Précarisation des carrières

Il y a là un argument qui me semble valide. Si un recours massif aux emplois contractuels entraîne l'obligation de fait de ne pas obtenir de poste fixe dans l'enseignement et la recherche avant 40 ans, alors on risque d'assister à un découragement de jeunes chercheurs de qualité, particulièrement parmi les femmes, qui se trouveront encore plus devant un choix entre maternité et carrière. Je dis bien si. En effet, je me demande dans quelle mesure des universités qui seront plus soumises à des mécanismes de concurrence entre elles auraient intérêt à adopter une telle politique, le risque étant de voir leur niveau scientifique, sur lequel repose l'essentiel de leur attractivité pour les fonds tant publics que privés, diminuer rapidement.

Ce que font les deux lettres, et que je trouve dommage, est de mélanger cet élément avec celui d'une évolution des statuts des enseignants-chercheurs vers un statut du droit privé, du type CDD ou CDI. Oui, les CDD posent problème au moment du renouvellement (mais offrent une très grande sécurité en cours de route, ce qui n'est pas sans conséquence pour la suite). Mais les CDI ? J'avoue ne pas vraiment voir le problème à être enseignant-chercher en CDI, dans la mesure où la rupture des CDI est encadrée par des règles claires et où le passage d'un statut à l'autre s'accompagne d'une revalorisation des salaires et des conditions de travail pour compenser la sécurité perdue au passage. J'avoue que la possibilité qui serait ainsi donnée d'avoir des moyens juridiques à l'encontre d'enseignants-chercheurs qui ne font ni enseignement ni recherche n'est pas pour me déplaire.

Jeunes chercheurs

Venons-en aux jeunes chercheurs. Pour commencer, il y a dans une des deux lettres une affirmation qui me paraît étrange, selon laquelle la majorité des doctorants ne toucheraient aucun revenu de leurs recherches. C'est certes vrai en sociologie ou en anthropologie. Mais les doctorants non financés sont déjà nettement plus rares en économie, et inexistants en sciences, où l'obtention d'un financement est une condition pour s'inscrire en thèse. Des chiffres, que je n'ai pas le temps de chercher, seraient ici utiles, mais mon intuition me dit que les auteurs généralisent abusivement une situation très problématique (des enseignants qui poussent leur élèves à la thèse sans disposer de financements pour eux) propre à certaines matières qui refusent de se poser des questions sur leur mode de fonctionnement.

Ensuite, je m'étonne de la rencontre entre la dénonciation de la précarisation des jeunes chercheurs par le recours au CDD ou au CDI, et la revendication de plus d'allocations et de monitorat. En effet, quoi de plus précaire qu'une allocation de thèse ou un monitorat ? L'un comme l'autre ont une durée de deux ans, prolongeable un an, à la discrétion absolue du service compétent, qui n'a aucune justification à fournir s'il choisit de couper les vivres à un doctorant au beau milieu de sa thèse. Dans le cas d'un CDD, une telle rupture devrait être justifiée (dans une liste limitative de motifs), et s'accompagnerait dans tous les cas (hors faut grave du doctorant) d'une substantielle indemnité. Ne gagnerait-on pas au change ?

De même, pour le CDD comme pour le CDI, les tâches à accomplir doivent être précisées dans le contrat, alors que l'étendue de ce qui peut être demandé à un moniteur est certes gouvernée par des circulaires, qui sont au mieux ignorées, au pire délibérément enfreinte. Je ne compte plus les histoires affolantes de moniteurs requis pour corriger des paquets de plusieurs centaines de copies (le chargé de cours jugeant indigne de lui de corriger des partiels), faire des services deux à trois fois supérieurs à leur service légal, voire faire le cours magistral lui-même, tout cela sans compensation, et sous la menace de la fin de leur financement ou du sabotage de leur thèse.

Certes, je ne pense pas que le passage à un statut privé arrange quoi que ce soit. La répartition de ce type d'abus, très rares en sciences, communs pour ne pas dire universels dans les humanités, montre qu'ils s'enracinent dans le rapport de forces entre le doctorant et les enseignants. En sciences, un doctorant qui part, c'est une perte potentiellement lourde pour le labo : retard dans le programme de recherches (avec le risque de se faire doubler par un autre labo), on ne retrouve plus les résultats, personne ne comprend les programmes dudit doctorant, qui seul savait donner les instructions pour faire les expériences,...), alors que le doctorant a les moyens de trouver relativement rapidement un emploi convenable dans le privé. En lettres au contraire, un doctorant qui part n'impose pratiquement aucun coût, et se condamne à aller enseigner dans le secondaire pour toute sa vie. Force est ainsi que constater que moins il y a de postes à la fin et plus les débouchés annexes sont peu connus ou peu attrayants, plus le nombre d'abus est grand. Évidemment, la plupart de ces abus seraient rapidement sanctionnés si l'affaire était portée devant le juge administratif. Elles ne le sont pratiquement jamais, peu de doctorants ayant un sens de la justice assez fort pour avoir l'envie de lui sacrifier toute sa carrière.

Quelle réforme ?

C'est pourquoi il me semble que la défense du statut quo n'est pas en l'espèce une bonne idée. La loi LRU ne va certes rien améliorer sur ce point, mais je doute qu'elle dégrade quoi que se soit à une situation qui l'est déjà beaucoup. Le problème est de créer une instance arbitrale qui puisse constater les écarts par rapport aux dispositions statutaires ou contractuelles, tout en étant indépendante des pressions que pourraient exercer les perpétrateurs de ces écarts. Autant dire une instance de contrôle qui ne soit pas nécessairement composée d'enseignants-chercheurs.