Academic Pride
Depuis deux semaines, j'au vu fleurir dans mon centre de recherche des affichettes appelant à l'Academic Pride. J'ai été consterné de leur contenu. En effet, les revendications raisonnables étaient entourées d'un discours disant en substance « donnez-nous de l'argent et ne nous demandez aucun compte de ce que nous faisons avec, vous êtes trop bêtes pour comprendre ». En dehors du ridicule consommé de l'argument de gratuité et de coopération dans le monde universitaire (alors que la concurrence est d'autant plus féroce qu'elle ne s'exprime pas en termes monétaires), de la maladresse insigne consistant à dire comme une évidence qu'il n'y aurait rien eu de mieux à faire des sommes englouties dans le paquet fiscal que de les donner à la recherche (ce qui ravale les auteurs au niveau des autres lobbies qui tiennent le même discours), je trouve très, mais vraiment très malvenu le refus de se confronter à la question de l'utilité sociale de la recherche.
Je l'ai déjà dit ici, il me semble qu'expliquer au grand public à quoi sert la recherche, pourquoi cela est intéressant et vaut la peine qu'on le finance fait partie des devoirs du chercheur et encore plus de l'enseignant, devoir trop négligé en France, en particulier en direction des intermédiaires qui constituent les enseignants du primaire et du secondaire (ces derniers étant d'autant plus méprisés des universitaires que ceux-ci savent bien qu'il ne s'en est pas fallu de grand-chose pour que les places soient échangées avec certains de leurs collègues du secondaire). L'attitude de l'Academic Pride me semble aller diamétralement à l'encontre de cette idée, et en refusant par-dessus le marché l'évaluation interne, alimente l'image d'un monde opaque et fermé sur lui-même.
Bref, tout cela m'incite à penser que la logique de poursuite de la rente risque fort de dévorer le mouvement que représentait Sauvons la recherche.
Durée des thèses
J'ai par ailleurs discuté avec une doctorante qui trouvait absolument scandaleuse la pratique consistant à profiter, après une allocation de thèse, des allocations chômages auxquelles le statut de contractuel donne droit. Je ne saurais lui donner tort : il s'agit d'une perversion du système.
Étant moi-même actuellement en campagne pour les postes d'ATER, je suis sensible à la question. Et il me semble que le problème se situe en amont. La plupart des financements de thèse sont pour trois ans or, dans de nombreux domaines, il est rigoureusement impossible de boucler une thèse en trois ans. On peut en déduire qu'il faut rallonger les financement. J'en déduis plutôt que dans les matières concernées, il faudrait en rabattre sur les exigences de ce qu'est une thèse pour prendre acte que l'ère des thèses durant cinq à dix ans est terminée, et qu'un travail de trois ans suffit à déterminer si une personne est apte à exercer les fonctions d'enseignant-chercheur. C'est à cela que sert une thèse, ne l'oublions pas.
Je prêche ici contre moi : ayant changé de spécialité au sein de l'économie entre le DEA et la thèse, je suis en retard sur le calendrier. Cela n'empêche, il me semble qu'une rélfexion sur la durée d'une thèse constitue un point de passage obligé dans la réforme du système de recherche français. Je n'ai malheureusement jamais entendu personne aborder ce point. L'avez-vous vu évoqué quelque part ?
4 réactions
1 De Gizmo - 26/05/2008, 18:45
On en parle ici (pp. 24-26) : lesrapports.ladocumentati...
Ceci étant, je ne partage pas votre point de vue : "prendre acte que l'ère des thèses durant cinq à dix ans est terminée, et qu'un travail de trois ans suffit à déterminer si une personne est apte à exercer les fonctions d'enseignant-chercheur".
La dérive consistant à calquer le mode de production des thèses en SHS sur celui des sciences dures ne me semble pas pertinente. Il est possible de faire des thèses de type "Trois essais sur...", avec peu ou prou, un essai par an. De plus en plus, on observe que ces essais sont des articles disjoints, parfois co-écrits avec le directeur de thèse ou d'autres co-auteurs. Comment dès lors apprécier l'autonomie du jeune chercheur, sa capacité à s'approprier une thématique d'ensemble ? Vous me répondrez que c'est ce qui se passe aux Etats-Unis. Peut-être, mais souvent, les doctorants sont plus murs, ont une scolarité moins linéaire, avec un passage dans le monde non académique avant de commencer un master ou une thèse. Par ailleurs, l'insertion dans la recherche se fait de manière plus marquée dès le master (il n'est pas rare que les jeunes commencent à publier, ou à tout le moins produire, dès le master, ce qui est plutôt rare en France). Je reste attachée à l'exercice de thèse comme une étape dans la formation d'un esprit scientifique qui dépasse la seule démonstration d'une aptitude à produire un savoir parcellaire. Etre enseignant-chercheur c'est aussi être capable de maîtriser un savoir plus global que quelques techniques nécessaires pour produire un article spécialisé en économie. Le fait que vous teniez ce blog est une preuve indirecte que vous partagez en partie ce point de vue, même si les exigences du monde académique auquel vous aspirez vous enjoignent de vous conformer a minima aux standards qu'il édicte. [Et bon courage pour la dernière ligne droite...]
2 De nojhan - 26/05/2008, 20:08
« déterminer si une personne est apte à exercer les fonctions d'enseignant-chercheur. C'est à cela que sert une thèse »
Je ne suis pas tout à fait d'accord. Une thèse sert à former un chercheur et à valider ses capacités à mener à bien un travail de recherche. La thèse, en elle-même sert à ça. Il se trouve qu'on peut très bien faire une thèse sans jamais enseigner (archétype : la thèse en contrat CIFRE), de la même manière qu'il est possible d'enseigner (archétype : bourse + monitorat), ou encore de n'enseigner qu'à certains moments (exemple du (demi) poste d'ATER en dernière année).
La thèse ne sert pas qu'à faire le tri entre les bons étudiants qui deviendrait maître de conférence et les mauvais, qui finiraient consultants, voir ingénieurs s'ils ont eu la mauvaise idée de faire des sciences dures. Les statistiques montre d'ailleurs tout à fait le contraire : la grande majorité des docteurs ne finissent pas par s'encrouter (je caricature à dessein pour faire contrepoids, bien évidemment) dans le public, on devrait donc dire qu'un effet de bord sympathique de la thèse consiste à permettre, aux moins entreprenants des impétrants, d'envisager une carrière de fonctionnaire...
De la même façon, 3 ans pour une thèse en science « dures » sont également tout à fait courts. Il ne faut pas croire qu'on finit une thèse en science le coeur léger et la sensation du devoir accompli. C'est bien entendu tout le contraire, après 3 ans viens la sensation qu'on commence juste à maîtriser son sujet et que c'est maintenant qu'on pourrait faire des étincelles... Mais voilà, il faut bien se limiter, tant pour le bien des finances générales que pour la santé mentale du thésard. C'est donc 3 ans (parfois 4), trop court, mais suffisamment long pour savoir ce qu'est la recherche en sciences... sans préjuger du reste :-)
3 De Olivier - 04/06/2008, 23:05
Concernant les thèses trop longues, il faut aussi reconnaître que cela dépend aussi de l'encadrement et de ses incitations. Voir à ce sujet comment Harvard a réduit la durée de complétion des thèses:
www.insidehighered.com/la...
Naturellement, cela ne résout pas le problème de l'allongement de la durée minimale nécessaire pour pouvoir faire une contribution tangible. Voir à ce sujet un working paper de Benjamin Jones:
faculty.chicagogsb.edu/wo...
4 De david - 17/06/2008, 15:16
Ce tu dis ne s'inscrit que dans les sciences sociales, ou en general ? Personellement, bien que n'effectuant pas ma these en France, j'ai aussi la contrainte des 3 ans, et un probleme tout bete est la recherche du post doc a l'etranger (US principalement). Avec une these en 3 ans, il est dur de se 'mesurer' a ceux qui en ont fait une deux fois plus longue (dans mon domaine, les theses de 5-6 sont assez courantes), au niveau des publications. Ce probleme ne se pose pas en economie ?
Le fait que tu dises que 3 ans de these suffisent a voir si l'apprenti docteur est capable d'etre enseignant-chercheur m'etonne, mais peut etre la aussi s'agit-il tout simplement d'une difference de domaine et de culture propre a chaque discipline. Il me semble justement qu'en France, on donne des postes beaucoup trop tot; alors bien sur, dans le contexte actuel en France, si on etend de X annees l'attribution de postes, ce serait catastrophique. Aux US, il y a cette non linearite des parcours mentionnee par Gizmo, dont l'absene me parait etre la cle a beaucoup de problemes en France dans le domaine de la recherche publique, enfin de mon petit point de vue encore thesard.
Bon courage, je me reconnais assez dans tes interrogations par ailleurs :)