Il y a vingt ans

J'étais étudiant à l'ENSAE, et j'utilisais mes notes de cours comme support pour apprendre le langage de typographie LaTeX, qui est un standard dans le domaine scientifique. Plutôt que de les garder pour moi, je les mettais à disposition sur ma page personnelle. Certaines de ces notes, d'ailleurs, reprenaient largement des fichiers élaborés par un collectif d'étudiant.e.s, « La Cuisine Expérimentale », dont le site web a disparu depuis. Comme je m'essayais aussi au HTML, j'avais mis ces notes en téléchargement sur ma page web d'étudiant.

De mon point de vue, il s'agissait d'un exercice à mon bénéfice. J'ai eu l'agréable surprise de voir certaines de ces notes utilisées par d'autres personnes de ma promotion (y compris dans la corbeille de la salle à la fin de l'examen de fin de semestre). Mes camarades de promotion les plus proches m'avaient d'ailleurs remercié en payant ma part au dîner de fin d'année — je ne leur ai jamais dit à quel point ce geste m'avait touché. J'avais même été contacté par une enseignante, qui était intéressée par les fichiers source pour la rédaction d'un manuel.

Lorsque ma page étudiante a été supprimée, j'ai migré sans trop y penser ces notes sur mon blog nominatif, et, honnêtement, j'avais oublié leur existence. Jusqu'aux remerciements d'il y a quelques semaines.

Aujourd'hui

Avec la multiplication des ressources disponibles en ligne et l'essor majeure des ressources pédagogiques en libre accès, je pensais ces notes franchement obsolètes : elles sont très austères, presque schématiques, manquent d'exemples, et comportent sans doute bien trop d'erreurs et de typos (de mon fait). Ce que je n'avais pas mesuré, c'est qu'elles restent alignées avec les cours donnés à l'ENSAE, ce qui leur confère une utilité particulière pour les élèves actuels.

Sur le plan pédagogique, je regrette naturellement que de meilleurs supports ne soient pas mis à disposition par l'ENSAE et les enseignant.e.s. Pour avoir travaillé cette année sur l'accessibilité des cours aux publics neuroatypiques, j'ai découvert que mettre à disposition des élèves un support de cours complet à l'avance est le degré zéro de l'accessibilité, et devrait tout simplement être la norme. Manifestement, l'idée que la mise à disposition des supports fait que les étudiant.e.s ne viennent plus en cours a la vie dure, sans être à ma connaissance conformée par des données empiriques (et l'ENSAE serait bien l'endroit où conduire des expériences rigoureuses à ce sujet).

Du côté des élèves, je pensais que les nouvelles générations étudiantes se seraient saisies des outils collaboratifs qui n'existaient pas à mon époque, de la Wikiversité à Overleaf, pour construire, génération après génération, des notes de cours autrement meilleures que les miennes. J'ai probablement sur-estimé leur acculturation à ces outils, qui n'arrivent que plus tard dans le parcours académique. Là encore, c'est un manque pédagogique du système français, qui fait souvent l'impasse sur les méthodes et outils, de la prise de notes manuscrites à la construction de supports numériques partagés.

Bref, il y a encore de grandes marges de progression.