Prenons deux extraits de l'entretien :

Et, parallèlement, j'entends de la part des décideurs un discours contraire qui tendrait à dire que la décentralisation et la démocratisation culturelles n'ont pas marché. Et, bien sûr, ce discours permet de justifier la baisse des crédits. Je pense qu'il y a avant tout un énorme problème d'analyse.

Donc, la démocratisation fonctionnerait. Pourtant :

Notre public est composé à 10 % d'ouvriers et d'employés.

Les ouvriers et employés représentant M de la population, je me pose des questions sur la démocratisation.

Je vais donc chercher des chiffres pour en avoir le cœur net. Je les trouve sur le site du Ministère de la Culture. Le tableau suivant donne par PCS le pourcentage de personnes de plus de 15 ans étant allés au théâtre ou au café-théâtre au cours des 12 mois précédent l'enquête (Conditions de vie des ménages, Enquête-emploi 2008 pour les parts dans la population):

2005Aucune foisUne ou deux foisPlus de deux foisPart dans la population
Total841006100
Agriculteurs exploitants9007031,3
Artisans, commerçants8111083,3
Cadres, prof. int. sup.6520158,2
Prof. intermédiaires76141012,6
Employés88080416,5
Ouvriers94040213,3
Retraités86090530,1
Autres inactifs85090614,5
Ce tableau ne permet pas de remonter à la part de chaque catégorie dans le public des théâtres. En effet, le nombre moyen de visites dans les deux dernières colonnes peut varier considérablement d'une catégorie à l'autre. En statique cependant, ces données me donnent l'impression que si démocratisation il y a, elle est bien faible. Cette impression est renforcée par le fait que si les ouvriers et employés représentent 10% de l'audience des théâtres (j'aimerais bien connaître la source de ce chiffre), ils représentent presque 30% de la population.

Pour la dynamique, les chiffres-clefs antérieurs ne sont pas disponibles sur le site du Ministère de la culture. Je prends donc les chiffres suivants dans L'Économie de la culture, Françoise Benhamou, 4e éd., La Découverte, qui donne les chiffres pour 1997 : sont allés au moins une fois au théâtre au cours des 12 mois précédent l'enquête (Enquête Pratiques culturelles) :

19972005
Artisans, commerçants1119
Cadres, prof. int. sup.4435
Employés1612
Ouvriers qualifiés0706
En dynamique, sur dix ans, le constat est encore plus clair : les ouvriers et les employés (les groupes les plus précisément ciblés par l'objectif de démocratisation) vont moins au théâtre qu'il y a dix ans (en proportion, la baisse de la fréquentation des professions intellectuelles supérieures est de 20%, celle des employés de 25%). Françoise Benhamou ajoute, sous un titre clair (« Des profils socio-économiques quasi-inchangés ») que cette stagnation ou régression est vraie si on considère les données depuis 1981 (presque trente ans maintenant), et que ce phénomène s'étend, la composition des salles obscures se rapprochant de celle des théâtres par glissement des classes populaires vers la télévision.

Bref, dire que la démocratisation fonctionne est, me semble-t-il au vu des données disponibles, se faire de profondes illusions sur la réalités des consommations culturelles.

Après, on peut discuter du bien-fondé de l'objectif ou des moyens à employer, mais tant que les professionnels du secteur, accompagnés de quelques experts autoproclamés qui trouvent là une oreille complaisante, continueront à nier l'échec de la démocratisation, il sera difficile d'avancer.