À l'origine du problème : une politique éditoriale à bout de souffle

Dans les propos du directeur de Kaze, il apparaît que son modèle est orienté vers un marché de masse : il met ainsi en avant un politique consistant à accumuler un stock suffisant d'épisodes pour pouvoir être sûr de sortir une version complète avec des doublages. Ce modèle correspond à celui des années 1980, où le public du manga était un public d'enfants, peu regardants sur le doublage et sur le retard par rapport à la parution originale. Il s'appuie sur une complémentarité entre le marché de la vidéo et celui de la diffusion télévisée. Les limites de ce modèle se sont faites sentir à la fin des années 1990, où la déplorable qualité des versions françaises (amateurisme des traductions, voix à contre-emploi des personnages, retards considérables par rapport à la publication au Japon) a éloigné les fans des versions française au profit des versions sous-titrées, tandis que la réduction de la part du manga dans les émissions pour enfants tarissait le marché des mangas pour enfants.

Le public actuel du manga est sensiblement différent. Composé en large partie d'adolescents et de jeunes adultes, il a accès à des outils permettant de connaître l'actualité des sorties, de faire du montage vidéo, et manifestement plusieurs équipes possèdent des compétences certaines en japonais. D'où le fansubbing. La qualité du produit final est très variable. Les traductions peuvent être assez étranges, la syntaxe hésitante et l'orthographe problématique. À l'inverse, et c'est là que commence le problème, certaines équipent produisent un travail de bien meilleure qualité que celui publié par Kaze. On m'a ainsi montré un manga (Death Note, pour les curieux), où on voyait un personnage lire une lettre (en japonais), la traduction française apparaissant entre les lignes du texte japonais, parfaitement lisible et respectant la perspective de l'image de la lettre.

Non seulement ces équipes font parfois mieux, mais aussi elles font plus vite. Dans un monde où les informations sur le déroulement des séries vont vite, il est frustrant d'avoir à attendre plus de six mois une sortie française, au prétexte qu'il faut faire un doublage dont on n'a cure.

L'impasse des relations avec les éditeurs japonais

Je n'ai pas vu de réponse de Kaze à ce problème de qualité. Les habitudes ont la vie dure, et je pense qu'ils n'ont pas le budget suffisant pour payer des sous-titreurs et doubleurs à la hauteur de ce que peuvent produire des passionnés qui comptent moins leur temps. En revanche, l'entreprise met en avant la difficulté des relations avec les éditeurs japonais. Pour ceux-ci, l'Europe est un marché mineur. Ils préfèrent donc y renoncer plutôt que d'y autoriser des systèmes de diffusion en streaming, de peur de faire concurrence à l'organisation du marché japonais, où les chaînes de télévisions achètent fort cher l'exclusivité de la diffusion. Impossible, donc, pour un éditeur ne disposant pas de sa propre chaîne de télévision, d'offrir un rythme de sortie équivalent à celui du Japon, ce que peuvent faire les chaînes qui diffusent les séries télévisées américaines.

Si certains studios se montrent plus réceptifs aux inquiétudes des distributeurs européens, la plupart sont encore assez peu favorables aux solutions de vidéo à la demande. On est donc dans une impasse, le fansub occupant un niche que ne peut occuper aucun distributeur légal (alors qu'une demande solvable existe très certainement).

Et le choix ?

En sus de ce problème manifestement insoluble en l'état, autre chose m'interroge : quelle est l'apport d'un diffuseur comme Kaze ? On l'a dit, les fansubbers arrivent à faire plus vite et mieux qu'eux. Ce n'est pas un paramètre technologique lourd, mais quelque chose qu'il sera à tout le moins difficile de changer à court terme (peu de personnes ayant le niveau suffisant de japonais, faible taux de rémunérations par rapport aux compétences linguistiques et techniques exigées). Normalement, l'apport essentiel d'un tel intermédiaire est la sélection : dans l'offre destinée à un marché japonais plus vaste, repérer ce qui va plaire au public local, mettre en avant les meilleures séries. Là encore, en fait d'avance, le diffuseur a une longueur de retard, le public japonais et les fansubbers effectuant manifestement un bon travail de sélection.

À mon humble avis donc, le premier problème de Kaze est de se demander si la fonction même de diffuseur n'est pas indissolublement liée au marché télévisuel, et si le changement du marché n'implique pas, à plus ou moins court terme, une disparition ou à tout le moins une modification radicale vers la pure gestion de droits d'exploitation.