Live Blogging : ACEI 2010 (3)
Vendredi 11 juin, matin
Session parallèle 3 : Media 1
Je présente dans cette session, et discute un papier. J'ai préparé les slides pour la discussion, et ai finalement décidé de garder celles que j'avais préparé pour un séminaire (beaucoup plus long) à l'École d'économie de Paris, quitte à sauter pas mal de chose. J'arrive donc avec mes 27 slides pour un quart d'heure. Quand j'arrive, dix minutes à l'avance, je suis seul avec la chairwoman, Heritiana et Joëlle Farchy nous rejoignant peu après. À l'heure, il n'y a qu'un participant. Finalement, il y aura pas mal de monde, dont Stéphanie Peltier et Gillian Doyle.
Joëlle Farchy and Heritiana Ranaivoson : "The influence of funding by advertising on the diversity of TV broadcasting programming"
Utilisant une analyse fine d'un mois de programmation de deux chaînes de télévision, une publique et l'autre privée, dans quatre pays, les auteurs cherchent à voir si le mode de financement des chaînes concernées a un effet sur la diversité de leurs programmes. Pour ce faire, les auteurs utilisent un indice composite de diversité, fondé sur les travaux de Stirling. La difficulté de la chose est à la fois l'établissent de la base, avec le classement des émissions selon sept critères, et l'agrégation de tout cela dans un indice.
Sur leur échantillon, le mode de financement ne semble pas avoir d'effet important sur la diversité proposée, tant sur l'ensemble des programmes que sur ceux en prime time, moins diversifiés pour tout le monde.
Je suis discutant du papier. Mes principales remarques sont :
- Les auteurs disent tester une prédiction provenant, entre autres, de la littérature two-sided. Il me semble qu'ils testent en fait quelque chose d'un peu différent, la littérature two-sided s'intéressant à l'effet de la possibilité de faire payer l'accès (type Canal +), sans, à ma connaissance, d'éléments sur l'influence d'un financement tenant à des facteurs autres, comme un financement public.
- La construction d'un index est toujours quelque chose de périlleux. À cet égard, je suis un peu réservé sur le choix d'un index linéaire pour l'âge des émissions (la plupart d'entre elles appartiennent soit à un genre inventé avant les années 1960, ou après 1999) et sur la manière de déterminer le contenu informatif, qui me semble voisiner dangereusement avec le jugement de valeur.
- Les auteurs partent du principe que plus de diversité est nécessairement un bonne chose. Si j'en suis (en partie) convaincu, je fais remarquer qu'ils tiennent cela pour acquis dans leur papier, ce qui pourrait sembler étrange à des économistes non familiers avec le domaine de la culture.
- Comme les auteurs le font remarquer, le fait d'être public ou privé ne suffit pas à définir la fonction objectif d'une chaîne. France 2 a pour but avoué (c'est d'ailleurs dans le papier) de maximiser l'audience, ce qui la conduit à se comporter comme une télévision maximisant ses recettes publicitaires. Je pense que le papier gagnerait à donner quelques éléments descriptifs sur l'objectif de chaque station. À ce sujet, Gillian Doyle fait remarquer que la chaîne privée britannique choisie opère sous un régime de délégation de service public, qui comporte des obligations en termes de diversité.
Ma poire
J'ai plutôt l'impression que ma présentation s'est bien passée, au moins pour les chercheurs dans la salles qui ont un peu l'habitude de saisir un modèle (ce qui n'est pas toujours le cas dans le public de cette conf). Pour des raisons de temps, je ne présente que le cas de monopole, ce qui fait déjà bien assez. Les questions (surtout posées par Gillan Doyle, d'ailleurs) sont des questions que j'ai déjà eue en séminaire à Jourdan, j'ai donc mes réponses prêtes, surtout qu'il s'agit essentiellement d'éclaircissements sur la signification de certaines hypothèses du modèle et sur les détails de la motivation.
Nobuko Kawashima : "Rethinking Media Pluralism and Ownership: Control European Television in the Digital Age"
Comme c'est la Chair qui présente, elle me demande de présider la séance à sa place à ce moment-là (ce qui se résume plus ou moins à lui passer un papier quand il ne reste que cinq minutes). Son papier est une contribution plutôt programmatique autour de l'idée que, selon elle, il n'existe pas de base solide, ni empirique ni théorique, à l'idée que la concentration dans les médias nuise à la diversité des contenus.
À titre personnel, il me semble que la revue de littérature a manqué un certain nombre de papiers récents, qui auraient pu donner du poids au propos. De toutes manières, la discussion glisse de la notion de diversité à celle de pluralisme, dont je serais bien en peine de donner une définition. Apparemment, elle n'a pas réussi à convaincre, et l'idée qu'une large diversité au niveau de la propriété des médias est un impératif démocratique. Il me semble que la discussion fait un peu vite l'hypothèse que la population va automatiquement croire ce qui est dit dans les médias, même s'il y a de serieux doutes sur leur neutralité. Autant cette hypothèse me semble vraie dans un cadre statique et dans des pays avec des médias raisonnablement pluralistes, autant dynamiquement ou dans des pays dont les médias sont notoirement biaisés, cela me semble quelque peu abusif. De toutes manières, et là l'intervenante a probablement un point intéressant, on a certainement trop peu de données sur ce point.
Panel : Digital Rights
Une heure pour un sujet aussi vaste, c'est court. Et ça se sent.
Le premier intervenant (Anders Henten) nous parle de l'aspect technique du réseau, sur le thème de la neutralité du réseau. À mon sens, l'essence de son propos est que les opérateurs d'infrastructures de réseau (pour faire court, les fournisseurs d'accès internet) sont de plus en plus tentés de mettre en place des filtres donnant des priorités différentes aux différents types de trafic, en rupture avec l'usage fondamental d'Internet de traiter tous les types de trafic de la même manière. Les motivations pour se faire sont de deux ordres. Du côté technique, donner des priorités à certains trafics (streaming) sur d'autres (P2P, services asynchrones) permet de limiter la congestion des réseaux, et donc de limiter les dépenses en termes d'infrastructures. Du côté business, des priorités différentes permettent de faire payer plus cher ceux à qui on garantit une priorité élevée. Ce qui le conduit à une question à mon sens fort pertinente: est-ce que la compétition entre fournisseurs d'accès (ou plutôt entre ceux d'eux qui opèrent une infrastructure propre) semble suffisante pour limiter ce genre de comportements (pour autant que les consommateurs soient effectivement attachés à la neutralité du réseau) ? En l'état de la politique de la concurrence dans le domaine, affirme-t-il, c'est fort douteux, et cey élément devrait probablement figurer de manière plus importante dans l'évaluation de la situation du marché des télécoms.
Fabrice Rochelandet, qui suit, nous parle des DRM. Le sujet est à mon avis trop large pour le temps imparti, le propos soulignant essentiellement la très grande variété des dispositifs techniques et des modèles d'affaires qui leur sont associés. Je me demande dans quelle mesure les DRM peuvent fonctionner tant qu'ils ne sont implémentés que dans le software, et que l'utilisateur a la main à la fois sur son hardware et sur le software qu'il y fait tourner.
Ruben Gutierrez del Castillo, Spanish Authors Society, nous sort le rent-seeking habituel des organismes de collecte de droits d'auteur (DRM, Goole tax et tout ça). Avec en premier slide un beau graphique représentant les ventes de disques et une estimation du piratage (sur laquelle les participants ont eu la charité de ne pas l'interroger). Il y avait cependant un élément intéressant de ce graphique : le point d'inflexion des ventes en 1999 en Espagne, est antérieur au large déploiement du haut débit et au développement de l'activité des réseaux P2P dans le pays.
Face à l'argument des pertes d'emploi dans le secteur de la musique, Victor Ginsburgh fait remarquer qu'il faudrait rapporter ce chiffre au nombre d'emplois créé dans le domaine des fournisseurs d'accès et autres services bénéficiant de l'échange de fichiers sous copyright. L'argument semble prendre l'intervenant de court. V. G. en rajoute une couche en disant que selon lui, les HADOPI-et-assimilées vont avoir pour effet essentiel d'augmenter l'emploi dans les organisatins de collecte de copyright et les bureaucraties chargés d'appliquer les dispositifs concernés. Et Ruth Towse d'enfoncer le clou en disant qu'on ne sait en fait absolument rien sur l'élasticité de la production des artistes (les seuls emplois qui comptent vraiment du point de vue de la création) par rapport au régime de propriété intellectuelle.
Suit un excellent buffet, à mon sens bien mérité.
Publié le vendredi, juin 11 2010, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
samedi, juin 12 2010
12:14
"Je me demande dans quelle mesure les DRM peuvent fonctionner tant qu'ils ne sont implémentés que dans le software, et que l'utilisateur a la main à la fois sur son hardware et sur le software qu'il y fait tourner."
Je ne suis pas un expert. Mais je vais proposer quelques pistes. D'abord il y a plusieurs types de DRM.
Un premier type c'est les DRM qui jouent sur des propriétés physiques. En copiant un DVD on introduit généralement des erreurs, ce sont des produits fragiles. La protection contre les erreurs qui existent toujours est assurée par une grande redondance dans l'information qui y est inscrite. En diminuant cette redondance on fait des produits virtuellement impossible à copier. Le soucis c'est qu'ils sont aussi souvent impossible à lire.
Un second type est le tatouage (watermarking). Ces DRM ne visent pas à empêcher des utilisations, mais à garder la trace de l'origine du fichier. Le principe est proche de la signature cryptographique, mais au lieu de signer à la fin du fichier, on altère l'image ou le son de manière imperceptible à l'humain (mot-clef : stéganographie). Ça fonctionne quand on ne peut enlever le tatouage sans altérer l'image ou le son de manière significative. A priori, il y a des technologies qui fonctionnent pour ça.
Pour finir, il y a la DRM plus classique. Ça consiste (essentiellement) à vendre un produit crypté. Le produit sera lu par un lecteur dédié (matériel ou logiciel) qui connaîtra la licence accordée, et qui interdira l'utilisation du produit à des droits non concédés (copier le DVD, écouter la musique téléchargée le week-end, que sais-je). Celles-ci ne marchent pas des masses. Dans le sens où si le lecteur sais décrypter le produit, c'est qu'il a la clef de décryptage. Et donc, il suffit de fouiller un peu pour la trouver (c'est forcément la même clef pour tout le monde, une fois qu'elle est compromise, le produit est "ouvert" pour tout le monde). Donc la faille ici est logique. A priori, il n'y a pas de moyen de faire fonctionner ça.
— Arnaud Spiwacksamedi, juin 12 2010
17:18
Une nouvelle fois, merci !
D'accord avec votre troisième remarque concernant le papier de J. Farchy et H. Ranaivoson. En supposant qu'on soit d'accord sur ce qu'est la diversité (hypothèse 1) et sur ce qu'est un optimum dans le cadre médiatique retenu ici (hypothèse 2), il serait préférable de parler de diversité optimale. L'économiste brésilien Renato G. Flôres Jr. a un peu réfléchi à cette question, en distinguant les bénéfices et les coûts de la diversité culturelle avant d'examiner la question de la "recherche" d'un optimum ou d'optimums.
Sur la question "concentration dans les médias et diversité des contenus diffusés", je suis preneur de toute revue de la littérature disponible quelque part ! D'ailleurs, un article, dans une revue comme le Journal of Economic Surveys, portant sur la question plus générale "concentration industrielle versus diversité des contenus", faisant un état des lieux de la recherche dans le domaine culturel et médiatique serait bien utile.
Les deux remarques de V. Ginsburgh sont bien pertinentes, tout comme celle de R. Towse dont l'article qu'elle a dû, je suppose, présenter à cette conférence (http://www.acei2010.com/upload/acei... ) rappelle de manière essentielle que : "Little is known...about the economics of creativity or what economic incentives it responds to" et que les "economists have almost no empirical evidence about copyright as an incentive to creativity generated by individual creators." Ce genre d'affirmation (fondée) peut évidemment ne pas être pas du goût de tout le monde, notamment de l'intervenant espagnol d'une société d'auteurs mais aussi de ceux qui dépensent des ressources pour convaincre certains décideurs publics de renforcer encore les conditions de protection du droit d'auteur ou du copyright.
— Moggio