Échanges sur l'art contemporain
Je suis tombé par hasard sur deux articles, l'un de L'Express et l'autre, en forme de réponse, de Paris Art''. Autant le premier article est sans doute trop abrupt, autant le second me semble passer à côté des points intéressants du premier.
Résumons le premier : pourquoi les artistes français ne se vendent-ils pas sur le marché international ? L'auteur avance comme raison première qu'ils sont simplement moins créatifs que les artistes étrangers, et qu'ils apparaissent comme trop intellectuels. Il me semble qu'il faut saisir qu'il s'agit de deux arguments séparés. Le premier est une affaire de différenciation verticale (ils sont juste moins bons) et le second de différenciation horizontale (ils occupent la niche de l'ultra-conceptuel). Sur ces sujets, je n'ai guère qu'une opinion personnelle : je n'arrive pas à apprécier des œuvres qu'on ne peut aborder qu'après lecture d'un manifeste rédigé par l'artiste, long comme le bras et remplis de formules creuses qui ne rendent compte ni du problème intellectuel ni du problème plastique.
La seconde raison avancée est que les artistes français ignoreraient délibérément la mise sur le marché de leurs œuvres, le relais n'étant pas pris par les galeristes (franco-français eux aussi) ni par les collectionneurs. À quoi l'autre article répond sur le ton de l'art pour l'art, comme si la création artistique s'abaissait à se préoccuper de son public (eh oui, pour l'art contemporain, le premier public sont les acheteurs, pas les visiteurs de musées). Bref, une vieille querelle. Sauf que selon moi, un des deux côté est dans le déni de réalité le plus total. C'est maintenant une tarte à la crème de montrer comment l'augmentation des surfaces muséales réservées à l'art contemporain a, par effet de demande, généré une offre d'œuvres de grandes dimensions pour remplir ces vastes espaces vides. Le cas présent en fournit une nouvelle illustration : les artistes étrangers produisent ce qui plaît aux collectionneurs (c'est tout de suite moins méchant que de parler du marché, qui n'est jamais que la rencontre des galéristes et des collectionneurs), tandis que les artistes français produisent ce que les Frac achètent. Ce sont deux régimes dont on peut discuter les mérites respectifs, mais penser que la création est abstraite de la demande me semble relever de la politique de l'autruche, surtout dans le domaine des arts plastiques.
On peut toutefois reprocher une chose à l'article de L'Express : l'auteur aurait au moins pu suggérer que s'il n'y a pas de collectionneurs en France, les Frac y sont peut-être pour quelque chose : qui va s'amuser à aller sur un marché où les professionnels à temps plein des Frac vont rafler tout ce qui a la moindre chance d'être intéressant ?
Il y a bien quelque chose qui ne fonctionne pas bien dans la création plastique française (ce n'est pas un scoop, Françoise Benhamou l'a dit avant moi). Ce qui est vraiment inquiétant, toutefois, c'est moins ce manque de rayonnement (qui n'est qu'un symptôme) que la volonté d'exister indépendamment de toute considération matérielle.
Publié le dimanche, novembre 15 2009, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
dimanche, novembre 15 2009
15:17
Merci pour ces deux articles, que je ne connaissais pas.
— MoggioMa première réaction à l'article de L'Express a été : mais pourquoi faudrait-il s'inquiéter de savoir si les "artistes français contemporains" vendent ou pas leurs oeuvres sur le marché (international) de l'art ?! Qui s'en inquiète ? Cela veut dire quelque chose de bien précis et indiscutable "artistes français contemporains" ? Relativement à quoi ? Pourquoi ce besoin de distinguer les créateurs par leur nationalité ? Ne peut-on pas imaginer deux créateurs français absolument différents en matière de création et, en même temps, un créateur indien et un créateur français très proches dans leur manière de créer ? Et le collectionneur achète-t-il d'abord sur la base du critère de nationalité des artistes dont il voit les oeuvres ? J'avoue que je n'ai jamais bien compris ce besoin (ou plutôt j'imagine qu'il y a des bénéfices individuels de différentes natures liés à celui-ci) et j'ai l'impression de ne pas être le seul après avoir lu un passage sur le cosmopolitisme dans le dernier livre de l'économiste Tyler Cowen (Create Your Own Economy) dans lequel il parle de "diversité culturelle" et précise son point de vue selon lequel il n'est pas nécessairement pertinent de considérer cette dernière du point de vue de l'espace physique, des frontières nationales, du "face time", etc.
Une fois cette réaction passée, face à la question posée, mon premier réflexe a été, comme l'auteur de l'article, l'éventuel moindre talent des "artistes français contemporains" et de chercher, en supposant que l'argument est un peu pertinent, les raisons de cet état de fait. On peut alors dérouler la pelote :
- différences dans la qualité de la formation (lorsqu'il y en a une) au sens large (dont connaissance de langues voire de cultures étrangères, dont volonté d'ignorer les contraintes du marché et de défendre l'art pour l'art, etc.) ? peut-être ;
- la France puissance mondiale moyenne aujourd'hui et ses effets ? peut-être ;
- moindre présence de grands collectionneurs mécènes en France ? peut-être ;
- fort niveau d'intervention des collectivités publiques dans le marché de l'art en France ? peut-être.
En tout cas, les arguments proposés dans l'article de L'Express - plus ou moins ceux que je viens de préciser - ont le mérite d'inviter le lecteur à réfléchir, alors que le second article répond en effet, comme vous le dites, sur le ton de l'art pour l'art, de manière, disons, un peu vaine et ridicule (Tyler Cowen, dans son autre livre (In Praise of Commercial Culture), explique de manière intéressante comment, selon lui, au cours des derniers siècles, les créateurs occidentaux en peinture, littérature et musique ont intégré, et de plus en plus, la "logique" du marché dans leur manière de proposer de manière appréciable de nouvelles oeuvres au public ; et "avant le marché" et ses marchands, ces mêmes créateurs cherchaient à satisfaire les attentes supposées de rois, de princes, de nobles, de membres du clergé, etc.). Je partage ainsi votre point de vue lorsque vous dites que "penser que la création est abstraite de la demande me semble relever de la politique de l'autruche, surtout dans le domaine des arts plastiques."
Pour finir, votre reproche à l'auteur de l'article de L'Express est intéressant : le niveau d'intervention publique en France, du niveau national au niveau communal, avec, entre autres, les Frac, a peut-être un lien avec le faible nombre affirmé de grand collectionneurs en France. Je ne sais pas trop ce qu'il faut penser du dernier argument de l'auteur sur la protection pas nécessairement fructueuse que permet ce niveau d'intervention (là encore, nous sommes invités à réfléchir) mais le peu que je connaissance de ce dernier m'a conduit à conclure que le degré d'intervention est tel en France qu'il existe dans ce pays une sorte de système en circuit fermé dans lequel les artistes mais aussi tous les autres membres de ce système (des écoles d'art en passant par la "DAP", les "Drac", les centres d'art, la commande publique, le CNAP, les musées, toutes sortes d'intermédiaires, etc., etc.) arrivent plus ou moins à vivre de manière autonome grâce à la générosité initiale du contribuable (à qui, d'ailleurs, il est peut-être surtout demander de seulement contribuer financièrement, merci, on s'occupe du reste, ne vous inquiétez pas, votre argent est dans de bonnes mains !). Si cela est vrai alors il y a là une explication possible au regard de la question posée au début de l'article de L'Express.
(Sinon, est-ce bien vrai que les "artistes français contemporains" se "vendent" relativement peu à l'international ?)
jeudi, décembre 17 2009
14:02
Monsieur
— Olivier BorneyvskiBien plus quun commentaire, je me permets de vous déposer une uvre dart versée au catalogue du non-objet "Commentaires" sous le numéro : Pièce com67/décembre/2009
Artiste dart contemporain, je travaille essentiellement sur rien en collectant tous les événements de ma vie quotidienne dartiste qui pourraient éventuellement réussir à me permettre de produire une uvre. Vous avez par cet article réussi quelque peu à rendre plus concrètes mes nombreuses uvres absentes.
Merci.
Olivier Borneyvski-