Réguler un système complexe
Le récent discours de Andrew G Haldane (Banque d'Angleterre) est arrivé comme une divine surprise pour les partisans d'une régulation simple du système bancaire. S'il y a beaucoup à dire en faveur d'une simplification de celle-ci, ce n'est pas à mon sens dans ce discours qu'on les trouvera.
Problèmes complexes, règles simples
L'argument central du discours est que, dans de nombreux domaines, des règles simples permettent de gérer des problèmes complexes. L'exemple que donne son titre au discours est celui d'un chien, qui parvient fort bien à attraper un frisbee sans connaître les équations complexes décrivant le mouvement de celui-ci. En fait, un tiers du discours est composé exclusivement d'exemples de ce type, où des heuristiques dominent pour l'instant une modélisation plus fine du processus.
Les exemples sont exacts, mais ils ont ceci en commun qu'ils décrivent de situations où la définition de l'heuristique se fait pas un processus long (voire évolutionnaire) d'essais et d'erreurs. Si la complexité a un coût, la définition de l'heuristique en a un, que le discours ignore. Avant que le chien réussisse à attraper le frisbee, combien de fois ce dernier atterrira-t-il dans un buisson ou sous une voiture. En termes de régulation bancaire, combien de Lehman ou de Northen Rock, combien de crises majeures avant de définir la bonne heuristique ?
L'argument central est ainsi fragile, d'autant plus fragile qu'une régulation complexe (Bâle II) n'empêche en rien un régulateur d'appliquer aussi des heuristique simples (ce que le régulateur luxembourgeois ne s'est pas privé de faire, d'ailleurs).
Confusion entre complexité et implémentation
Une autre grande faiblesse de ce discours réside dans la confusion entre la complexité d'un modèle et celle de leur implémentation. Oui, il est vrai que les modèles complexes sont plus fragiles quand ils sont appliqués à des données insuffisantes. Mais le problème ne réside pas dans le modèle, mais dans le fait que les règles statistiques de robustesse ne sont pas respectées. Un problème de gouvernance et d'implémentation, qui n'a rien à voir avec la complexité des modèles eux-mêmes. J'ai du mal à ne pas en retirer l'impression d'un régulateur qui essaye de se dédouaner de son propre manque de compréhension de ces règles d'application.
Cette confusion se redouble quand il s'agit de faire la distinction entre les modèles réglementaires et les modèles internes. Un élément, passé sous silence, est que les banques ne développent pas des modèles de gestion du risque d'abord pour faire plaisir au régulateur. Elles le font d'abord pour améliorer leur gestion du risque. La complexité des modèles peut alors être en deçà ou au-delà de celle des modèles réglementaires.
Contrairement à ce que dit le discours, d'ailleurs, les modèles réglementaires ne sont pas du tout du même niveau que les modèles internes. Il suffit de se plonger dans les textes eux-mêmes pour constater le nombre de choix arbitraires, de paramètres choisis suite à des négociations fort éloignées de leur pertinence statistique pour s'en convaincre. Si on n'en voulait qu'un exemple : les catégories réglementaires traitent de la même manière les crédits à la consommation standard et les crédits à l'achat automobile, alors que les premiers sont proches du revolving (risqué) et les second du prêt immobilier classique (peu risqué).
Une simplification nécessaire
Pour autant, il est clair que la simplification de la régulation financière est nécessaire. Les textes sont effectivement longs, complexes et coûteux à implémenter. Ce que le discours ne dit pas, c'est que cette complexité est largement due à l'accumulation de couches réglementaires, de surcharges introduites l'une après l'autre depuis 2008, dans l'urgence et sans plans d'ensemble. Le Comité de Bâle en est d'ailleurs conscient, et propose de rationaliser le traitement des expositions de marché, tout en introduisant des indicateurs simples comme planchers pour calculer les charges en capital.
Ce n'est pas à mon sens une raison pour tout raser. Le discours le démontre d'ailleurs, tant il apparaît évident que l'appel à un système financier plus simple relève du wishful thinking : obliger les banques à se priver d'outils et de produits complexes ne ferait que pousser ces outils vers les institutions non régulées, grandes bénéficiaires déjà de certains errements réglementaires.
Ainsi, oui, il y aurait besoin que le système financier soit plus compréhensible par les régulateurs. Les banques doivent faire des efforts de transparence, et être plus attentive aux limites des modèles qu'elles emploient. En contrepartie, on peut espérer autre chose des régulateurs que d'être des hérissons et des renards, jugeant de l'adéquation du capital ou de la gestion des risques sur la seule base de leur intime conviction. je ne pense pas que ramener la régulation cinquante ans en arrière fasse que le système financier suive la même direction.
Publié le mardi, septembre 4 2012, par Mathieu P. dans la catégorie : Finance - Lien permanent
Commentaires
mardi, septembre 11 2012
00:17
Le freebanking est l'abrogation de toute interdiction ou contrôle de l'activité bancaire, y compris le droit de créer une monnaie et de l'émettre. Chaque unité monétaire est alors une certaine obligation contractuelle de la banque. Il existe, a priori, plusieurs monnaies.
De courtes périodes de freebanking ont existé dans presque tous les pays riches. La plus longue période fut en Ecosse. Elle a durée 130 ans et s'est terminé en 1845.
En freebanking, aucun instrument financier n'est contrôlé par l'Etat. Seul le contrat produit les règles. Il n'y a donc aucune régulation étatique. Pensez-vous que la finance fonctionnerait aussi bien en freebanking?
— gidmozmardi, septembre 11 2012
09:59
Je ne crois absolument pas en la fiabilité du freebanking. Même un régulateur disposant de pouvoir d'enquête très étendu (il peut aller dans les banques et regarder les données, jusqu'aux mails) a du mal à s'y retrouver dans les produits exotiques, les relations croisées, etc. Peut-on espérer qu'un consommateur puisse mieux appréhender cela ? Nous ne sommes pas sur un marché où on peut procéder par essais et erreurs comme un paquet de céréales. C'est d'autant plus vrai que les effets de verrouillage sont importants : une fois que vous avez des versements et prélèvements automatiques sur un compte, il devient coûteux d'en changer.
De fait, les épisodes de free banking se sont le plus souvent très mal terminés (pour les épargnants), et ont nécessité une intervention publique massive. La question a été longuement discutée sur le blog d'Éconoclaste, et ce que je retiens de la discussion est qu'il s'agit d'une lubie de l'École autrichienne, traduisant assez bien la difficulté de celle-ci à appréhender les marchés à information imparfaite.
— Mathieu P.dimanche, janvier 27 2013
18:56
Bonjour, je sais que je reagis un peu tard, mais bon, c'est un sujet fondamental.
En voyant le discours d'Haldane, ma premiere reflexion a ete que le monde a besoin de plus de maths, pas moins (je suis francais apres tout :) ). Je m'explique: nombre d'outils actuels ont echoué dans leur objectif de capturer les risques de facon adequate lors de la crise. Cependant, ils ont beau etre souvent complexes, c'est bien parce qu'ils ne le sont pas encore assez qu'il leur manque qqch!
On le voit par exemple dans le pricing des exotiques: Black Scholes marchait plutot pas mal jusqu'en 1987 (crash), puis d'autres modeles ont pris la releve, se specialisant sur chaque sous-jacent et segment de marche. Enfin, la crise de 2008 a apporté de nouveaux defis. C'est clairement un processus iteratif de complexification des modeles, pour capturer une realite de plus en plus... complexe!
En ceci, Haldane se trompe. Tant que les modeles ne seront pas capables de prendre en compte un certain nombre d'imperfections de marché, comme la formation de bulles, ou les herd effects, il reste de la complexite a maitriser...
Pourtant a l'inverse, j'ai aussi interpreté le papier de Haldane en tant que volonte de simplifier les choses, pour ne pas justement tomber dans le piege de l'arbitrage regulatoire (dans lequel j'inclus les contournement des regles), en se basant plus sur des incentives. Pour reprendre un lieu commun: make it simple, not simpler!
— Economiam