Je dois bien dire que cette accusation me gêne quelque peu. L'entreprise Google a-t-elle à un moment prétendu être le créateur des contenus qu'elle référence ? Il ne me semble pas. Au contraire, sa communication a mis un point d'honneur à expliquer que si vous ne voulez pas être référencé par Google, il suffit de le demander (directement, ou plus simple, avec une ligne dans le robots.txt de votre site). Je ne crois pas non plus qu'on puisse prendre Google en défaut sur l'attribution de l'information qu'il relaye : l'origine des articles sur Google actualités est claire, et l'origine des articles et photos clairement identifiée (ce qui est plus que ne peuvent en dire la plupart des journaux français, qui sont incapables de créditer convenablement une photo provenant de Wikimédia Commons ou un extrait de Wikipédia). Google ne parasite donc pas de contenu à proprement parler.
La question est donc : quelle est la proie de ce prédateur redouté ? Selon les sources, les réponses varie. Ici, on entend que le problème est la mise à disposition de contenus qu'ils n'ont pas financés. Qu'entend-on par « mise à disposition » ? L'immense majorité des contenus référencés par Google sont hébergées par des tiers. Google est alors un moteur de recherche, qui permet justement de trouver des contenus, perdus dans le brouillard de milliards de pages web. Cela me donne alors l'impression qu'on reproche essentiellement à Google son efficacité, c'est-à-dire sa capacité à trouver des réponses pertinentes à la recherche, y compris sur des sites où le contenu visé n'est pas derrière une barrière payante. En d'autres termes, c'est reprocher à Google de faire son métier. Là encore, la parade est aisée : si vous ne voulez pas que Google vous référence, une ligne de code suffit. Il faut alors s'interroger sur la pertinence de la stratégie consistant à produire un contenu pour qu'il ne soit pas trouvé.
L'essentiel est à mon sens ailleurs, la mise à disposition du contenu n'étant qu'un écran de fumée masquant ce qui intéresse vraiment tout le monde, c'est-à-dire le trafic, ou plus exactement les recettes publicitaires que permet d'obtenir ce trafic. Là encore, l'accusation de prédation directe ne tient pas : Google renvoie massivement vers d'autres sites, leur apportant un trafic dont il est douteux qu'ils bénéficient au départ. D'autant plus douteux d'ailleurs que le site en question est peu connu ou mal conçu. J'en vois dans le fond qui me disent que Google a ses propres espaces publicitaires, et donc plus il y a de contenus, plus Google devient nécessaire, et donc plus il obtient de recettes. Les producteurs de contenu exercent donc une externalité positive sur Google. Et là, on peut sortir le théorème de Coase : si les droits de propriété étaient complets, Google devrait être prêt à payer pour cette externalité. Sauf que l'argument va aussi dans l'autre sens : Google subventionne déjà tous les sites qu'il référence, en ne leur faisant pas payer le coût du référencement (on parle là de millions d'ordinateurs fonctionnant en permanence), ni participer au coût de développement d'algorithmes de plus en plus efficaces.
Cette subvention est-elle à la mesure de l'externalité ? Au niveau individuel, il semble que oui, sans quoi on observerait une phénomène massif de déréférencement. Certes, il peut exister des effets composés qui font que certains acteurs auraient collectivement intérêt à ne pas être référencés (mettons les journaux), mais alors on voit mal pourquoi ce serait à Google à payer pour l'incapacité de la presse à régler les problèmes de coordination en son sein. Force semble donc de constater que le service rendu aux producteurs de contenus par Google est suffisamment important pour qu'ils ne veuillent pas s'en passer. Ou le retour de Coase, dans l'autre sens : Google n'est pas un passager clandestin, mais offre un service (ce fameux référencement que les grandes surfaces font payer si cher à leurs fournisseurs). Qu'il l'offre gratuitement n'enlève rien à la réalité, et à la valeur de ce service, et je peine à identifier une défaillance du marché dans toute cette histoire, en particulier une qui appellerait une taxe comme remède.
J'aimerais croire que cette envie de faire payer Google repose sur une incompréhension des mécanismes des marchés bifaces. Mais j'en doute : reproche-t-on à un fabricant d'ordinateur de faire des profits sur une demande moins intéressée par l'ordinateur produit que par des logiciels développés par des tiers ? Reproche-t-on aux fabricants de consoles de jeux vidéos les profits faits grâce à la présence de jeux édités par des tiers sur leur plate-forme ? À ce titre, l'idée qu'il faudrait aussi faire payer les FAI, les fabricants d'ordinateurs et les producteurs d'électricité, avancée par dérision, prend du sens, puisqu'elle ne relève pas de la réduction à l'absurde, mais illustre l'incompréhension du fonctionnement du secteur dont sont victimes les partisans de cette taxe.
J'ai malheureusement la distincte impression que cette idée provient bien plus d'un mélange d'envie, à l'égard d'une entreprise qui parvient à faire de l'argent là où les autres échouent, et de désespoir d'un secteur qui d'aides publiques en taxes sur les support vierges, se tourne plus volontiers vers les subsides publics que sur ses perspectives d'avenir.
PS : À la relecture, je me rends compte que ce billet est fort confus, et je n'ai pas le temps de le ré-écrire. Donc en version courte : Google ne peut être considéré comme un passager clandestin, puisqu'il fournit un service, d'une grande valeur, aux sites qu'il référence. Que ces sites eux-mêmes reconnaissent la valeur de ce service est patent dans leur décision de ne pas interdire leur référencement, interdiction qui se fait à coût nul. Alors si les producteurs de contenus enragent sur le fait que le service de tri dans l'offre ait plus de valeur pour les consommateurs que la plupart des biens produits, on ne peut que les encourager à lire Creative industries de Richard Caves et à réfléchir sur les propriétés de nodoby knows et infinite diversity qui caractérisent les biens culturels.
14 réactions
1 De OSC - 16/01/2010, 06:12
Qu'entendez-vous par "J'aimerais croire que cette envie de faire payer Wikipédia repose sur une incompréhension des mécanismes des marchés bifaces" ?
Content, en tout cas, de lire un article sur Google qui ne fait pas l'hypothèse de départ que c'est la pire chose qui soit arrivée à l'Humanité depuis toujours pour arriver ensuite à la conclusion que c'est la pire chose qui soit arrivée à l'Humanité depuis toujours...
2 De Moggio - 16/01/2010, 12:59
Merci beaucoup pour votre billet, qui fait du bien !!! :D
Personnellement, plus Google se voit accuser - de manière intéressée, bien souvent - des pires maux, plus j'ai tendance à le soutenir, en utilisant très régulièrement plusieurs de ses services. Au risque de me répéter en tant que commentateur, j'apprécie là encore que vous utilisiez vos compétences en économie industrielle pour analyser l'hypothèse d'un Google prédateur, merci.
Bien sûr, comme nous vivons dans un pays grand défenseur déclaré de l'exception culturelle puis de la diversité culturelle, l'idée d'une "taxe Google" se développe en France actuellement (voir encore le "rapport Zelnik" d'il y a quelques jours sur "Création et internet" (un article là-dessus dans le The Economist d'aujourd'hui dont un des commentaires en ligne renvoie à cette autre billet d'un blogger français www.readwriteweb.com/arch... )) et les choses sembleraient s'activer du côté de nos représentants... (À ce sujet, quid d'une éventuelle position dominante (sur quoi, d'ailleurs ?) évoquée dans le "rapport Zelnik", qui en appelle à l'Autorité de la concurrence...?)
Il se trouve que, juste avant de vous lire, j'ai lu cet autre billet (www.rue89.com/en-pleine-c... ) de Françoise Benhamou, autre économiste de la culture. Elle parle bien, elle, de passager clandestin... Alors qui croire ?! ;-)
3 De Moggio - 19/01/2010, 17:30
Sur le sujet, l'économiste culturelle Françoise Benhamou, dans un autre billet assez proche de celui pour Rue89 (www.livreshebdo.fr/weblog... ) sur les "points forts" selon elle du rapport Zelnik-Toubon-Cerutti (www.culture.gouv.fr/mcc/E... ), considère que l'idée d'une "taxe Google" est "simple et convaincante a priori : taxer les revenus publicitaires en ligne des "grands acteurs" du web, comme Google, Yahoo, Microsoft ou... Facebook, sur la base des revenus générés par les clics sur les liens sponsorisés qu'ils proposent. Puisque les moteurs de recherche tirent des revenus de la mise à disposition duvres quils nont pas financées (dans la droite ligne de ce que lon appelle chez les économistes un "passager clandestin"), il serait logique de leur demander de participer à ce financement via une taxe sur les clics publicitaires, et cela dautant que ces sociétés sont basées dans des pays étrangers proposant des avantages fiscaux bien connus. Question : cette taxe, somme toute justifiée, est-elle applicable ? Question centrale, car rien nest plus ravageur que des effets de manche ou des coups de menton non suivis des actes quils annonçaient."
4 De Zoe99 - 27/01/2010, 10:40
la critique du jeudi 21 janvier 2010 par klopp sur le site critiqueduliberalisme que je signale en site Web me parait intéressante. Trouver un moyen humaniste de récompenser les auteurs et les vulgarisateurs me semble une bonne idée.
ps : très intéressantes aussi, vos façons de voir..., Merci
5 De WhiteHat - 05/02/2010, 00:43
Cher Blogueur je vous conseille vivement de mettre a jour le dotclear de votre blog car il y a une grosse de faille de sécurité permettant a des personnes sans scrupules de détruire votre travail.
fr.dotclear.org/ -> Installer la dernière version et vous devriez être en paix pour un petit moment.
nihongoo@hotmail.fr
6 De Mathieu P. - 05/02/2010, 12:21
Dont acte. Je suis maintenant passé à dotclear2. Comme je n'ai pas le temps de fignoler ni l'apparence, ni l'installation, cela va probablement casser les fils d'abonnement.
7 De Moggio - 23/03/2010, 22:16
Proposition de traitement (financé par l'endettement public) du "dossier Google" par le ministère de la Culture et de la Communication, son "Conseil du Livre" et ses copains, avec évocation d'un "accord sécurisé" : http://www.culture.gouv.fr/mcc/Espa... .
En prime, un "projet de texte législatif permettant à l'éditeur de conserver la maîtrise du prix dans l'univers numérique" (on y vient...) et une aide publique d'un demi-million d'euros pour un "projet de plateforme numérique des libraires indépendants" étant donnée la "volonté [du ministre concerné] de préserver le commerce du livre numérique du monopole de quelques acteurs trop puissants."
Comment appelle-t-on cela en économie ? Du rent-seeking, non ?
8 De Moggio - 25/07/2011, 13:28
Je suis retourné lire votre billet (que j'ai apprécié de nouveau) après avoir commencé à lire cet article tout récent de l'économiste Françoise Benhamou pour la livraison de juillet 2011 de la revue "Esprit", celle-ci continuant de qualifier Google de "free rider" (passager clandestin) : http://www.esprit.presse.fr/archive...
9 De Moggio - 21/09/2012, 18:51
De nouveau, je suis retourné lire votre billet ! Je l'ai fait après la lecture d'un article dans La Croix publié aujourd'hui expliquant pourquoi le lobby des éditeurs de presse veut "faire payer Google" (voir lien ci-dessous).
Auriez-vous connaissance d'autres billets ou d'autres textes qui développent le même argumentaire que le vôtre ci-dessus ? Merci.
http://www.la-croix.com/Actualite/S...
10 De Mathieu P - 23/09/2012, 16:09
Dans les réactions informées, j'ai vu à maintes reprises souligné le fait que si les journaux le voulaient, ils pourraient ne pas être référencés par Google. Une simple ligne dans robots.txt suffit.
Il s'agit donc d'une décision consciente chez eux d'être référencés (avoir le beurre) et vouloir aussi l'argent du beurre (les recettes publicitaires qu'attire Google avec un moteur de recherche performant).
Tant la démarche que l'audience qu'elle reçoit en dit assez long tant sur le niveau de désespoir de la presse française, qui ne se décide ni à prendre le virage du numérique ni à miser sur la qualité, que sur l'oreille complaisante que les pouvoirs publics tendent à ce type de recherche de rente.
11 De Moggio - 18/10/2012, 19:43
http://www.afp.com/fr/node/610055
Google réagit bien, non ?
12 De Mathieu P. - 21/10/2012, 16:23
Effectivement, Google réagit de manière logique. Il me semble que sur fond, cette réaction démonte l'argumentaire des patrons de presse : Google indique que ses gains à référencer la presse française sont inférieurs au montant proposé pour la taxe (et probablement à tout montant non-négligeable, tant la perte marginale doit être faible).
Il me semble que cette facette de l'argument n'a pas été manquée par les principaux intéressés, qui, à l'image de Laurent Joffrin, se réfugient dans des argumentaires de moins en moins réfléchis et de plus en plus stridents.
13 De Moggio - 02/11/2012, 09:28
Deux articles intéressants pro-Google publiés lundi par La Tribune :
http://www.latribune.fr/opinions/tr...
http://www.latribune.fr/opinions/tr...
14 De Moggio - 07/12/2012, 16:35
Le point de vue (rapide) pro-Google de deux juristes américains, auteur de l'ouvrage The Knockoff Economy : http://www.huffingtonpost.com/kal-r...