Je pense que tous ceux qui ont enseigné, en particulier dans les classes ou TD demandant un travail personnel quelconque, auront remarqué que l'attitude la plus répandue chez les étudiants est d'essayer d'en faire le moins possible, et que ce travers peut les pousser à tenter des opérations de bluff vouées à l'échec. Cela pose, il me semble, deux questions. Pourquoi cette volonté d'en faire le moins possible ? Pourquoi pensent-ils que l'enseignant ne va pas détecter les tentatives de fraude ?

Les incitations à travailler (le moins possible)

Le premier point met évidemment le doigt sur une faille du mécanisme d'incitation du système scolaire et universitaire. L'étudiant de première année en économie sait que le problème de maximisation de l'utilité sous contrainte de budget (on voudrait que les étudiants en fasse le maximum possible étant données leurs capacités et leur temps) est équivalent à celui de minimisation des dépenses sous contrainte d'atteindre une certaine utilité. Comme l'exigence scolaire et universitaire se formule dans ces derniers termes (il faut avoir au moins la moyenne pour passer en année suivante ou avoir son diplôme), il est naturel qu'ils formulent le problème ainsi : quelle quantité minimale de travail dois-je fournir pour atteindre l'objectif ? Ajoutons que c'est même rationnel, puisque les premières années, rien ne distingue l'étudiant passé tout juste de celui qui a obtenu une excellente note. Preuve par la contraposée : quand le rang de sortie compte (concours de l'enseignement, classes prépa, TD de préparation aux concours de la fonction publique), l'attitude des étudiants est significativement différente. La solution semble donc claire : établir des quotas de passage en année supérieure, à la manière de ce qui se fait en médecine.

Vous êtes d'accord avec le paragraphe précédent ? Pourtant, il comporte deux problèmes. Le premier est que ma preuve ne prouve rien. Les concours en question ont en commun une chose : le niveau exigé pour ne pas être recalé d'office est pratiquement inatteignable. Sachant qu'on ne pourra pas atteindre ce niveau, il est rationnel de maximiser ses chances en se rapprochant le plus possible de ce niveau. Le second problème est qu'il n'est bien évidemment pas rationnel de faire le minimum : très rapidement, les lacunes s'accumulent jusqu'à devenir insurmontables, expliquant l'importance du taux d'échec en deuxième et troisième années d'université.

Donc, en amont des incitations, il faudrait plutôt mettre l'accent sur l'information, et tà¢cher de persuader les étudiants que le travail demandé n'est pas un pur signal, mais qu'il a un contenu qui est indispensable non seulement pour comprendre les cours de niveau plus élevés, mais aussi pour leur activité professionnelle et civique ultérieure. Or, force est de constater que le lien est rarement fait, même dans des disciplines comme l'économie qui s'y prêtent (ah, proposer en devoir à mes étudiants un commentaire du programme économique des trois principaux candidats à la présidentielle...). De plus, si les universités commencent à afficher des « prérequis » pour tel ou tel cours, ils sont rarement plus qu'indicatifs, laissant au choix l'enseignant combler tant bien que mal les manques, ou l'étudiant aller au casse-pipe.

Viennent maintenant les incitations. Le système de quotas évoqué plus haut pêche naturellement par sa rigidité : en fonction de quoi fixer de tels quotas, surtout à l'entrée de filières généralistes ? En revanche, conditionner le passage en année supérieure à l'obtention d'une note minimale donnée (ou de manière équivalente une mention) pousserait mécaniquement vers le haut l'objectif à atteindre de plusieurs étudiants. Sélection ? Oui, c'est le seul instrument d'incitation dont dispose le système scolaire, qu'on le veuille ou non.

Fraude et bluff

Pourquoi maintenant tenter de frauder ? Pour les enseignants, il s'agit parfois d'une colle. Il suffit d'avoir tant soit peu enseigné pour s'être trouvé face à un étudiant qui avait si manifestement recopié son exposé sans le comprendre qu'on s'en demande comment il a pu un instant croire que cela passerait inaperà§u.

Là encore, je mettrais en avant un biais informationnel, lié au précédent : si l'étudiant pense que les contenus de comptent pas, il s'attend de la part de l'enseignant à la même technique que lui-même applique, un travail a minima (et son anticipation n'est pas toujours fausse). Il y a donc une certaine probabilité que cela passe inaperçu, donc c'est à tenter, d'autant plus que les sanctions sont le plus souvent légères, en particulier pour les exercices de contrôle continu.

Mais alors, pourquoi n'y a-t-il pas plus de « bonnes » tentatives de fraude, entendre par là des tentatives vraiment subtiles et difficiles à détecter ? Serait-ce qu'on ne les voit pas ? Je ne pense pas. Tout élève assez intelligent pour trouver comment frauder habilement l'est aussi assez pour se rendre compte que le travail nécessaire pour bien frauder (et faire durablement illusion) est supérieur au travail minimal exigé, et donc peu rentable.

Et là se trouve le revers de la médaille des incitations : en augmentant les incitations à plus travailler, on augmente aussi les incitations à bien frauder.

Ceci étant dit, il devrait être clair, au moins pour des élèves d'économie, que la formation est une affaire de capital humain, dont les rendements sont importants. Le programme optimal consiste donc clairement à en accumuler le plus possible quand l'acquisition de ce capital est le moins coûteuse, donc les premières années.