Le tour du site a déjà été effectué par Olivier Ertzscheid (affordance.info) sous le titre « 1001libraires.com : qui aime bien, châtie bien » et par Clément Monjou (ebouquin.fr) avec « 1001libraires : encombrant livre numérique… ». Force est de constater que le ton est avant tout celui de la déception. L'un comme l'autre attendaient un libraire en ligne, mettant en avant la dimension de conseil et de relation, intégrant l'offre numérique. Le site ne propose, en l'état, ni l'un ni l'autre et souffre d'une ergonomie inférieure à celle de ses concurrents.

Je ne vais pas me lancer dans ne critique exhaustive. Je suis très largement d'accord avec la vision des billets ci-dessus : il est étrange de voir une page d'accueil sans un seul livre (même sur mon moniteur 24 pouces et en plein écran, ils sont trop en bas de la page), pas de vision calendaire des évènements, dissociation complète du livre physique et du livre numérique, etc. Je voudrais insister sur deux points en lien avec ce que nous avions pu écrire dans Le Prix unique du livre à l'heure du numérique.

Les libraires et le conseil

Nous avions souligné qu'à côté des acteurs du type Amazon, les libraires avaient un avantage dans le conseil, générique avec la publication d'avis et de recommandations, et particulier à la relation avec un client potentiel. Ce rôle est selon nous d'autant plus important pour la chaîne du livre et valorisable qu'il porte sur les titres ne disposant pas d'une grande exposition par ailleurs ou sur des titres nouvellement sortis. Il me semble que le site échoue pour l'instant sur les deux points. En termes de conseil d'ensemble, le nombre de critiques est beaucoup trop peu important. Pour un site attendu depuis si longtemps, je ne comprends pas l'absence d'un programme de préparation du contenu. Trois critiques par semaine et par libraire participant ne semble pas un objectif irréaliste et aurait doté le site d'une base initiale de plus de 3000 critiques. Depuis la page d'accueil, on peut actuellement accéder à 20 critiques. En termes de conseil personnalisé, on peut envoyer un mail à un libraire. C'est déjà un progrès, mais je m'attendais bien plutôt à un système à la LibraryThing où le libraire aurait eu accès à ma bibliothèque, utilisant non seulement mon mail mais aussi mes lectures précédentes et ce qu'elles révèlent de mes goûts. Ne serait-ce pour ne pas me conseiller un livre déjà lu. Le site arrivant en outre après un certain nombre de réseaux sociaux dédiés, il aurait été intelligent d'avoir la possibilité de communiquer avec ces réseaux, y ajoutant les titres achetés ou permettant d'échanger avec ces réseaux.

Le conseil aurait également pu passer par l'intégration d'autre chose que la critique, qui est le décalque d'une pratique de la presse, et de la vente au titre. Ce site aurait ainsi représenté une plate-forme de choix pour proposer des offres d'abonnement, du type : vous avez une liseuse ? Pour X€ par mois, nous vous proposons de recevoir sur votre liseuse une sélection personnalisée / tous les textes au programme de votre année d'études / les ouvrages recommandés par vos enseignants (utilisant ici l'ancrage local des librairies, qui savent ce que recommandent les enseignants de l'université ou de l'école voisine). Rien de tout cela, c'est regrettable, mais cela ne semble clairement pas la philosophie du site, ancré dans la logique de la vente du volume à l'unité.

Les libraires et les données

On le sait, la gestion d'une base de données bibliographique est un exercice difficile. Mais ici, je crois qu'on peut vraiment regretter qu'ait été transposée sans adaptation ce qui se fait dans les librairies. Pour un libraire, présenter un roman en grand format comme une référence séparée de l'édition de poche, elle-même séparée de l'édition numérique a sans doute un sens. Pour le lecteur potentiel, cela n'a aucun intérêt de ne pas les avoir sur la même page puisqu'il s'agit avant tout du même texte sur trois supports différents. La gestion des différentes références devrait faire partie de ce qui se passe à l'intérieur du site. À voir ce qui se fait ailleurs, je me demande d'ailleurs si cela n'aurait pas été une bonne idée de fournir une interface permettant aux utilisateurs du site de signaler erreurs et doublons dans la base, quitte à les motiver par des bons d'achat en fonction de leur contribution à l'amélioration de la base de données. Là aussi, cet effort d'aide à l'orientation du lecteur est un atout du libraire sur la grande distribution, atout qu'on ne retrouve pas dans ce site.

Au final, mon impression est aussi celle de la déception, tant les manques sont flagrants surtout pour un projet de cet ampleur en termes de budget et de temps. La bonne nouvelle pour 1001 libraires est que ce lancement décevant a généré un certain nombre de billets comme celui-ci, explicitant de manière assez précise des attentes du public. À eux maintenant de ce saisir de ces éléments et de les implémenter rapidement dans une seconde version du site.