Le coût le plus direct est celui des indemnités qui seront versées aux personnes réalisant leur service civil. D'après l'INSEE, il y a 3 millions de jeunes entre 15 et 19 ans. Cela fait des classes d'âge de 600 000 personnes. Payer 600 000 personnes pendant six mois à 300 EUR par mois fait un total de 1,08 milliards d'euros. Somme que par les temps qui courent on trouve sous le sabot d'un cheval, n'est-ce pas ? Quand on voit l'indigence des universités, où la plupart des jeunes concernés iront, on se dit que cet argent pourrait sans doute être mieux employé.

Surtout que cette somme, pour importante qu'elle soit, n'est que la partie émergée de l'iceberg. Comme me le faisait remarquer ma femme, ce sont les parents qui vont supporter une large partie du coût de six mois supplémentaires sans revenus dignes de ce nom, puisqu'avec 300 EUR par mois, on ne se loge pas en France. Certes, l'idée d'un service réalisable de manière fractionnée indique que dans l'esprit des concepteurs, il sera réalisé pendant les vacances des étudiants. C'est doublement pervers. D'une part, cela veut dire que les ménages pour lesquels entretenir une personne pendant six mois de plus seront ceux dont les enfants ne font pas d'études après le baccalauréat, soit les ménages les plus pauvres ! D'autre part, il est certes vrai que les étudiant ont des vacances longues, probablement trop. Mais est-ce une raison pour les occuper ainsi ? N'oublions pas que dans de nombreuses filières, ces « vacances » sont déjà bien occupées par les stages, que ceux-ci soient obligatoires dans le cursus, ou qu'ils soient nécessaires pour en obtenir un (ne parlons pas d'un emploi) en fin de parcours. Est-ce que le service civique remplirait la même fonction ? Oui, mais seulement dans un nombre restreint de secteurs, car en deux mois, il est difficile de produire un travail en profondeur et de qualité, en économie par exemple. Dans les autres filières, les vacances ont quand même une raison d'être, ne serait-ce que pour préparer le programme de l'année suivante (n'ouvrez pas de grands yeux, c'est courant pour les préparationnaires, étudiants en médecine ou autres agrégatifs).

Plus difficile à évaluer est le coût d'opportunité : qu'auraient fait d'autre les conscrits (utilisons ce mot par simplicité). Certains, on l'a dit, auraient fait des stages. Beaucoup, certes, n'auraient pas été payés. Mais sont-ils mieux lotis en tant que conscrits ? Rien n'est moins sûr, puisqu'il est douteux qu'ils puissent obtenir un stage correspondant aussi bien à leurs études ou à leur plan de carrière (rappelons qu'il est hors de question que les conscrits effectuent leur service civique en entreprise, ce serait trop évidemment du travail forcé pour que le juge le plus obtus s'y méprenne). D'autres auraient fait un stage rémunéré, et dans un nombre conséquent de cas, mieux que cela. Ils perdent donc sur les deux tableaux.

Enfin, il y a un coût en termes de cohérence temporelle auquel nos chers élus n'ont semble-t-il pas songé : qu'est-ce que c'est que cette durée de six mois ? Peut-on rentrer à l'université, ou dans tout autre établissement d'enseignement, après six mois de service civique ? Evidemment non : même avec des enseignement semestrialisés, les cours du second semestre présupposent ceux du premier. Faire son service d'un coup, c'est donc perdre une année entière en termes académiques. On a vu plus haut le coût qu'il y avait à le faire de manière fractionnée.

Cette présentation et fort biaisée, me direz-vous : et le gain ? À vrai, dire, je peine à le percevoir. Comme je l'ai dit précédemment, rien n'oblige un conscrit à la mobilité sociale et géographique. Il suffit d'une association caritative plus ou moins de complaisance pour que les élèves d'Henri IV aillent lire Kant à des pauvres grand-mères esseulées du 16e arrondissement. Je caricature à peine. Je ne dis pas que tous le feront, mais ceux qui, précisément, joueront le jeux sont, comme souvent, ceux qui n'auraient pas besoin d'une telle mesure pour être conscients de la diversité des classes sociales. Inversement, vouloir déplacer les populations les plus défavorisées implique de leur imposer des coûts de transport prohibitifs, pour un intérêt douteux. Les bénéficiaires annoncés de l'opération sont les organisation de proximité et caritatives. Je doute du gain en question : plus que de bénévoles non formés, ces associations ont le plus souvent besoin de compétences précises, et surtout de continuité, continuité difficile à obtenir avec un secrétaire conscrit qui change tous les six mois (et ne parlons pas de ceux et celles qui ne viendront que pendant leurs deux mois de vacances). Le problème est le même dans l'administration : à peine formé, le conscrit s'en ira, ayant, bien malgré lui, consommé le temps de travail de ses collègues nécessaire à sa formation (si tant est qu'il soit le moins du monde intéressé par ladite formation : je n'ai même pas abordé le cas de ceux et celles qui auront fermement décidé de ne rien faire pendant ce service imposé).

Peu de gagnants, dans cette histoire, donc. Sauf ceux et celles que flatte l'idée que « les jeunes » (je hais ce terme) sont des tire-au-flanc coupés des réalités sociales (alors que, dans le cadre du système scolaire, ils sont souvent bien plus exposés à une diversité sociale que leurs parents), qu'il s'agit de mettre au travail, faute de pouvoir les mettre au pas.