Manifestement, les choses sont parties d'une tribune volontairement incendiaire de Vincent Maraval dans Le Monde, suivie d'un important contrefeu. Je laisse à Stéphane le soin d'expliquer la situation. Pour la suite, les contre-tribunes du monde dérivent vers les poncifs de la situation personnelle (Dany Boon, millionnaire exilé) ou pire, le refrain sur la grande qualité du cinéma français par rapport au cinéma d'outre-Atlantique, le tout assaisonné de manière assez indigeste d'une confusion constante entre salaires, cachets, rémunérations, produit de taxes et pourcentages sur les recettes.

Revenons aux sources

Sur le fond pourtant, il n'y a probablement rien à ajouter à ce que disait sur le sujet Françoise Benhamou dans Les Dérèglements de l'exception culturelle (Seuil, Paris, 2006, p. 201 à 212) ainsi que dans L'Économie du Star-System (Odile Jacob, Paris, 2002) : le système de soutien au cinéma français souffre d'une opacité fondamentale qui empêche d'en identifier tant les effets positifs que les coûts. La multiplication des dispositifs ainsi que leur complexité individuelle défit l'analyse économique (sans parler de l'allergie du secteur à tout ce qui pourrait ressembler à une analyse d'impact).

On en vient ainsi à un résultat en apparence paradoxal : d'une part, trop de films sont aidés, encombrant les salles et les programmes télé d'une offre pléthorique; d'autre part, un petit nombre de films concentrent une part importante des aides, nourrissant le niveau de rémunération des acteurs incontournables pour l'obtention d'une diffusion large et aux heures de grande écoute.

En fait, l'un comme l'autre des phénomènes procèdent pour partie d'un mécanisme appuyé par des aides automatiques, liées au succès en salle des films précédent des principaux acteurs et du metteur en scène. Malgré l'existence de plafonds, cela concentre les sommes sur les acteurs et réalisateurs à succès. Dans la mesure où les financements privés sont conditionnés à l'obtention d'aides publiques, ces sommes ont un effet de levier très important, ce qui donne aux personnes concernés un pouvoir de marché important. Joue ensuite la logique du star-system, qui leur permet de capter une partie subtantielle des financements supplémentaires ainsi obtenus. Inversement, le reste des aides automatiques est distribué à un très grand nombre de films, dont la plupart n'ont qu'une diffusion confidentielle - c'est essentiellement la production qui est aidée, il ne faudrait pas toucher à la précieuse indépendance des exploitants de salles, voir la rubriques libraires ou agriculteurs.

Comment s'en sortir ?

Je n'ai pas lu dans les différents articles de piste convaincante. Une simplification drastique du systèmes d'aides, associée à des dispositifs d'études d'impact, serait évidemment une bonne chose, mais insuffisante si on ne touche pas au cœur du problème, qui se situe à mon sens dans le refus de mener une politique culturelle. Par peur de se faire attaquer sur ses choix, par manque de courage pour défendre des prises de position, par faiblesse face au secteur, les gouvernements successifs ont mené une politique industrielle du cinéma, et non une politique culturelle. Ils ont encouragé la production, pas la qualité de celle-ci ni l'efficacité de sa diffusion (on retrouve là d'ailleurs un mépris pour le public déjà vu dans le domaine de l'édition papier).

Accroître les aides aux films sélectionnés par la commission, de manière à mieux en accompagner tout le processus de production et de diffusion, pourrait paradoxalement profiter à tous, en réduisant le nombre des films soutenus sans être vraiment diffusés et en permettant de la sorte d'améliorer le remboursement des avances[1].

Je partage donc l'analyse de Françoise Benhamou, qui suggérait en 2006 le recours plus large à des comités de sélections plus exigeant, finançant moins de projets mais avec plus de moyens et un accompagnement tout au long du cycle de vie de l'œuvre (j'ajouterais jusques et y compris un passage plus précoce dans le domaine public, en contrepartie de l'aide reçue). Politiquement, cela signifie un ministère de la culture qui assume une subjectivité, des choix qui seront parfoi sheureux ou malheureux, plus à la mode des palmes cannoises que du financement automatique du dernier Resnais, Dubosc ou Jaoui. Cela signifie de pouvoir faire face à des accusations de partialité, d'art officiel, de favoritisme, et, le pire, le constat que régulièrement, on sera passé à côté de tel ou tel talent.

À tout prendre cependant, le risque de la partialité (plus important selon moi que celui de l'élitisme : il y a assez de festivals de cinéma pour qu'on sache comment réunir un jury qui pense à autre chose qu'à son nombril et ses copains) me semble un moindre mal face au système actuel, qui ne finance pas assez les films d'auteurs et fournit encore plus de levier à ceux qui n'en ont déjà que trop.

Note

[1] F. Benhamou, Les Dérèglements de l'exception culturelle, p. 205.