Un problème de signal
Une question semble actuellement déchirer les universités : que faire de ce qui reste du semestre ? Plusieurs options sont avancées : tenir les examens à la date prévue en début d'année, en restreignant le programme à ce qui pourra être traité, allonger le semestre, valider le semestre pour tous les étudiants, ne le valider pour personne. Alors que les discussions sont chaudes et que les arguments ne volent pas toujours aussi haut qu'on le voudrait, je me demande si on ne perd pas un peu de vue le jeu sous-jacent.
D'abord, de quoi s'agit-il ? Manifestement, de minimiser le dommage subi pas les étudiants du fait d'un mouvement dont ils ne bénéficieront, au mieux, que marginalement. Quel est ce dommage ? Une perte de valeur de leur diplôme. Qu'est-ce à dire ? Là, on diverge. En général subtilement, parce que les interlocuteurs ne se rendent souvent pas compte qu'ils ne parlent pas de la même chose.
On peut penser qu'il s'agit de donner un contenu (de connaissances acquises) le plus proche possible de ce qui est dans un semestre normal. La seule solution logique est alors l'allongement du semestre. On est alors dans une logique de capital humain, où l'obtention d'un diplôme certifie la maîtrise de certaines connaissances et méthodes.
On peut aussi penser qu'il s'agit de faire qu'un diplôme garde sa valeur de pur signal : il compte non pas pour les connaissances qu'il est supposé certifier, mais pour la garantie qu'il donne que son titulaire est productif. Si on part de ce principe, la validation automatique comme la non-validation conduisent au même résultat : le signal est neutralisé pour le semestre, et s'appuiera sur le reste des études de la personne concernée. Est-ce bien grave ? Dans les université dont j'ai des échos, pas vraiment : le problème de validation se pose essentiellement pour les étudiants de première et deuxième année, qui ne donnent pas lieu à des diplômes (donc un effet de signal à peu près nul). Du coup, pour éviter des situations problématiques (stages et bourses annulées, redoublements), la validation automatique semble s'imposer.
Très logiquement, la tenue des examens à la date prévue, avec comme implicite une correction très bienveillante, paraît à certains un moyen de couper la poire en deux. Le problème est évidemment que pour que cela se fasse, encore faut-il que les enseignements dispensés ne soient pas l'ensemble vide. Ce qui n'est pas gagné.
Peut-on imaginer d'autres solutions ? Il me semble que oui, bien que je n'ai pas encore vu beaucoup de suggestions dans ce sens. Ma première idée est que les enseignements sont au moins en partie redondants d'un semestre sur l'autre. Peut-on imaginer une validation portant en partie sur les contenus du premier semestre, qui a eu lieu normalement ? D'autre part, comme les premiers concernés sont les L1 et les L2, il me semble qu'il serait possible de lisser le problème en reportant à l'année prochaine une partie de la validation du semestre, comme cela se fait dans les cas d'admission conditionnelle, où les étudiants doivent repasser un ou plusieurs UV du semestre n au cours du semestre n+2. Cela pose évidemment des difficultés logistiques, mais ne me semble pas insurmontable : la charge de travail en L1 et en L2 n'est pas délirante, et cela permet au final de délivrer des diplômes d'une valeur satisfaisante, sans avoir à trancher entre signal et capital humain.
Est-ce que vous verriez d'autres solutions à ce problème ?
Publié le lundi, mai 4 2009, par Mathieu P. dans la catégorie : Enseignement - Lien permanent
Commentaires
lundi, mai 4 2009
23:26
Billet et questionnement intéressant, d'autant que je suis étudiant en 2eme année de Sciences Eco à l'université Lyon 2, une université très mobilisée dirons-nous, avec un blocage quasi-ininterrompu depuis 7 ou 8 semaines. Je n'ai pas de solution miracle mais la meilleure me paraît être celle d'examens avec une "correction bienveillante".
— ZelittleRefaire des examens portant sur le programme de S1 ne me paraît pas juste pour les étudiants en difficulté au S1 (en gros, ceux qui n'ont pas eu la moyenne, et ils sont nombreux) car ils auront beaucoup de mal à obtenir de meilleures notes (seule option pour valider leur année) dans des matières qu'ils n'ont pas travaillé depuis 4-5 mois et dans lesquels ils n'ont pas brillé.
Quant à la proposition de faire passer les examens du S2 en S4, ça paraît impossible au niveau pratique pour une raison, qui me concerne personnellement: les départs à l'étranger. De nombreux étudiants vont partir dans une université étrangère l'an prochain (entre 800 et 1000 étudiants je dirais, sur un total de 25 000), ce qui exclut la possibilité pour eux de passer des examens au S4 en France.
Mais bon, il n'y a pas de solution parfaite... Et d'ailleurs, chaque composante a son propre avis sur la validation du semestre (les responsables d'Eco ne veulent pas entendre parler d'une validation automatique) alors que c'est au niveau universitaire que la décision sera prise.
A bientot,
Zelittle
mardi, mai 5 2009
13:39
En rédigeant ce billet, j'ai oublié de dire une chose : pour ce que j'en ai vu, les étudiants sont dans leur immense majorité (en L1 et L2 en tous cas) du côté de la théorie du pur signal. Je me demande si les choix des étudiants en AG reflètent ce biais.
— Mathieu P.jeudi, mai 7 2009
01:11
"les enseignements sont au moins en partie redondants d'un semestre sur l'autre" --> Hum... dans une discipline comme l'Histoire ça n'est pas du tout le cas. Tu vas étudier, par exemple, l'histoire grecque et le moyen-âge au premier semestre, et la Révolution française et l'Egypte antique au second. C'est particulièrement le cas en L1 et L2 où, sur les deux années, tu balaye le maximum de périodes historiques, à raison de 2-3 grosses périodes par semestre.
— SereinEn gros, supprimer toute évaluation de ces semestres revient à accepter qu'il y ait un certain nombre de "trous" dans la formation généraliste de l'étudiant, qui ne sera pas rattrapable après puisque la L3 se spécialise déjà nettement plus, avec une approche plus thématique que chronologique.
Je vois ça du petit bout de ma lorgnette d'historienne un peu sortie de ce monde universitaire, mais ça pose un problème je crois.
Après, pour ce qu'en disent les étudiants... les réactions que je vois autour de moi sont assez désabusées, et les étudiants en L1 ou L2 que je croise pensent déjà que leur année est fichue. Certains sont prêts à retenter l'an prochain, d'autres pensent se diriger vers des formations type BTS. Ça n'est certainement pas représentatif de l'ensemble des étudiants, mais ça m'a frappé de voir cette désillusion au sujet de l'université.
jeudi, mai 7 2009
11:00
Merci d'apporter le regard d'autres disciplines. En histoire, effectivement, cela pose un gros problème. Est-ce que je dis sur le comportement des étudiants, intéressés uniquement par le diplôme, et très peu par les contenus, se vérifie aussi dans cette discipline ?
Pour les BTS et IUT, il y a aussi une différence importante entre disciplines : en économie à Paris, les étudiants sont de toutes manières là parce qu'ils n'ont pas été pris dans de telle formations (en tous cas pour une majorité d'entre eux).
— Mathieu P.jeudi, mai 7 2009
11:29
Je confirme pour les maths... je ne suis personnellement pas concernée, suivant une formation à distance, mais je cherche encore la moindre intersection non vide entre la topologie du premier semestre et le module de "processus et simulation" du second. Il semble en revanche que les facultés de mathématiques soient moins bloquées que celles de lettres - il serait intéressant d'essayer de croiser l'importance du contenu par rapport au diplôme creux et le pourcentage de bloqueurs. Voyant que j'écris chinois, je m'explique : de nombreux étudiants en licence envisagent de passer le CAPES, qui porte généralement sur un programme précis. Peu importe finalement de ne pas avoir suivi un seul cours d'histoire de l'Egypte antique si celle-ci n'est pas au programme du CAPES de l'an prochain - en revanche, il importe beaucoup d'avoir validé ce cours pour pouvoir s'inscrire à la préparation du CAPES...
— Emmelinelundi, mai 11 2009
05:03
Ca sent la L3 de tele6 emmeline, non? C'est bien comme formation? (J'aimerai m'y inscrire l'an prochain)
— LudoBref... Pour ce qui est de passer en conditionnel (en quelque sorte) c'est clairement impossible pour plusieurs catégories d'élèves:
- Ceux qui souhaitent intégrer une écoles ou une autre fac.
- Ceux qui bossent en plus des études qui ne pourraient suivre un "double semestre".
- Ceux qui ne sont pas (encore?) passionnés (même raisons). En effet, j'ai remarqué que beaucoup d'élèves d'économie se révélaient tard.
- Ceux qui ont des difficultés (si en plus ils ne sont pas passionés et veulent intégrer une autre fac, ils sont dans la m****).
- Ceux qui partent à l'étranger (pour reprendre un commentaire précédent).
Tout ça représente quoi... 40% des L1/L2? Déjà que le taux d'échec est énorme pour ces années...
Je pense qu'une solution serait en effet celle des examens à correction bienveillante combinés avec des cours de soutiens/rattrapage donnés durant l'été pour aider à passer le cap avec d'éventuels rattrapages ou pour l'année suivante.
[Mode Coup de gueulle trollesque= ON]
Quand je vois que je suis en spé économétrie et que j'ai loupé la quasi-moitié de mes cours dans cette matière j'ai envie de demander un remboursement des frais de scolarité et d'une partie de mes impots!
Quand ya des grèves de transport la RATP rembourse une partie de la carte orange, non?
[mode Coup de gueulle trollesque=OFF]
mardi, mai 12 2009
01:31
Réponse à ta réponse, Bokken :
— Serein"Est-ce que je dis sur le comportement des étudiants, intéressés uniquement par le diplôme, et très peu par les contenus, se vérifie aussi dans cette discipline ?" --> mes souvenirs d'étudiante en Deug remontent à plus de 10 ans (tout ça ne nous rajeunit pas ;-)) donc je risque d'avoir une vision déformée. J'étais à Rennes II, fac bien connue pour son activisme. En histoire, nous étions très nombreux en Deug, quelque chose comme 600 en Deug 1 et 300 en Deug 2. Un grand nombre d'étudiants ne savaient absolument pas ce qu'ils venaient faire là et ne s'intéressaient pas franchement à l'histoire. Beaucoup de recalés des BTS dans mon souvenir, beaucoup d'ex-premières années d'autres disciplines aussi incongrues que le droit ou la biologie (incongrues pour le fait de se retrouver en histoire). Il y avait aussi tout un groupe assez important de "politiques", éternels 1ère ou 2e année, qui tenaient les syndicats étudiants mais ne venaient absolument pas pour étudier.
Autant c'était assez intéressant humainement, avec un brassage humain et social qu'on ne retrouve sans doute pas dans les facs parisiennes, autant j'ai souvenir que ça parasitait pas mal le déroulement des cours et des TD, où le travail des étudiants est primordial. Les méthodes d'enseignement en histoire sont telles que si l'étudiant qui doit préparer un document pour un TD le fait mal ou ne le fait pas, tous les autres vont avoir une lacune que le prof aura du mal à réparer dans le temps qui lui reste. Au final, un certain gâchis je pense pour tous ceux qui n'avaient pas trouvé "leur place" en histoire et partaient après 2, 3 ou 4 années de Deug. Je ne sais pas ce qu'ils sont devenus.
Mon expérience de monitrice en fac "banlieusarde" maintenant : beaucoup d'étudiants, là aussi, qui ne savent pas pourquoi ils sont là. Besoin d'un diplôme quelconque. Besoin d'une bourse aussi, pour beaucoup. Besoin d'un visa pour quelques uns. Sur 3 ans de monitorat, j'ai du avoir au maximum 20 étudiants vraiment intéressés, dont peut-être la moitié finiront leur cursus historique avec un diplôme à bac + 5. J'ai beaucoup d'étudiants en 1ère année qui sont partis soit en cours d'année, soit en fin, pour directement travailler ou faire une formation plus employable, et très franchement je ne pouvais que les y encourager. Pour la poignée d'étudiants qui aiment leur cursus, ça vaut le coup de se donner à fond. Mais c'est très étrange de se retrouver devant une quarantaine de personnes totalement inintéressées, en sachant qu'on aura beau faire le cours le plus passionnant du monde, rien n'en sortira. À la limite, ça n'était même pas le diplôme qui les intéressait, c'était d'avoir 1 an de passé, 1 an où ils savaient où ils étaient, avant de se retrouver perdus dans le monde du travail.
Tout cela n'est pas très réjouissant... En tous cas si je ne me prononce pas sur la réforme actuelle dont je n'ai que des échos contradictoires, je remarque qu'une fois de plus le problème fondamental de l'orientation des étudiants et de l'inadéquation profonde entre notre système de formation et le monde réel n'est pas réglé. Entre pragmatisme et idéalisme, pour ma part j'ai fini par choisir, au prix de pas mal de renoncements. Mais apparemment ça n'est pas demain la veille que les étudiants auront réellement la possibilité de faire leur choix de vie de façon sereine et profitable. Dommage.