Tiens, les intermittents
Comme un lecteur me le fait remarquer, les négociations périodiques autour du régime des intermittents du spectacle vont se rouvrir. La partie s'annonce tendue. Dans ce contexte, l'article (DOI:10.1051/futur/3675) de Bruno Coquet dans Futuribles fait l'effet d'un coup de canon.
Ces derniers représentent, en effet, 0,8 % des salariés affiliés au régime général, 3,4 % des effectifs indemnisés et 5,9 % des dépenses du RAC.
Il s'agit en substance d'une charge puissante contre le régime des intermittents du spectacle. Plutôt que de parler des abus, des questions de périmètre des professions concernées ou du types d'entreprises ayant recours à ce régime, Bruno Coquet met en avant les grandes masses budgétaires et les profils d'activité et de revenu des bénéficiaires.
En complément d'une masse salariale de l’ordre de 1,8 milliard d'euros distribuée par les firmes, les dépenses d'indemnisation pèsent aujourd'hui plus de 1,3 milliard d'euros par an, soit 40 % du revenu des IS. Ces caractéristiques du marché du travail des industries du spectacle engendrent un déficit annuel du RIS de plus de 1,2 milliard d'euros qui élève de 0, 25 % le coût du travail dans les secteurs marchands. Ce transfert est devenu un problème structurel pour le RAC, qui sans cela ne serait pas endetté, mais aurait disposé d’une trésorerie positive dépassant 10 milliards d'euros fin 2008, à l'entrée dans la crise
En lui-même, le constat n'est pas nouveau : il était déjà présent dans Les Dérèglements de l'exception culturelle de Françoise Benhamou. Les éléments cités indiquent cependant que la situation empiré au cours des dernières années, au point que le déficit du régime des intermittents (que paie le régime général de l'assurance-chômage) représente le double des subventions au spectacle vivant du Ministère de la culture. L'auteur argumente également que l'enjeu n'est pas l'ampleur des abus ou le périmètre mais le fonctionnement du système lui-même, qui permet aux entreprises du secteur une flexibilité extrême et des niveaux de rémunération (salaires plus allocations chômages, ces dernières représentant souvent plus de la moitié des revenus perçus) garantissant l'attractivité des métiers concernés et donc la possibilité de trouver à tout moment les personnels nécessaires à un projet. Si l'auteur reconnaît les mérites des industries culturelles, il prescrit toutefois le démantèlement de ce régime, qui organise le spectacle vivant autour de lui plutôt que d'être organisé autour d'eux, au profit d'un système de subventions à la production.
À la lecture de l'article, peut-être trop rapide, je m'interroge toutefois sur la distribution des gains. On sait que la distribution des revenus (bruts) est très inégale. Il ne me semble pas que l'article montre à quel point le système lisse ou amplifie les inégalités de revenus bruts. Si on est dans le second cas, il y a semble-t-il de la marge de manœuvre pour augmenter le taux de cotisation, avec éventuellement un taux progressif, même si cela ne suffira certainement pas à combler le déficit du régime.
En tout état de cause, on peut s'attendre à entendre à nouveau parler des intermittents dans les semaines qui viennent.
Publié le mardi, novembre 9 2010, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
mardi, novembre 9 2010
15:35
Oulala. Cet exposé est technique. J'ai vraiment du mal à suivre les raisonnements. Pourtant il me semble que c'est un sujet qui peut intéresser tout un chacun.
Alors, j'essaie de comprendre. Un intermittent du spectacle est payé d'un revenu du travail à temps partiel et d'une assurance chômage. L'idée étant que, par exemple, un acteur de théâtre est payé pendant les 3 mois où il donne son spectacle, mais pas les 3 mois où il les prépare. Pour assurer une continuité du revenu, l'intermittent touche une allocation chômage au titre de sa qualité qui n'est, par ailleurs, pas interrompue par son travail effectif.
Bruno Coquet note que la part de l'assurance chômage dans le revenu total des intermittent est élevée (semble-t-il trop élevée à son goût, mais je suis incapable de l'apprécier).
Pour ta part, tu évoques que certains (la plupart ? la quasi-totalité ?) des intermittents sont salariés d'entreprise du spectacle. Sont-ils embauchés à plein temps ou à temps partiel ? Peut-on vraiment être salarié à plein temps et intermittent de toute façon ? Je pensais que c'était, par définition, impossible.
Finalement, quel est vraiment le reproche adressé au régime des intermittents ? Ça coûte beaucoup d'argent financé par l'impôt, mais ce n'est pas rare. Je suppose que c'est mis en face de quelque chose d'autre. Si on faisait la peau dudit régime, à quelles mutations peut-on s'attendre dans l'industrie du spectacle ?
Et pour conclure : où ai-je dit des bêtises ?
— Arnaud Spiwackmardi, novembre 9 2010
16:27
Je n'ai pas eu le temps de résumer tout l'article, e qui fait que l'exposé ci-dessus est obscur.
Un problème est effectivement que les artistes sont typiquement payés pour les représentations mais pas pour les répétitions, alors qu'ils devraient l'être (on est là dans le domaine du pur abus). Plus généralement, les allocations-chômage représentent en moyenne 40% des revenus des intermittents, soit beaucoup plus que la moyenne des autres catégories de salariés, y compris les plus précaires, pour des revenus moyens nettement supérieurs. Il s'agit donc d'une subvention massive du secteur concerné, subvention financée de manière inéquitable puisque payée uniquement par les cotisations chômage des salariés du secteur privé. Il y a donc un problème à ce niveau : à tout le moins, le régime des intermittents devrait être à l'équilibre ou pratiquement à l'équilibre, ou devrait être financé par un impôt levé de manière équitable.
Un autre problème est l'utilisation d'une série de contrats courts entrecoupées de périodes de pseudo-chômage par les entreprises, qui permettent d'avoir des personnes avec le statut d'intermittents sur des fonctions qui devraient être occupées par des emplois à temps plein. Ce phénomène est connu hors du domaine du spectacle vivant mais il constitue un mode de fonctionnement majeur de l'intermittence.
Un argument important de l'article est que le système permet aux entreprises du spectacle vivant de disposer d'un vivier important d'artistes. D'un côté, c'est une bonne chose, puisque cela permet de monter un spectacle sans se poser la question de la disponibilité d'une large part de la main-d'œuvre. D'un autre côté, cela entraîne une sur-entrée dans cette filière qui a pour conséquence un taux d'emploi effectif très faible de personnalités qualifiées et créatives qui seraient peut-être utiles dans d'autres domaines de l'économie.
Au final, le principal problème au yeux de de l'auteur est double. C'est d'une part l'efficacité douteuse du dispositif et d'autre part le caractère très injuste de son financement.
— Mathieu P.lundi, novembre 15 2010
08:42
Le raisonnement tiendrait si on l'appliquait à d'autres catégories que les intermittents. Il faudrait alors prendre en compte d'autres investissements collectifs que l'assurance chômage et sur une durée moins court termiste que l'année de travail (éducation, santé, infrastructures, etc.). On se demanderait alors quel est pour la société le surcoût engendré par la production d' un énarque, d'un normalien, d'un député, d'un docteur, etc.
Évidemment on ne fait pas ça lorsque l'on pointe le "déficit" d'une caisse sociale, on prépare juste une opération politique, une restructuration.
Or le problème posé par l'intermittence excède l'existence des intermittents eux-mêmes puisqu'il s'agit en fait de savoir quels moyens sont concédés pour garantir la disponibilité d'une main d'oeuvre flexible dans un contexte où le marché de l'emploi se caractérise depusi des années déjà par un taux d'embauche en CDD qui oscille entre 70 et 80% des entrées dans l'emploi. On sait que ces contrats sont brefs, leur durée moyenne, toutes catégories confondues, est de deux mois. Il faut actuellement 4 mois d'emploi pour ouvrir des droits au chômage, or les intermittents sont pour leur part soumis à un seuil horaire inférieur (507h sur 10 mois). Et malgré les réformes (suppression de la "date anniversaire, c'est à dire diminution de la période de référence ; limitations du champs d'application qui ont déjà fortement limité l'accès) ce régime du chômage de l'intermittence reste un contre modèle pour l'ensemble des salariés à l'emploi discontinu : il constitue la preuve que les modalités de cumul salaire allocation "offertes" par le RSA, les mesures de contraintes à l'emploi non choisi (et leurs radiations), les propositions anglaise ou allemandes de suppression d'allocation en cas de non prise d'une emploi, que toutes ces mesures disciplinaires et d'austérité (où l'on fait payer à des salariés boucs émissaires un chômage structurel) n'ont absolument rien de "naturel" quoi qu'en disent avec obstination les économistes et experts préposés à la fabrication de la concurrence.
Si les lecteurs veulent creuser la question, ils peuvent lire sur internet des Contre-propositions pour une réforme de l’assurance-chômage des salariés intermittents (sur le site de la coordination des intermittents et précaires) qui n'ont rien d'une "défense corporative" mais cherchent au contraire à répondre à la précarisation à l'oeuvre depuis 35 ans du point de vue de ceux qui la vivent.
— Colporteurlundi, novembre 15 2010
10:33
Je crains qu'en tenant cette ligne, vous passiez à côté des principaux arguments de l'article et ne donniez ne bâton pour vous faire battre :
— Mathieu P.- Le coût de la formation des énarques ou normaliens est assorti d'un engagement décennal au service de l'État, par lequel celui-ci s'assure de disposer d'un personnel qualifié payé moins cher que son prix de marché.
- Un des arguments essentiels de l'article n'est pas le coût absolu du régime des intermittents mais sa répartition : il semble inéquitable de faire reposer le financement de la production de spectacles vivants sur les seuls salariés du secteur privé, exemptant de contribution les fonctionnaires et les indépendants.
- En faisant du régime de l'intermittence un contre-modèle, vous donnez toutes les armes à l'auteur de l'article, qui souligne que c'est *à cause* de l'existence de ce régime que l'emploi des artistes est aussi discontinu, et qu'un régime moins généreux obligerait les producteurs à fournir plus de stabilité aux artistes. Vous vous enfermez donc dans son argument : soit vous êtes favorables à l'emploi précaire et défendez le régime actuel (et alors vous allez devoir expliquer en quoi la précarité est désirable aux autres salariés), soit vous êtes contre la précarité et devez vous opposer à l'extension d'un régime qui organise la production autour de la précarité de l'emploi.
lundi, novembre 15 2010
12:19
La précarité de l'emploi n'a pas nécessairement à impliquer la précarité sociale, actuellement organisée par l'Unedic (plus de la moitié des chômeurs non indemnisés), le RSA (404 euros pour une personne seule...), la fiscalité (TVA qui frappe plus violemment que quiconque les bas revenus), le système scolaire (stages en entreprises tout au long de la scolarité de 13 ans au doctorat, puis encore ensuite, c'est à dire du travail sans les garanties de l'emploi, dont le salaire, le chômage, la retraite).
Pour les générations entrées sur la marché du travail depuis le début de la hausse du chômage, en 1967, la question du "choix" est un faux argument. Aujourd'hui tout salarié passe par le chômage, plus ou moins longtemps, plus ou moins chroniquement. Le chômage on le voit anachroniquement comme un résultat des licenciements, alors qu'une grand part de celui-ci provient de fin de contrats.
Un médecin est un assisté, profession libérale ou pas dépassement faramineux des tarifs ou pas, c'est la sécu qui assure son ordinaire très spécial. Un cadre est un assisté, son gros salaire et son manque de temps lui font consommer un maximum du travail des autres. Pourquoi doit-on payer collectivement pour des emplois nuisibles (énarques, député, gardiens de prison) et refuser de garantir les moyens d'exercer des activités belles, utiles, choisies (pas pour écraser les autres comme les emplois précités) ?
La question comptable posée par Futuribles est simplement crapuleuse. Chacun sait qu'avec le niveua de productivité et de richesse d'un pays tel la France, il suffirait de ne plus gager la protection sociale (retraite, chômage) sur la durée d'emploi en inventant une autre assiette de prélèvement apte à intégrer des cotisations salariales rénovées dans un mécanisme plus vaste, par exemple une révision drastique de la fiscalité, par exemple des taxes infimes sur un certains nombre d'activités extrêmement rentables et décisives pour la productivité actuelle (télecom, par exemple).
Pour l'instant la précarité de l'emploi est le plus souvent subie. Et il est mensonger de vanter les mérites de l'emploi permanent pour faire croire qu'un plein emploi d'aujourd'hui puisse être chose qu'un plein emploi précaire.
— Beaucoup d'argent parce que je suis nombreuxlundi, novembre 15 2010
13:55
Vous avez des arguments intéressants. Il est donc dommage que vous les gâchiez par des hommes de paille. Que vous ayez une vision très tranchée des emplois utiles ou moins utiles à la société, soit. Mais je ne crois pas que cela serve votre propos de vouer aux gémonies des groupes ou des corps (énarques, gardiens de prisons ou députés) et d'encenser tout aussi indistinctement d'autres groupes. Il n'est pas difficile de trouver des énarques (du côté du Ministère de la santé, par exemple) dont la contribution à la société peut assez aisément soutenir la comparaison avec celle d'un Houellebec ou d'un Bertrand Cantat. L'introduction dans votre argumentation à propos du cadre du sophisme sur la masse constante de travail (le travail que fait quelqu'un est pris à quelqu'un d'autre) ne vous aide pas non plus.
Vous devez quand même être bien conscients que pour une large part de la population (celle qui ne va jamais voir de spectacles vivants, ce qui à la louche doit faire deux tiers des Français), l'utilité sociale des intermittents est tout sauf évidente. Vous pouvez dire qu'ils sont mal informés ou tenir leur jugement pour nul mais le fait est qu'on ne peut pas faire comme si cette opinion ne pesait pas de tout son poids dans les choix politiques. C'est pour cela que l'argument d'inéquité de l'assiette du régime des intermittents porte, puisqu'il concerne très largement ces personnes-là.
Il est donc effectivement possible de dégager des ressources avec une fiscalité mieux organisée. Reste à convaincre la société que ces ressources devraient être effectivement allouées à la création artistique. Et c'est à mon sens là que le bât blesse, les artistes ayant abandonné ce rôle à l'État, qui s'en est lui-même désintéressé. En d'autres termes, je crois, une production artistique reposant sur un financement de masse (ce qui décrit les masses budgétaires impliquées dans le régime des intermittents) requiert une adhésion sociale de masse. Qu'on le veuille ou non, c'est probablement aux artistes eux-mêmes de susciter aujourd'hui cette adhésion. Ce qui n'a rien de facile, j'en conviens volontiers.
— Mathieu P.lundi, novembre 15 2010
20:03
@Mathieu P. : Bien que votre "domaine du pur abus" de votre premier commentaire m'ait fait un peu sursauter (de la part d'un économiste normalement formé à voir, avec raison, le monde comme le résultats d'échanges volontaires librement consentis et mutuellement bénéfiques entre individus (donc pas d'abus, non ?)), je vous rejoins plutôt dans les deux derniers paragraphes de votre dernier paragraphe. Le déficit de l'assurance-chômage des "intermittents du spectacle" ne serait-il pas plus acceptable ou accepté si "la société" dans son (grand) ensemble accordait à ces derniers et leur travail plus, disons, d'importance ou de valeur explicitement exprimée ? Or, en effet, les derniers chiffres de fréquentation des salles de spectacle (2008) laissent prudent sur l'intérêt très large qu'auraient celles-ci pour un grand nombre de Français de 15 ans et plus : http://www.pratiquesculturelles.cul... et http://www.pratiquesculturelles.cul...
— Moggiolundi, novembre 15 2010
21:12
@Moggio : dans mon commentaire, il s'agissait d'abus vis-à-vis du contrat moral passé avec la société, qui voudrait que l'intermittence ne serve qu'à couvrir ceux dont les emplois sont précaires pour des raisons liées aux nécessités de la production artistique. Bien évidemment, si ce qui devrait être un CDD de six mois prend la forme de deux CDD de deux mois entrecoupés de périodes de pseudo-chômage, c'est que les deux parties y trouvent leur compte. Mais pas le système, qui n'a pas été conçu pour cela.
— Mathieu P.mardi, novembre 16 2010
12:38
@Mathieu P. : Au temps pour moi pour ma mauvaise compréhension, désolé. :)
— Moggiomardi, mars 27 2012
12:25
"Le Monde" daté d'aujourd'hui parle d'un nouveau rapport pour le ministère, sur le financement du spectacle vivant ( http://www.lemonde.fr/culture/artic... ). L'article ne parle pas des intermittents (je suppose que le rapport en parle) mais rappelle les plus de 2 milliards d'euros accordés par les collectivités publiques au spectacle vivant, et surtout propose sept "pistes" pour de nouvelles sources de financement. Il n'est pas très abusif de dire que ces sept propositions correspondent plus ou moins à sept nouvelles taxes !
— Moggio