Couverture

Je ne vous fait pas l'article du bouquin, il est présenté ici par ses auteurs, et on peut en discuter . Ce qui suit est donc simplement mon opinion en la matière.

Pour commencer, il faut dire que je ne suis pas le public visé par le livre. D'une part je suis économiste, et d'autre part je lis les blogs (à commencer par le leur) depuis un moment. L'effet de surprise de la plupart des propositions ne marche donc pas sur moi. En revanche, j'apprécie beaucoup des synthèses claires sur de nombreux points, cela m'épargne de me creuser la tête à les faire moi-même durant les dîners de familles (l'alcool n'aidant alors pas).

Je dois bien dire, également, que si les auteurs bénéficiaient d'un préjugé très favorable, je restais assez dubitatif quant au titre du livre : a-t-on vraiment besoin de parler de sexe et de drogue pour inciter les gens à lire un livre d'économie ? Était-il vraiment nécessaire de rajouter le sous-titre « Pas de sujet tabou pour les économistes ! » (remarquez le buzzword « tabou » et le point d'exclamation) ? La médiocrité de l'offre de vulgarisation économique sur tout un tas de sujet me faisait penser que oui, même si l'intitulé de L'Économie sans tabou de Salanié devait m'inciter à me poser des questions.

Je me suis donc lancé dans la lecture. S'il n'est pas très étonnant que j'ai sympathisé avec le plaidoyer pro domo des économistes de l'introduction, j'avoue avoir nettement calé dans la première partie. D'une part, je ne suis pas très réceptif au ton provocateur. Dire que la dette publique est un faux problème ou que les délocalisations sont un thème mineur me semble en général assez pour choquer le bon peuple sans aller chercher du côté du sexe ou de la polygamie. Je regrette d'autant plus la place initiale de ces thèmes qu'il ne s'agit pas, à mon sens, du domaine où les outils de l'économie s'appliquent de la manière la plus convaincante. J'étais d'autant plu déçu que je ne suis pas du tout convaincu par le second chapitre sur le tabagisme dans les lieux publics. il me semble indigne des auteurs de l'ouvrage, qui mobilisent les outils de l'économie au service d'une thèse prédéfinie, et négligent des éléments qui me semblent essentiels. Nous en avions d'ailleurs copieusement discuté à l'époque.

Bref, à la fin de la première partie, je ne suis demandé « Qu'allaient-ils faire dans cette galère ? », et j'ai laissé le bouquin dans mon sac un moment. Une semaine plus tard, je l'ai repris : cela ne me semblait vraiment pas correct à leur égard de ne pas voir un peu plus loin. Bien m'en a pris, parce qu'à partir de la deuxième partie, on entre dans les domaines où Alexandre et Stéphane sont vraiment bons. Ils traitent, en quelques pages bien senties, des sujets qui reviennent pratiquement à chaque discussion, et dont les articles des grands journaux montrent qu'ils sont particulièrement mal compris : le déficit public (chapitre 5), les prévisions (chapitre 6) et le réchauffement climatique (chapitre 6). Sur des sujets moins en pointe mais aussi récurrents, comme l'économie politique du vote (chapitre 7), l'utilité (chapitre 10) et la discrimination par les prix (chapitre 11), j'ai retrouvé la qualité pédagogique à laquelle ils nous ont habitués.

J'ai particulièrement apprécié les chapitres 9 (sur l'incompréhension économique en France) et surtout 12 (C'est votre faute si loger coûte cher), ce dernier point illustrant parfaitement comment beaucoup de gens se lamentent sur les conséquences de mesures restrictives qu'ils seraient les premiers à défendre si on tentait de les abolir. Je suis un peu plus réservé sur le chapitre 13 (à mon sens, il faudrait mobiliser là l'économie culturelle, qui pourrait nuancer certains éléments), rattrapé de mon point de vue par le chapitre 14, qui remet à leur vraie place les trois têtes de Turc des altermachins, l'OMC, le FMI et la Banque mondiale.

Bon, je ne vais pas faire tous les chapitre dans le détail (surtout que mon opinion sur chacun, vous vous en moquez, puisque ces chapitres sont vendus dans un paquet indivisible), pour dire plutôt que j'ai trouvé assez agréable le mélange de questions faisant l'objet d'un débat public et celles plus anecdotiques (comme les mondes virtuels), qui ont plus pour fonction de faire la démonstration de l'efficacité de la boîte à outils de la science économique.

Au final, j'ai bien aimé le bouquin pour les mêmes raisons qui font que je suis le blog correspondant : des synthèses claires et illustrées sur les grands problèmes, des aperçus intéressants sur les domaines à la frange de la recherche économique. Je pense qu'il peut s'agir d'une lecture très utile pour ceux qui, ne suivent pas le blog (donc un bon cadeau pour les fêtes) et n'ont pas de formation à l'économie. Cela tombe bien, c'est justement ce public que le livre vise. Il est donc, à cet égard, une franche réussite : le livre est très bon quand il parle d'économie, plutôt que de sexe ou de drogue. Mon conseil serait donc de sauter les trois premiers chapitres, pour arriver directement à la substantifique moelle de l'ouvrage. Quitte à y revenir à la fin, d'ailleurs.

Je vais d'ailleurs faire un test en grandeur nature : mon exemplaire va partir cet après-midi dans le sac d'un membre de ma famille, qui a cinq heures de train à occuper.