Pour tout dire, je n'étais pas très serein au dernier moment. Mes transparents étaient prêts mais mon texte ne l'était pas tout-à-fait mardi matin, alors que j'avais prévu de consacrer l'après-midi à la logistique du pot de thèse. J'étais en fait d'autant moins serein que certains membres du jury avaient reçu des convocations à un horaire erroné (10h00 au lieu de 14h00) et on dû déplacer des engagements pour moi. Du coup, je me suis demandé presque jusqu'au dernier moment si tout le monde serait là. De fait d'ailleurs, plusieurs membres n'avaient pas reçu non plus les pré-rapports. Leçon donc pour les doctorants : assurez-vous que ce genre de choses (confirmation de l'horaire, envoi des pré-rapports et autres pièces utiles) est fait en le faisant vous-même.

Première étape : exposition des recherches

C'est celle sur laquelle, rétrospectivement, j'ai le moins à dire. Ayant un jury nombreux, il fallait faire tenir cinq ans de recherches en vingt minutes. Comme on me l'a fait très justement remarquer, cette présentation n'est pas, normalement, destinée au jury. Il a lu la thèse et sait de quoi ça parle. Elle est plutôt destinée au public, c'est-à-dire souvent à la famille et aux amis qui ne sont pas des spécialistes. j'ai donc essayé de faire quelque chose d'assez accessible.

Deuxième étape : les rapporteurs

Normalement, pas de grande surprise là aussi : les rapporteurs ont déjà donné leur avis dans les pré-rapports et je savais à quoi m'attendre en termes de question. J'avais passé une part importante des dernières semaines à préparer des réponses. De manière non concertée, les deux rapporteurs avaient relevé les mêmes points forts et les mêmes faiblesses. Au cours des questions, plusieurs idées qui m'intéressent particulièrement ont émergé :

  • Un rapporteur a relevé que le prix unique du livre rigidifiait les prix non seulement dans l'espace mais aussi dans le temps. Or, c'est un résultat de la littérature sur la propriété intellectuelle que baisser assez rapidement le prix d'un bien réduit considérablement les incitations au piratage, ce que ne permet pas le prix unique. C'est une dimension à laquelle je n'avais pas pensée et qui ajoute un argument de poids contre un prix unique du livre numérique calé sur celui du livre physique.
  • Avec le livre numérique, le piratage n'est pas la seule alternative à l'offre légale payante : la masse, énorme, des textes dans le domaine public va peut-être peser très lourdement sur les éditeurs. Les concurrents de Houellebecq ne seront plus seulement Nothomb, Lapeyre et consorts, mais Balzac, Marot, Zola, Hemingway, etc. À ce titre, l'accessibilité du domaine public pourrait avoir des conséquences d'importance sur l'offre littéraire elle-même.
  • La question de la mesure de la diversité est revenue plusieurs fois. Je dois admettre que si je trouve très intéressante la littérature sur la diversité, qui recouvre souvent un travail colossal de constitution des bases de données, je ne suis pas à l'aise avec l'exercice de construction des nomenclatures. Je ne me suis toutefois sans doute pas assez penché sur les papier d'organisation industrielle empirique, connaissant mieux ce qui s'est fait en économie de la culture sur le sujet.

Les examinateurs

  • On m'a fait remarquer une contradiction entre ce que je disais sur le prix unique du livre dans l'opuscule (ne très mauvais ni très désirable) et ce qui ressortait de mon modèle sur le marché du livre (où le prix unique améliore le bien-être social). La remarque éclaire les limites du premier des deux travaux. Dans mon modèle, le gain du prix unique est qu'il conduit à un appariement optimal entre les lecteurs et les titres. Ce résultat est tiré par des hypothèses assez fortes sur le comportement des libraires et je ne m'appuierais donc pas trop fortement dessus. Il souligne pourtant qu'il s'agit là d'une dimension qui échappe à la littérature empirique, faute de pouvoir mesure l'adéquation d'un produit au goût des lecteurs. Il faudrait disposer d'enquêtes de satisfaction détaillées, dont le maniement même est périlleux en général et dans le domaine culturel en particulier.
  • On m'a fait remarquer que si dans le discours le prix unique était destiné à sauver les libraires, il était en pratique un outil très puissant entre les mains des éditeurs, dimension que je n'avais que peu traitée. Il y aurait donc un travail complémentaire à faire pour comprendre comment cet instrument a pu agir sur les choix des éditeurs eux-mêmes et affecter la structure de l'édition et pas seulement de la vente de détail.
  • Plusieurs fois, on m'a demandé de prendre position sur une question précise (sur le prix unique du livre numérique, les vraies raisons du prix unique, l'évolution du secteur ou l'opportunité d'une plate-forme publique pour le livre numérique). J'en ai été assez surpris moi-même, bien qu'ayant effectivement des avis personnels sur ces différentes questions.
  • L'impact du numérique, dont je parle peu dans ma thèse, intéresse manifestement tout le monde (moi y compris). Cela va être un test intéressant de la capacité de la recherche économique à réagir rapidement à une modification profonde du secteur.

De très nombreux commentaires étaient en fait des propositions motivantes de développement et d'extension de mes modèles, ce qui a fait de la soutenance un élément très productif scientifiquement. Cela m'a donné envie de me remettre à travailler certains éléments, en contraste avec la lassitude qui va avec la rédaction du manuscrit de thèse.

Après la soutenance

Tout est passé pour moi à toute vitesse (je n'avais plus eu cette impression depuis la journée de mon mariage, c'est dire). Il y a beaucoup de gens à qui on a envie de parler ou que je voulais remercier simplement pour avoir été là, ce jour-là et depuis de début de la thèse. J'en profite pour remercier aussi tous ceux qui ont pensé à moi.

Maintenant, il faut que je me remette en route. Heureusement, j'avais quelques projets entamés, d'autres m'ont été suggérés tandis que la soutenance m'a donné du grain à moudre concernant l'existant. J'espère aussi avoir un peu plus de temps pour alimenter ce blog.