Partons du projet du parti socialiste. Le contenu en est malheureusement très bref : tous les citoyens français devraient effectuer entre leurs 18 et leurs 25 ans une « activité auprès d'un service public (service de l'État ou collectivités territoriales) ou d'un organisme d'intérêt général (milieu associatif, humanitaire, fondations) », pour un tiers de SMIC. Le projet de l'UMP suit les mêmes grandes lignes.

Laissons pour l'instant de côté l'a complaisance des hommes et femmes politiques qui défendent cette idée à imposer à d'autres la médecine qu'ils n'ont pas le courage de prendre eux-mêmes, ainsi que la périlleuse question juridique sur la simple faisabilité de ce qui, au regard du droit européen, constitue du travail forcé. Considérons d'abord quelques aspects économiques.

Economiquement donc, le service civique obligatoire signifie l'apparition d'un quota de plusieurs centaines de milliers d'individus, dont la plupart en cours d'études, cherchant un emploi temporaire dans les secteurs sus-cités. Le premier effet qui me vient à l'esprit est l'effet d'éviction qu'une telle arrivée ne peut manquer de susciter. Certes, beaucoup d'associations manquent cruellement de personnel administratif (à part les titulaires du BAFA, que peut-on confier d'autre à un jeune bachelier ?), mais ces associations constituent précisément un débouché très important pour les diplômés des filières de gestion, secrétariat et ressources humaines, qui y trouvent la possibilité d'avoir un premier emploi. Or, pourquoi embaucher un permanent quand, pour le même prix, on peut en avoir trois ? Le résultat prévisible est une diminution du professionnalisme de la gestion des associations en question, ainsi qu'un manque de continuité.

En second lieu, les projets me semblent présenter un vaste gâchis de ressources. En effet, quant un individu va-t-il vouloir accomplir son service civique ? Le plus tôt possible, le coût d'opportunité de son temps croissant avec les années d'études. Quand serait-il le plus utile à la société ? Le plus tard possible, afin qu'il puisse faire profiter la société des compétences acquises pendant ses études. Prenons l'exemple d'une jeune fille se destinant à l'enseignement. Il est évident qu'il sera plus utile qu'elle fasse son service sous la forme de soutient scolaire à l'issue de son CAPES. Or, à ce moment-là, il est évidemment beaucoup plus intéressant financièrement de commencer à travailler. Anticipant cela, elle se sera débarassé de son service plus tôt.

En troisième lieu, les projets contournent un des problèmes essentiels de mise en place : l'allocation des conscrits. Comment en effet assurer que les associations et autres collectivités ayant des besoins de main d'œuvre soient au même endroit que les jeunes citoyens devant effectuer leur service ? Aucune a priori, et l'observation des répartition d'âge par région (l'aide au personnes âgés devant fournir une partie des activités, tiens, d'autres emplois qui vont être supprimés) montre qu'il existe bien un tel problème.

Passons donc aux objectifs de ce service. D'abord, lisons-nous, il s'agit d'assurer le brassage de la population, comme le faisait naguère le service militaire. Or, aucun des deux projets ne se donne les moyens de cet objectifs. Au contraire. Avec un tiers de SMIC comme rémunération, la seule possibilité de logement est de rester chez ses parents. Et de ne pas faire son service trop loin, afin d'économiser sur les coût de transport (que personne, apparemment, n'a pensé à prendre en charge). Je vois d'ici les enfants du 5e arrondissement parisien aller faire du soutient scolaire aux enfants du 16e pour les aider à entrer à Sciences-Po. Le problème est évidemment encore plus criant pour les plus socialement défavorisés, qui, même de bonne volonté, n'auront aucun moyen de se loger provisoirement loin de chez eux.

Ensuite, on peut se demander si les partisans de ce projet ont simplement réfléchi au rapport entre les besoins des associations et autres collectivités, et l'ampleur du nombre de personnes concernées. Certes, on peut alors mettre un jeune sur chaque quai de gare pour aider les personnes âgées à monter, et pourquoi pas un à chaque passage clouté. Mais on peut alors se demander en quoi accomplir une telle tâche, contraint et forcé, pourrait développer l'esprit civique de celui contraint de jouer un rôle déjà rempli par un feu rouge (et exposé à longueur de journée à l'incivilité de nombre de conducteurs). Il est étrange de nous dire d'une part que l'administration française est pléthorique, et d'autre part qu'elle pourrait abosorber sans problèmes autant de bras.

Enfin, je trouve qu'on peut s'interroger sur l'information contenue dans ce projet. Pour moi, le présupposé implicite est que les individus entre 18 et 25 ans sont des adultes de seconde zone, auxquels on ne doit accorder qu'une confiance (et une rémunération) limitée.

Ce billet, long et confus, reflète avant tout mon étonnement face à l'enthousiasme soulevé par ce projet ridicule. À part un jeunisme des quarantennaires qui apprécient l'idée qu'ils sont encore jeunes, puisque les plus jeunes qu'eux sont traités en mineurs, j'avoue ne pas comprendre.