A priori, il n'est certes pas impossible que le fabricant d'un bien qui se vend mal décide de bazarder le reliquat de sa production à un prix dérisoire, voire à un prix négatif, puisque le garder en stock lui impose un coût. C'est d'ailleurs ce qui vous permet de faire d'excellentes affaires si vous allez au marché à proximité de l'heure de la fermeture : de nombreux marchands cassent les prix pour ne pas avoir à rembarquer des caisses de denrées périssables.

Pour un livre, on n'observe cependant jamais cela. Un livre qui se vend mal n'est jamais, ou presque donné gratuitement : il part au pilon, c'est-à-dire qu'il est détruit. Dans la version américain de la chose d'ailleurs, on se contente d'en arracher la couverture, vendre un livre sans sa couverture originale constituant une contrefaçon sévèrement réprimée. Pourquoi cette destruction, alors qu'un grand nombre de ces ouvrages (et il y a des ouvrages de haute qualité dans le lot, par exemple les livres d'art) trouveraient preneur à un prix faible, et certainement s'il suffisait de payer les frais de port ?

C'est que contrairement aux fruits et légumes du marchands de primeurs, un livre est un bien durable : une fois acheté, il s'use peu, et il est rare que le même consommateur en achète plusieurs exemplaires. De plus, un livre est un bien produit par un monopole l'éditeur. Le combinaison de ces deux facteurs contraint le comportement de l'éditeur. Celui-ci a en effet envie de faire de la discrimination par les prix : vendre le bien cher à ceux qui sont prêts à le payer cher, et ensuite descendre l'échelle. Le problème est que si les consommateurs anticipent que l'éditeur va suivre cette stratégie, tous vont attendre un peu, afin de payer moins cher. La conjecture de Coase est ainsi que si les consommateurs ne sont pas trop impatients et que le bien est vraiment durable, le fabricant d'un bien durable finira toujours par le vendre à son coût marginal dès la première période, puisque ses consommateurs vont de toutes manières attendre.

Certes, les livres ne sont pas vendus au coût marginal, est pour deux raisons : les consommateurs sont souvent impatients (qu'il s'agisse du manuel dont on a besoin pour le cours du semestre, ou du dernier Harry Potter fraîchement paru), et un certain nombre de livres ne sont pas durables : qui voudrait aujourd'hui acheter les biographies de Bernard tapie publiées à la grande époque d'Adidas ? De ce fait, les éditeurs peuvent pratiquer une certaine discrimination, en vendant d'abord une version de luxe avant de sortir, en moyenne six mois plus tard, une version de poche (assez tôt pour ne pas passer la fenêtre d'intérêt, assez tard pour que les impatients aient déjà acheté). Mais ce mécanisme lui-même repose sur la stabilité du prix de la version de luxe : si on sait que celle-ci va baisser jusqu'à atteindre le prix de l'édition de poche, pourquoi acheter l'édition de luxe, alors qu'au prix d'un peu de patience, on peut avoir le beurre (une édition de luxe) et l'argent du beurre (le prix d'un poche). Le même problème se pose en cas de baisse du prix d'un livre de poche dans le temps (puisque ceux qui achètent en poche sont déjà, par définition, des consommateurs patients).

Face à ce problème, les éditeurs ont inventé une manière de se lier les mains, en envoyant au pilon les invendus plutôt que de les brader. Il était donc à bien y réfléchir assez invraisemblable qu'un éditeur de livres particulièrement durables (des manuels d'économie écrits par un professeur ayant une tenure), pour lesquels il existe d'année en année une demande quasi-captive (les étudiants auxquels leurs profs recommandent ce manuel) se mette à le brader, même dans la perspective d'une nouvelle édition (il suffit d'attendre que la précédente soit épuisée).

Et pourtant, je suis sûr que beaucoup de monde est tombé dans le panneau de Mankiw : la perspective d'un free lunch reste assez irrésistible, même pour ceux qui passent leur vie à expliquer qu'une telle chose n'existe pas : There is no Free Lunch (TinFL).