L'immédiat après HADOPI
La censure du volet répressif de la loi HADOPI par le Constitutionnel nous vaut quelques articles sur le thème du « Et maintenant qu'est-ce qu'on fait ? ». Comme le fait remarquer Moggio dans un commentaire, la question est certainement mal posée.
En lisant cet article (pltôt intéressant) ou celui-ci (nettement plus mauvais), je ne peux que constater que la censure de la loi n'a pas été une occasion de faire avancer le débat. Les majors continuent à jouer le rôle de grand méchants, aucune confiance n'est accordée aux choix du public, et l'avenir est représenté sous la forme réductrice d'une alternative entre la perpétuation du mode d'organisation actuel des industries culturelles ou leur disparition.
Parmi les thèmes récurrents, je pense qu'on peut dégager deux lignes de force. La première est que l'idée qu'il faudrait taxer les FAI (donc in fine les abonnés, ne rêvons pas) pour financer la culture. C'est là étendre le système de subvention actuel avec tous les travers dénoncés par F. Banhamou dans Les Dérèglements de l'exception culturelle. La deuxième, c'est le constat du déplacement du pouvoir de marché en direction de ceux qui contrôlent les plates-formes (Orange, Apple, Google), avec l'idée que ces méchantes entreprises seraient nécessairement des éléphants dans le magasin de porcelaine de la culture. Voire. Google n'a-t-elle pas justement le type de compétences dont a besoin un secteur qui a tant de mal à surmonter ses problèmes d'information, à apparier un public à la recherche de contenus avec des personnes proposant ce contenu ? J'ai l'impression que les commentateurs qui s'effraient de ce changement pensent sincèrement que les entreprises de ce type seraient collectivement capables de scier la branche sur laquelle elles sont assises en ne finançant pas la création et en n'adoptant pas, pour des raisons obscures, la politique de diversification maximale des risques qui a été, depuis des décennies, la seule permettant de survivre dans le secteur des produits culturels.
Au milieu de tout cela, un grand pas serait fait si on daignait enfin, en France, ne plus mélanger le problème du financement de la création (inquiétude à mon sens légitime) de celle concernant la diversité (cache-sexe pour dire que ce que le grand public consomme n'est pas ce que certains l'aimeraient voir consommer). Ces articles prouvent, malheureusement, qu'on n'y est pas encore.
Publié le mardi, juin 16 2009, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
mercredi, juin 17 2009
07:23
D'un autre côté, la disparition de l'industrie de la culture n'aurait aucun impact sur la création, son rôle se bornant à distribuer des reproductions licites, métier que bien d'autres acteurs installés ou émergents qu'elle feraient tout aussi bien.
— PassantJ'ai l'impression qu'en faisant un rapport coût/bénéfice, le marché est prêt à se dispenser d'industrie constituée de la culture.
mercredi, juin 17 2009
09:51
@Passant : vous croyez vraiment que les entreprises des industries culturelles (au hasard Universal) font les profits qu'ils font sur la base d'une activité aisément duplicable ? Comme vous le dites, si leur activité se résumait à cela, d'autres le feraient aussi bien. Lesquels autres ont eu l'idée bien avant vous, l'ont essayée, et se sont rendus compte qu'il ne suffisait pas de presser la maquette du premier groupe venu sur un CD pour faire des bénéfices. Contrairement à ce que vous pensez (c'est à croire que vous ne lisez pas mes billets), le cur de l'activité des industries culturelles n'est pas l'acte de reproduction, mais celui de sélection de ce qui peut être profitablement reproduit et celui de production d'information à propos de cette production.
Du coup, l'utopie d'une consommation culturelle sans intermédiaires entre artistes et public en prend un coup.
— Mathieu P.mercredi, juin 17 2009
23:21
J'ai relu les deux textes dans le RER ce soir et partage votre avis (avec d'autres choses) :
— Moggio- manichéisme (les méchants et les gentils),
- un grand public consommateur inculte (et un peu méprisé, non ?) qui consomme des contenus culturels qu'il ne devrait pas consommer, aux goûts de certains (paternalisme et pessimisme culturels ; la "consommation immédiate" qui s'oppose à l'idée de la culture que se fait Jack Lang),
- un auteur qui considère comme "légitime" la taxation des FAI tout en oubliant ce qu'il a écrit de manière intéressante dans un de ses livres (dont vous rappelez le titre),
- des nouveaux entrants considérés comme forcément dangereux (des rentes menacées ?) et dont on nie le fait qu'ils offrent des moyens favorables à une "meilleure" diffusion des contenus culturels et le fait qu'ils ont évidemment intérêt à participer au financement et à la diversification de ces derniers,
- l'accent mis surtout sur le côté offre, ignorant le plus souvent le côté demande (je ne dis rien de la souveraineté du consommateur),
- plusieurs affirmations qu'on aimerait argumentées (mais, c'est vrai, ce sont des articles dans un quotidien de presse),
- un appel non argumenté (mais, c'est vrai...) aux pouvoirs publics à de nouveaux privilèges sectoriels toujours plus exclusifs et ciblés (en ignorant leurs coûts),
- une création qui semble menacée (ah ?),
- un processus de destruction créatrice dont est niée la part positive dans nos sociétés capitalistes et ce, même d'un point de vue culturel (si j'ai bien compris Tyler Cowen...),
- des internautes en demande quotidienne de contenus culturels sur les réseaux P2P qui semblent bien être comparés à des guignols.
Bon, j'arrête car la critique est bien facile et confortable...
Sinon, en tant qu'expert, que pensez-vous de la réponse de Jack Lang suivante : "Je pense au prix unique du livre [un "combat" qu'il a mené, selon lui], qui visait à défendre les auteurs, éditeurs et libraires. La loi a été combattue par les grandes surfaces, par la Commission de Bruxelles, et par le public, au nom de la libre circulation des biens et de la défense du consommateur. S'il avait été saisi, le Conseil constitutionnel aurait étrillé ma loi. Il est logique qu'un texte d'un nouveau type soit un chemin de croix." Je serais heureux de connaître votre avis. D'avance, merci.
jeudi, juin 18 2009
09:54
Jack Lang a probablement quelques problèmes de mémoire. La loi qui porte son nom fut introduite sur fond d'hostilité du syndicat des libraires et de la grande distribution et un grand scepticisme des éditeurs : le combat fut d'abord de convaincre ceux qui, in fine sont censés être les bénéficiaires de la loi en question. Je ne suis pas juriste, mais il me semble assez outré de prétendre que le Conseil constitutionnel pourrait y trouver à redire, dans la mesure où je ne vois pas d'atteinte à une liberté fondamentale (alors que celle-ci semblait évidente dans le volet répressif d'HADOPI). En revanche, il est vrai que la Commission, en particulier Mario Monti, n'a jamais caché son opposition au prix unique du livre. Elle a ainsi obtenu l'abolition des mécanismes de prix unique transnationaux (entre l'Allemagne et l'Autriche), mais les mécanisme nationaux ne sont de toutes manières pas de son ressort.
Bref, le parallèle ne se tient pas. Il y aurait probablement des choses à tirer de la ré-écriture de l'histoire de la loi sur le prix unique par Jack Lang, en particulier sur la structuration d'un bloc regroupant (censément) auteurs, éditeurs et libraires afin de ne pas faire apparaître leurs conflits d'intérêts interne au profit d'un lobbying plus efficace. J'ai d'ailleurs lu cette idée sur un blog de libraire : un libraire illustrant la manière dont certains éditeurs essayent de tirer parti de leur statut de « petits indépendants » (= gentils) pour imposer des conditions de vente aux libraires qui conduisent ces derniers à vendre à perte s'est vu reprocher d'étaler au grand jour des conflits qui doivent, à des fins de communication, rester entre soi. Je ne sais pas s'il s'agit là d'une position isolée ou d'un consensus dans la profession, mais il y aurait peut-être un travail sociologique à faire sur l'évolution des positions de ces différents acteurs.
— Mathieu P.jeudi, juin 18 2009
19:07
Merci pour votre avis sur la réponse de Jack Lang.
— MoggioPour rester dans le sujet, encore un billet de maître Eolas ce midi mais sur "Hadopi 2" (www.maitre-eolas.fr/2009/... ) : passionnant.
vendredi, juin 19 2009
06:50
Le point de vue que je défendais était celui de la création, pas de la consommation. Pour risquer une analogie que je sais foireuse, on a jamais autant bouffé sur terre que depuis qu'on dispose d'une industrie qui excelle à répondre à cette demande par les moyens qu'elle se donne, lesquels sont rarement ceux que les producteurs souhaiteraient lui voir adopter.
— PassantDe mon point de vue et pour ce qu'il peut bien valoir, lorsqu'à l'intérieur d'une industrie on se déchire sur la nature de la règlementation qui doit vous régir, c'est que les carottes commencent à sentir le roussi.
vendredi, juin 19 2009
08:15
Dans ce cas, les carottes sentent le roussi partout : dans toutes les industries dont j'ai entendu parler, on se déchire sur la réglementation (penser aux relations avec les sous-traitants, par exemple). Les seuls cas où cela ne se produit pas, c'est quand le secteur fait bloc pour une réglementation qui se fait au détriment des consommateurs.
— Mathieu P.samedi, juillet 4 2009
20:08
Dans la série "Google, il est pas gentil !", je viens de lire ces deux billets-points de vue instructifs au sujet du livre de Jeff Jarvis sur Google, le second m'ayant permis de lire le premier : fr.readwriteweb.com/2008/... puis fr.readwriteweb.com/2009/... .
— Moggiodimanche, juillet 5 2009
01:25
J'ai regardé en diagonale. Est-ce moi qui l'ai manqué, ou l'auteur n'explique jamais pourquoi il faudrait croire à sa théorie du complot plutôt qu'à un simple manque d'intérêt des éditeurs ? Tout ce que j'ai trouvé, c'est l'argument « il y a bien d'autres livres sur Google, donc ça intéresse les gens ». Mon petit doigt me dit que les éditeurs peuvent penser que pour qu'un livre sur Google intéresse le milieu intellectuel français, il faut qu'il ait été écrit pas l'un des leurs. J'en veux pour preuve la formidable ignorance dans laquelle ledit milieu est de Free Culture et autres textes similaires.
— Mathieu P.dimanche, juillet 5 2009
14:57
Votre impression est la bonne : on aimerait des éléments confortant plus fortement ce qui est affirmé, comme plusieurs réactions dans les commentaires l'indiquent, réactions auxquelles Fabrice Epelboin apportent des éléments de réponse.
— Moggiodimanche, juillet 5 2009
19:15
Merci de m'avoir signalé les commentaires, que je suis allé lire. À les lire, il me semble que l'auteur du billet se trompe en attribuant à une forme d'auto-censure ce qui est simplement le résultat d'un manque de concurrence dans le domaine de l'édition.
— Mathieu P.