matière nécessitant d'acquérir beaucoup de connaissances pures permet même de travailler davantage des matières reposant sur de réelles compétences.
Mais il faut se résigner : depuis le collège j'ai toujours entendu des professeurs persuadés qu'ils détectaient presque toutes les fraudes, alors que je pense que le taux d'élucidation n'a jamais dépassé 10%.
mercredi, mars 21 2007
22:39
"il me semble qu'on devrait y réflechir avant de rechercher des mécanismes incitatifs qui ne font qu'amplifier ce mépris du savoir."
— LLe problème se pose à peu près de la même manière dans le monde du travail. Il s'y résoud généralement par un système d'évaluations multiples (examen + entretien + opinion du chef) devant devenir convergentes pour se valider l'une l'autre.
Il est aussi vrai que l'évaluation y est de plus en plus souvent symétrique (le chef est aussi évalué par ses subordonnés)
vendredi, mars 23 2007
00:15
D'accord avec l'avant-dernier commentaire... :o)
— AJCQuelque chose qui m'a choqué, sinon :
"Tout élève assez intelligent pour trouver comment frauder habilement l'est aussi assez pour se rendre compte que le travail nécessaire pour bien frauder (et faire durablement illusion) est supérieur au travail minimal exigé, et donc peu rentable."
Il y a des étudiants qui ont plus de capacité à l'oral qu'à l'écrit, qui gèrent mieux l'impro et la réflexion plutôt que le "par coeur", etc.
Cela, les professeurs en sont conscients, me semble t'il.
Tu ne penses pas qu'il existe pour certains étudiants des capacités plus importantes à la fraude ? Personnellement (-bon, et je balance pas ça parce qu'un de mes profs peut lire ce commentaire, hein !-) je ne me rappelle pas avoir triché en fac.
Surtout parce qu'effectivement, cela me semblait trop compliqué d'amener un "0 risque"... mais la manière d'amener ce dernier était aisément imaginable, pourtant, et je me dis qu'un étudiant qui aura sûrement plus de facilité à faire cela plutôt qu'à apprendre par coeur ou par la réflexion l'une de ses leçons aurait tout interêt à agir ainsi.
Faut bien penser qu'on a pas tous les mêmes parcours, et qu'une partie des étudiants, comme de la population en général, est plus habile lorsqu'elle emprunte certaines voies un peu hétérodoxes que la moyenne pour réussir.
Maintenant, quelle est également la différence, au niveau de la pédagogie, entre une fraude et un manque total de réflexion de la part d'un étudiant qui recrache un cours ou un TD appris par coeur ? L'interêt est où, exactement, au niveau de la formation ?
Je dis pas ça parce que je suis une quiche dans le par-coeur, hein. :oD
Mais j'ai rencontré -un peu trop, peut-être- d'étudiants et de lycéens qui apprenaient des choses sans pour autant réfléchir derrière, et j'ai franchement plus d'estime pour celui qui va chercher une fraude vraiment tordue... qui de toutes façons, l'obligera à savoir de quoi parle sa leçon.
A ce sujet, le principe "ces étudiants se planteront en année supérieure" ne me semble pas clair non plus : si la différence au niveau de la réflexion est minime, entre un étudiant tricheur et "apprenant par coeur", en quoi cela handicaperait plus l'un que l'autre ? Surtout qu'un étudiant pas trop bête cherchera à utiliser plusieurs méthodes d'apprentissages pour obtenir son diplôme, selon ce que demandent les matières.
Amicalement,
AJC
lundi, avril 9 2007
22:00
careagit.blogspot.com
— SebQuoi de mieux que l'avis d'un étudiant en la matière ? (lol)
Evidemment je concède trés facilement que l'étudiant soit une bête à "ne rien foutre"... Ah la jeunesse...
Cependant, j'ai passé mes deux premières années d'étudiants dans un cadre "fac" (IUT) qui n'a strictement rien de comparable avec ce qui se fait dans le milieu dans lequel je suis actuellement (école de commerce).
J'adhère à l'idée selon laquelle il est nécessaire d'inclure concours, classements et autre de manière à motiver l'étudiant. De toute manière, sur le marché du travail le moins bon salarié reste il éternellement à la place d'un bien plus productif ?
Ce problème, me semble t-il, n'est (en partie certes) que la conséquence d'un système qui pousse l'étudiant à avoir "facilement" son année sans fournir d'efforts.
Vous avez dit réforme de l'enseignement supérieur ?