Où on nous refait le coup de la gratuité des musées
Le Président de la République a annoncé que l'entrée serait gratuite pour les 18-25 ans dans les musées et monuments nationaux. Faut-il en attendre quelque chose ?
L'essentiel est déjà sur Wikipédia mais rappelons brièvement : pour ce qu'on en sait, la gratuité des musées n'incite pratiquement pas ceux qui n'allaient pas au musée payant à y aller. On constate une augmentation des visites, mais il s'agit presque exclusivement de personnes qui en profitent pour revenir plusieurs fois (et comme on n'a pas de données sur les temps de visites, on ne sait pas si ils voient plus de choses, ou fractionnent leurs visites). Même en prenant en compte le fait que les 18-25 ans sont souvent plus contraints financièrement, il est douteux que les choses soient différentes pour eux (surtout qu'il existait déjà des réductions étudiantes). Sur les musées anglo-saxons, on remarque même que le passage inverse, de la gratuité à un coût d'entrée, augmente la part de visiteurs d'origine modeste, probablement du fait d'un effet de signal sur la qualité de ce qui est proposé.
À part l'effet d'annonce, à qui profite alors une telle gratuité ? On l'a dit, essentiellement à ceux qui allaient déjà régulièrement visiter des musées, c'est-à-dire essentiellement (dans cette classe d'âge) des étudiants issus de milieux diplômés. Mais pas seulement. Pour les plus grands musées et monuments, les touristes de 18-25 ans représentent une clientèle non-négligeable, et fort peu élastique aux prix. Il y a donc là un manque à gagner pour eux, et une subvention déguisée au profit des autres activités payantes faisant partie de la visite de la ville. Autrement dit, on enlève des ressources aux musées pour subventionner les débits de boissons, restaurants et autres hôtels... Je suis parano ? Je n'en ai pas l'impression : sinon, pourquoi avoir ajouté au musée des monuments comme l'Arc de Triomphe, à la dimension culturelle fort limitée ?
Ce qui m'inquiète le plus, dans les annonce faites, c'est cependant pas la gratuité. Je sens très mal l'idée d'un « musée de l'histoire de France » et ne peux m'empêcher d'être suspicieux sur les sommes allouées à la restauration du patrimoine, que je soupçonne d'être vite siphonnées par la restauration de bâtiments ouverts au public une fois l'an. Quant à la loi « Création et Internet », je préfère ne même pas en parler. Bref, les vaches maigres en matière de culture ne font que commencer.
Publié le mardi, janvier 13 2009, par Mathieu P. dans la catégorie : Économie de la culture - Lien permanent
Commentaires
mardi, janvier 13 2009
23:44
Monsieur, à l'heure du débat sur une obstruction parlementaire systématique, vous ne faites que stigmatiser une France ronchonne, paranoïaque, et fermée sur elle-même. Les critiques émises ne sont rien de moins que des procès d'intention, et crier au loup avant même qu'un quelconque effet pervers ait pu faire son apparition relève de la mauvaise foi la plus absolue.
— EmilieCessez donc de geindre, et allez donc nourrir votre esprit des "nourritures terrestres" qu'on vous offre là sur un plateau.
Amitiés socialistes.
mercredi, janvier 14 2009
08:51
Si vous aviez lu le paragraphe de la page Wikipédia que je cite, vous vous seriez rendu compte que ce que je dis est appuyé sur des résultats de recherche qui montrent que les effets pervers sont déjà connus et avérés là où de telles expériences ont été tentées. Je vous conseille également la lecture de l'ouvrage Les Dérèglements de l'exception culturelle.
— Mathieu P.mercredi, janvier 14 2009
09:09
Sarkozy refait surtout le coup de l'annonce à pas cher... Faut vraiment ne pas avoir honte !
— DCmercredi, janvier 14 2009
17:41
@ Emilie : pète un coup ma vieille tu verras tu te sentiras vachement plus légère après ça...
— OSmercredi, janvier 14 2009
17:42
Plus sérieusement, et même si ce n'est pas exactement le sujet, je me demandais si "l'effet Guggenheim" était bien réel. En fait j'ai en tête l'ouverture prochaine d'un Centre Pompidou à Metz, et je me demande si cette ouverture aura un réel impact sur la capitale lorraine... Et si oui dans quelle proportion/mesure ??
— OSMerci !!
jeudi, janvier 15 2009
11:30
Ce que j'ai lu sur la question m'incite à penser que Bilbao doit effectivement une large partie de sa renaissance à l'installation du musée Guggenheim. Cependant, toujours d'après la même littérature (essentiellement "The Economics of Museums", B. Frey et S. Meier, Handbook of the Economics of Art and Culture), il faut se garder d'en tirer des conclusions sur la désirabilité d'autres investissements du même type.
En effet, le cas de Bilbao présente une conjonction de facteurs propres à générer une réponse importante à n'importe quel type d'investissement, culturel ou non : une ville économiquement en déclin (ville industrielle), centre-ville sinistré, vastes espaces disponibles (industries et chantiers navals), absence d'autre métropole d'importance à proximité immédiate... Il était donc possible de faire beaucoup de choses, et un musée n'était qu'une des possibilités. Il est donc difficile de savoir si un autre investissement aurait obtenu de meilleurs résultats. Il faut aussi garder à l'esprit que l'installation du musée n'est qu'une petite partie d'un vaste plan comportant d'autres investissements lourds, comme la réhabilitation du centre-ville, la transformation des friches industrielles en parc technologiques, l'agrandissement de l'aéroport, etc.
L'ouverture d'une antenne de Pompidou à Metz ne relève pas d'un plan de cette ampleur, et Metz ne dispose pas de la situation de Bilbao, que ce soit en termes de climat (c'est plus facile d'attirer des chercheurs là où il y a du soleil) ou d'isolement (la présence de Nancy à proximité oblige à un partage des compétences qui nuit probablement aux deux villes à la fois, Strasbourg est déjà un pôle important pas très loin, et Luxembourg draine les activités financières). Personnellement, je n'attends donc pas un gros effet de l'installation de cette antenne, toutes choses égales par ailleurs. Cela peut cependant être l'occasion (l'excuse, en quelque sorte) d'investissements annexes qui, in fine seront plus efficaces pour améliorer l'attractivité de cette ville.
— Mathieu P.jeudi, janvier 15 2009
16:34
En fait autour du Centre est prévu un nouveau quartier (dit de "l'Amphithéâtre") à la fois commerçant, d'entreprises et d'habitation qui réutilisera des terrains disponibles à proximité relativement immédiate du coeur de ville, le tout sur 38 hectares et pour un coût de l'ordre de 150 millions d'euros (ce qui me semble plutôt pas mal pour une ville comme Metz mais peu importe). Est-ce à ce genre d'investissements "annexes" auxquels vous pensez ? (quelques infos)
— OSEn tout cas merci pour votre réponse !
jeudi, janvier 15 2009
16:52
C'est éffectivement le genre d'investissement auquel je pensais. D'après Wikipédia cependant, ce sont 735 millions d'euros qui ont été investis à Bilbao, dont 150 millions pour le seuls musée. Comme je l'ai dit plus haut, Bilbao bénéficiait également d'une situation de départ plus favorable, ayant moins de concurrentes autour.
— Mathieu P.jeudi, janvier 15 2009
18:07
Je partage plutôt votre avis dans ce billet en réaction, apparemment, à l'article du Monde daté du 14 janvier. Les résultats que vous rappelez sont ceux issus de la recherche sur la question. À ce sujet, je prends la liberté de signaler un article intéressant de l'économiste Françoise Benhamou dans la revue Esprit publié en juin 2008. L'article, qui offre beaucoup de références utiles, s'interroge sur l'intérêt d'une nouvelle expérimentation en 2008 en France de la gratuité de l'entrée dans les musées au regard de ce que l'on sait déjà sur le sujet et est critique sur la méthode employée pour cette expérimentation. L'article explique
— Moggioque la gratuité est un facteur indéniable de croissance des entrées mais il donne plusieurs raisons au fait qu'il s'agit d'une croissance "en trompe-l'il", pour reprendre le qualificatif de Benhamou. Il traite aussi du prix de la gratuité (coûts directs et indirects, manque à gagner, etc.) et de la démocratisation culturelle (une gratuité pas nécessairement au service de celle-ci).
Sinon, j'ai relu rapidement la section de l'article de Wikipédia sur la gratuité. Ne pourrait-on pas la compléter en invoquant deux autres motifs économiques (certes discutables ; voir par exemple le chapitre 7 du livre de l'économiste W. Grampp de 1989 intitulé Pricing the Priceless) à la subvention publique : (a) celui de la structure des coûts (dans le cas à court terme de la fonction d'exposition des musées, pourvu que le coût marginal soit nul et que l'on veuille atteindre le point pour lequel le prix du billet d'entrée égale ce dernier) et (b) celui du bien collectif ? L'idée (a) que les musées ont certaines caractéristiques de monopole naturel a été développée par les économistes J. Heilbrun et Ch. Gray dans leur manuel The Economics of Art and Culture de 2001, et l'idée (b) que les musées ont certaines caractéristiques de bien collectif a été développée par l'économiste P. Johnson dans son chapitre-entrée du Handbook of Cultural Economics édité par R. Towse en 2003. Je ne sais pas jusqu'où ces deux autres arguments économiques sont valides et peuvent être "poussés" pour apporter une justification à la gratuité totale, et je suis d'accord avec la section de l'article de Wikipédia lorsqu'elle explique que la question est "de savoir si la subvention est telle qu'elle doit compenser totalement le prix du billet d'entrée qui aurait cours sans subvention".
Quel dommage que vous préfèreriez ne pas parler de la loi "Création et internet" (dont "son" Rapport Hadopi, objet de réactions instructives sur la Toile) !
Pour donner un petit élément de réponse à OS concernant l'"effet Guggenheim" (son premier commentaire), en plus de la réponse pertinente ultérieure de Mathieu P., j'ai lu récemment un article de Thierry Werquin, de l'Université de Montréal, intitulé "L'impact des équipements et événements culturels sur le développement économique local : entre fantasme et réalité". Bien qu'il gagnerait à être plus solide, l'article nuance de manière pas inintéressante les effets positifs qui ont pu être attribués au musée Guggenheim de Bilbao,
ainsi d'ailleurs qu'à "Lille 2004 Capitale européenne de la culture". Sinon, la littérature économique est riche sur l'évaluation sérieuse de l'impact économique localisé de dépenses (à court-moyen terme) de telles activités culturelles, qu'il s'agisse de principes méthodologiques à respecter ou de mises en garde.
jeudi, janvier 15 2009
21:57
Merci pour les suggestions complémentaires, je verrai cela dès que j'aurai un peu de temps. Ce manque de temps, justement, explique pourquoi je ne parle pas non plus de la sortie du Livre vert résultat des États généraux de la presse. Quant à la loi Hadopi, le premier paragraphe du projet (pdf) me donne envie de hurler. Je préfère donc ne rien dire, je risquerai d'être grossier.
— Mathieu P.jeudi, janvier 15 2009
22:29
Votre analyse du rapport "Cinéma et concurrence" de l'été dernier tout comme celle, antérieure et plus brève, du rapport sur "Le devenir numérique de l'édition" étaient vraiment précieuses, et vous venez peut-être de faire naître chez vos lecteurs réguliers l'espoir d'une analyse de même nature à venir pour le "Livre Vert" des États généraux de la presse écrite !!!
— MoggioConcernant ce premier paragraphe du projet de loi en question, j'imagine que c'est le "cesser l'hémorragie des oeuvres culturelles sur internet" qui vous a donné l'envie de hurler. Si c'est bien le cas, je vous comprends !
samedi, janvier 17 2009
23:10
Merci à tous les deux pour vos réponses et références quant à ma question. Je vais aller voir tout ça de plus près.
— OSmardi, janvier 20 2009
14:24
Pour information : www.la-croix.com/article/...
— Moggiomercredi, janvier 12 2011
10:11
Un article du Canard enchaîné d'aujourd'hui cite un "prérapport de la Cour des comptes" pour lequel, d'après l'hebdomadaire, l'actuel ministre de la Culture et de la Communication "fait des pieds et des mains" pour qu'il "ne soit pas rendu public." D'après l'article, pour 2009, "la gratuité de l'entrée aux musées aux moins de 25 ans" aurait "coûté au budget de l’Etat" "plus de 23 millions" d'euros. L'article semble citer le rapport qui qualifie la mesure "d'inutilement coûteuse dont l'efficacité tarde à se manifester". Et le Canard enchaîné d'écrire : "La faute aux musées qui truquent leurs chiffres de fréquentation, avec le seul but d'obtenir des subsides de l'Etat. Car plus les jeunes poussent les portes des musées, plus la mesure est budgétairement compensée. D'où la tentation de gonfler le nombre d'entrées de ces jeunes visiteurs."
Ressources rares et besoins illimités, il-n'y-a-pas-de-repas-gratuit, système institutionnel d'incitations, etc. : plein de choses intéressantes pour l'économiste !
— Moggio