Problèmes complexes, règles simples

L'argument central du discours est que, dans de nombreux domaines, des règles simples permettent de gérer des problèmes complexes. L'exemple que donne son titre au discours est celui d'un chien, qui parvient fort bien à attraper un frisbee sans connaître les équations complexes décrivant le mouvement de celui-ci. En fait, un tiers du discours est composé exclusivement d'exemples de ce type, où des heuristiques dominent pour l'instant une modélisation plus fine du processus.

Les exemples sont exacts, mais ils ont ceci en commun qu'ils décrivent de situations où la définition de l'heuristique se fait pas un processus long (voire évolutionnaire) d'essais et d'erreurs. Si la complexité a un coût, la définition de l'heuristique en a un, que le discours ignore. Avant que le chien réussisse à attraper le frisbee, combien de fois ce dernier atterrira-t-il dans un buisson ou sous une voiture. En termes de régulation bancaire, combien de Lehman ou de Northen Rock, combien de crises majeures avant de définir la bonne heuristique ?

L'argument central est ainsi fragile, d'autant plus fragile qu'une régulation complexe (Bâle II) n'empêche en rien un régulateur d'appliquer aussi des heuristique simples (ce que le régulateur luxembourgeois ne s'est pas privé de faire, d'ailleurs).

Confusion entre complexité et implémentation

Une autre grande faiblesse de ce discours réside dans la confusion entre la complexité d'un modèle et celle de leur implémentation. Oui, il est vrai que les modèles complexes sont plus fragiles quand ils sont appliqués à des données insuffisantes. Mais le problème ne réside pas dans le modèle, mais dans le fait que les règles statistiques de robustesse ne sont pas respectées. Un problème de gouvernance et d'implémentation, qui n'a rien à voir avec la complexité des modèles eux-mêmes. J'ai du mal à ne pas en retirer l'impression d'un régulateur qui essaye de se dédouaner de son propre manque de compréhension de ces règles d'application.

Cette confusion se redouble quand il s'agit de faire la distinction entre les modèles réglementaires et les modèles internes. Un élément, passé sous silence, est que les banques ne développent pas des modèles de gestion du risque d'abord pour faire plaisir au régulateur. Elles le font d'abord pour améliorer leur gestion du risque. La complexité des modèles peut alors être en deçà ou au-delà de celle des modèles réglementaires.

Contrairement à ce que dit le discours, d'ailleurs, les modèles réglementaires ne sont pas du tout du même niveau que les modèles internes. Il suffit de se plonger dans les textes eux-mêmes pour constater le nombre de choix arbitraires, de paramètres choisis suite à des négociations fort éloignées de leur pertinence statistique pour s'en convaincre. Si on n'en voulait qu'un exemple : les catégories réglementaires traitent de la même manière les crédits à la consommation standard et les crédits à l'achat automobile, alors que les premiers sont proches du revolving (risqué) et les second du prêt immobilier classique (peu risqué).

Une simplification nécessaire

Pour autant, il est clair que la simplification de la régulation financière est nécessaire. Les textes sont effectivement longs, complexes et coûteux à implémenter. Ce que le discours ne dit pas, c'est que cette complexité est largement due à l'accumulation de couches réglementaires, de surcharges introduites l'une après l'autre depuis 2008, dans l'urgence et sans plans d'ensemble. Le Comité de Bâle en est d'ailleurs conscient, et propose de rationaliser le traitement des expositions de marché, tout en introduisant des indicateurs simples comme planchers pour calculer les charges en capital.

Ce n'est pas à mon sens une raison pour tout raser. Le discours le démontre d'ailleurs, tant il apparaît évident que l'appel à un système financier plus simple relève du wishful thinking : obliger les banques à se priver d'outils et de produits complexes ne ferait que pousser ces outils vers les institutions non régulées, grandes bénéficiaires déjà de certains errements réglementaires.

Ainsi, oui, il y aurait besoin que le système financier soit plus compréhensible par les régulateurs. Les banques doivent faire des efforts de transparence, et être plus attentive aux limites des modèles qu'elles emploient. En contrepartie, on peut espérer autre chose des régulateurs que d'être des hérissons et des renards, jugeant de l'adéquation du capital ou de la gestion des risques sur la seule base de leur intime conviction. je ne pense pas que ramener la régulation cinquante ans en arrière fasse que le système financier suive la même direction.