De l'accès aux articles

Le monde de la publication économique a vu récemment apparaître un modèle de diffusion gratuite, avec Theoretical Economics. Cette expérience est intéressante à trois titres : le comité éditorial est fondé de poids lourds du domaine (donc la garantie d'un peer review de qualité), les délais de publication sont raisonnables (75$ par article), et la licence adoptée est familière aux habitués du genre : la cc-by-nc (droit de reproduction et de modification, sous réserve de citer l'auteur original et d'utilisation non-commerciale).

Pourquoi ces économistes se sont-ils lancés dans une telle démarche ? Un journal académique classique fournit deux services à ses lecteurs, la sélection des articles et leur diffusion. L'intérêt du second de ses services a vu son intérêt décroître considérablement avec la possibilité de mettre en ligne les articles, pratique très générale en économie sous la forme des working papers. Le premier service est en revanche beaucoup moins aisément rempaçable, d'autant plus qu'il y a d'importantes rentes de situation : un journal reconnu (comme le JET) peut faire appel aux meilleurs spécialistes pour évaluer les articles proposés, entretenant sa réputation d'excellence. D'où les rentes très importantes constatées dans ce domaine.

Quelle est la vision qu'en a l'économiste lambda ? Pour lui, la rente est peu importante, puisque l'abonnement aux différents journaux est payée par sa structure de recherche, et mutualisé entre différents chercheurs. Il faut alors voir les coûts comme, côté demande, la difficulté d'accéder à des articles récents de qualité d'une part, et la longueur de la procédure d'évaluation de ses propres articles. Côté offre, le coût est essentiellement le temps dédié à l'évaluation des articles par les membres du comité éditorial. La variable d'intérêt est donc essentiellement de délai de publication. Or, les délais de publication dans les revues classiques se sont considérablement allongés dans les denières années, pour dépasser un an et demi pour les plus grands journaux.

Dernier point, pourquoi cette initiative vient-elle du domaine de la théorie économique ? Après avoir été un peu partout le domaine-phare de l'économie, l'économie théorique est actuellement en perte de vitesse (en nombre de chercheurs et de thèses) par rapport à des démarches plus empiriques ou mixtes. De ce fait, il devient d'autant plus important de publier pour les chercheurs dans ce domaine, et de diffuser largement leur publication afin de défendre l'intérêt du domaine.

Des données

Une explication concurrente à mon dernier point serait que l'accès libre aux travaux empiriques ne serait intéressante que si les données elles aussi étaient en lmibre accès, ce qu'elles ne sont pas. Machiavélisme ou paresse des économistes ? Pas autant que Laurent ne le laisse entendre.

En effet, le premier engagement que prend un empiriste quand il reçoit des données est de respecter le secret statistique :

Il interdit, pendant une durée de cent ans, toute communication de données ayant trait aux faits et comportements d'ordre privé recueillies au moyen d'une enquête statistique. Les renseignements d'ordre économique ou financier ne peuvent être communiqués à quiconque pendant une durée de trente ans. La même loi interdit toute utilisation de ces informations à des fins de contrôle fiscal ou de répression économique.

De même, des provisions complémentaires protègent la vie privée des enquêtés. Ainsi, même en manipulant une enquête très standard comme l'enquête Emploi, on peut facilement violer ces provisions. Dans un travail récent, j'ai dû regrouper deux régions, car l'une des deux ne comprenait que trois observations intéressantes, et publier ces trois observations aurait permis d'identifier la personne enquêtée. De ce fait, les données microéconomiques doivent être soumises à des procédures de signature d'engagement du respect de ces règles, et on comprend que l'INSEE ait autre chose à faire que la chasse aux contrevenants.

Pourquoi de telles règles ? Le respect de la vie privée est une raison. Mais une autre est plus puissante encore : ces règles permettent d'obtenir des déclaration plus honnêtes de la part des enquêtées. Comment en effet obtenir des réponses sincères sur des sujets sensibles si le premier venu peut obtenir les résultats de l'enquête et divulguer sur son voisin des informations que ce dernier souhaiterait garder privées ? Il ne suffit pas d'anonymiser les réponses : l'âge, le sexe, l'occupation professionnelle et une variable de localisation géographique un peu fine peuvent suffire à qui connaît la personne de l'identifier avec certitude, surtout ci celle-ci n'a pas fait mystère du fait qu'elle avait été enquêtée.

De même, les données de part des ventes, de système tarifaire ou d'investissement des entreprises constituent des variables stratégiques dans leurs relations avec leurs concurrents. Inutile d'espérer obtenir le moindre chiffre si le service compétent du concurrent peut y avoir aisément accès.

Ainsi, si les économistes ne publient pas leurs données comme le font les astronomes, ces que ces données ne sont pas neutres pour les agents concernés, comme peut l'être, par exemple, la composition de l'atmosphère de Vénus. Limiter leur diffusion n'est ainsi pas une barrière à l'entrée, mais la condition d'obtention de données d'une qualité minimale.