Économie de la créativité
Un très rapide billet pour souligner un thème intéressant qui gagnerait à être dégagé d'autres débats : l'économie de la créativité.
Cela n'a rien de nouveau que les producteurs ou éditeurs se présentent comme les défenseurs des artistes (c'est aussi vieux que l'histoire du copyright, voir la page Wikipedia). Denis Olivennes ne fait donc pas exception. Cette revendication, et sa réciproque, celle d'artistes commerciaux qui n'existeraient que parce que soutenus par leurs producteurs, obscurcit à mon sens le débat fondamental sur l'économie de la créativité.
Ce qui m'a amené à ce débat est un article de Tyler Cowen, où en somme il prétend que le système d'exception culturelle française, essentiellement vu par son mécanisme de subventions, est la cause principale du manque d'ambition du cinéma français, celui-ci ne produisant que pour son marché intérieur, et donc ne s'intéressant pas à des thèmes ou des formes susceptibles d'une réception plus universelle. Tout en n'étant pas un grand fan du système de subventions du cinéma français, et assez critique de sa production actuelle (je viens de revoir l'excellent Jour de fête de Tati), je suis assez sceptique à ce sujet. En effet, à moins de confondre « cinéma de qualité » avec « film faisant beaucoup d'entrées », on peut se demander pourquoi le marché américain produit aussi peu de très bon films. La concurrence des films français (subventionnés) ne suffit pas à mon sens à expliquer la rareté des perles du type Goodbye Lenin ou Little Miss Sunshine.
À l'opposé, on entend dans la bouche d'un Denis Olivennes l'idée que c'est par manque de moyens que la création s'assèche en France, les producteurs n'ayant plus assez de recettes pour financer de nouveaux films. Voyant l'évolution des budgets et la concentration des moyens sur quelques daubes films aux recettes faciles, je me dis là aussi que j'ai du mal à y croire.
Ainsi, dans ce débat, qui ne touche que de loin à l'économie, l'acte créatif lui-même restant la boîte noire de l'économie de la culture, je me range du côté d'un délégué africain à l'UNESCO, qui disait que si la culture occidentale est actuellement atone, c'est qu'elle souffre de n'avoir que des problèmes de riches, et que l'esprit humain démontre mieux sa vitalité face à une mesure plus importante d'adversité.
Naturellement, ce qui est ici dit pour les films est aussi valable pour les autres formes d'expression artistiques. Un tel raisonnement va à l'encontre du l'idéologie du créateur radical qui ne s'occupe que de l'expression, et pas des conditions de consommation des ses œuvres. Mais avez-vous remarqué la corrélation entre la mise en place dans les musées d'art modernes d'espaces importants et l'inflation de la dimensions des œuvres d'art contemporain ?
Publié le mardi, novembre 27 2007, par Mathieu P. dans la catégorie : Réactions - Lien permanent
Commentaires
mardi, novembre 27 2007
20:23
Le gros problème du cinéma français est d'être dépendant de la télé (et donc formaté pour). Ce qui explique la grande partie des navets qui sortent chaque année, car ils sont préfinancés par la télévision.
— acidtest.
L'autre problème, concerne l'allocation des subventions, (système que je soutiens à fond et qui a fait, par éclair, ses preuves, mais quel gachis) : la grande partie des subventions va vers des gros films qui se seraient financés de toute façon, mais c'est tellement plus facile avec l'argent des subventions. La créativité à risque zéro, ça existe avec le cinéma français (j'exagère un peu, c'est vrai!) Il y a un peu trop de cosanguinité dans les jurys d'allocations.
Cela dit, ne boudons pas notre plaisir, le cinéma français est l'un des seuls européens à sortir 4-5 films de qualité par an. Mais quel gachis !
mardi, novembre 27 2007
20:24
btw, Goodbye Lenin, c'est Allemand, un ovni quoi, ça n'a rien d'américain
— Stalinemercredi, novembre 28 2007
21:31
Bonjour,
— geistis3La lecture de l'article m'inspire plusieurs remarques.
D'une façon générale la culture française (sens large) est quasi-inexistante
dans notre socièté mondialisée. Elle est "auto-centrée".
Une autre caractéristique de la subvention française ("exception culturelle") réside
dans l'absence de risque : tout pour ceux qui sont connus et/ou courtisans, rien pour les autres.
A cela il faut ajouter dans le domaine lié à internet (pour la diffusion de la culture) et à l'usage
de l'ordinateur (pour la production) une parfaite ignorance technique de l'ensemble des décideurs.
L'adversité existe bien dans nos pays développés. Il s'agit des difficultés que rencontrent
tous les artistes maîtrisant l'ordinateur et internet pour leurs "actes créatifs".
Il leur est impossible de vivre de leur travail !
Pourtant ces pratiques artistiques vont se développer en initiant de nouveaux modèles économiques.
Une évolution du droit d'auteur et de la propriété intellectuelle devant nécessairement
accompagner cette évolution.
Le modèle du logiciel libre constitue un exemple dont la culture liée au numérique peut s'inspirer.
mercredi, novembre 28 2007
22:22
Que signifie une culture "auto-centrée" ? Si jamais cela rejoint ce que pense Tyler Cowen, je trouve que cela n'a guère de sens. Le cinéma français est auto-centré parce qu'il parle de Beaumarchais ! On rêve.
— B.Le cinéma français est aussi intéressant en tant qu'il est français et qu'il est porteur d'une culture dont la particularité n'empêche pas l'universalité.
Est-ce qu'on reprocherait au cinéma japonais d'être auto-centré parce qu'il utilise les formes propres à sa tradition ?
Est-ce que ce qu'on peut entendre par auto-centré n'est pas précisément ce qui fait que les films échappent à une uniformisation qui risque des les rendre insipides ?
Créer, c'est bien à mon avis exprimer quelque chose de soi ou du monde tel qu'on le perçoit et en aucun cas anticiper des attentes, ce qui n'est pas signe d'ouverture mais davantage d'un mépris du public dont on a une idée toute faite et probablement caricaturale.
jeudi, novembre 29 2007
10:28
Mes connaissances en économie sont des plus succinctes. Donc désolé pour les approximation. Quelquun auarait-il eu vent danalyses mettant en relief dans les champs des industries culturelles et particulièrement cinéma/musique les principes :
— AlisterDasymétrie dinformations outre le prix que je payais pour un titre je payais aussi le label ou le studio pour découvrir des musiques ou des films à ma place. Aujourdhui devant la défaillance des prescripteurs jeffectue moi même ma recherche et ne suis plus prêt à pater que la valeur du bien (sans sa protection)
De hasard moral
De coûts dopportunités
Externalités positives
V° Aussi le red queen effect concernant larsenal législatif.
Concernant le cinéma quelques intuitions :
Jai le sentiment quaujourdhui toute une partie du cinéma français gagne de largent dans la phase de production, évacuant ainsi tout risque au moment de lexploitation. Dans ce cas ne faudrait-il pas mieux aider la distribution et diminuer les aides à la production. Rien à dire sur le fait que ce système fut un temps des plus légitimes.
Que dire dune économie dont les budgets ont augmenté de 800 % à euros constant (je retrouverai le rapport du Sénat pour ceux que ça intéressent) entre 1980 et 2004 (en même temps que les coûts de matériel et de post production ont diminué substantiellement). Dans le même temps les entrées en salle diminuaient.
Le cinéma français est assis sur des piliers de plus en plus fragiles :
Chronologie de médias : jusquà quand
Recettes DVD : en baisse croissante:
Recettes Salles : un pari : 2007 : baisse de 5 à 10% 2008 : basse de 10 à 20%
Un financement par les chaînes télé assis sur un pourcentage des recettes (mais ces recettes diffusion vont séroder en même temps que les groupes vont se diversifier)
mardi, décembre 11 2007
23:06
Au sujet des "bons films", personnellement, étant pourtant plutôt partisan du système de "l'exception culturelle" Française, je pense que les Etats-Unis produisent plus d'oeuvres originales et novatrices que la France.
— AJCCela m'énerve souvent d'entendre, au sujet des littéraires ou du cinéma, que la France produit "de qualité" par rapport aux Etats-Unis...
Les Etats-Unis, ce n'est pas qu'une affaire de blockbusters et d'analphabètes.
C'est aussi de grands auteurs contemporains ou récemment décédés, de Bukowski à Burroughs en passant par Easton Ellis ou Palahniuk. (Existe t'il en France, ces dernières années, d'équivalent d'auteurs aussi intéressants et trouvant également leur public ?) Ou même d'oeuvres magnifiques et originales, des réalisations de Burton, du sublime Donnie Darko, et de films à grands budgets qui présentent des qualités indéniables.
Le grand souci reste qu'en France, les productions "grand public" ne volent généralement pas haut. On transpose nos problèmes d'innovations culturels sur les Etats-Uniens, alors qu'ils ont produit ces dernières décennies des oeuvres qui ont marqué les milieux cinématographiques et littéraires tout en ayant des succès commerciaux importants.
Je me demande s'il ne faudrait pas, ici, s'intéresser à la sociologie de l'art, à la manière dont sont construites ces oeuvres, afin de souligner les différences entre nos deux modèles, avant de parler de la manière dont financer nos producteurs d'oeuvres artistiques.
Il y a également quelque chose qui m'a très souvent énervé en France, c'est une sacralisation de l'artiste qui passe par la nécessité, pour lui, d'avoir la possibilité grâce à l'Etat de vivre de sa passion. On se retrouve avec des mondes de l'art ultra-élitistes ou très fermés, très peu d'innovation découlant d'une production underground, et une incitation à ceux désirant vivre de leur travail de produire des oeuvres ultra-conventionnelles ou respectant un peu trop des codes internes à certains champs artistiques.
D'ailleurs, chose assez drôle : dans le champ littéraire, il y a opposition assez dure actuellement entre les fans/éditeurs/auteurs de fantasy, et ceux de science-fiction.
Sur le plan artistique, cela vient avant tout du manque d'innovation quasi-systémique de la part de "ce qui marche" en fantasy et ce qui est accepté par les éditeurs. Cela s'explique par le fait que la fantasy conventionnelle ou peu innovante se vend très bien, tandis qu'en général la SF se vend peu, quel que soit la qualité des oeuvres.
Résultat ? Une incitation pour les éditeurs à miser sur ce qu'ils veulent, du côté de la SF. On se retrouve avec une production très hétéroclite et finalement, d'excellente qualité, faisant parfois des succès commerciaux. (Damasio, Dufour... même si j'aime pas Damasio mais bon.) De petites maisons d'éditions se créées ou se développent tranquillement, les magazines spécialisés misent avant tout sur un lectorat assez demandeur d'une production Française innovante et se différenciant de la production Etats-Unienne, et finalement, "tout le monde y gagne" : la fantasy fait beaucoup de ventes et rapporte énormément, tandis que la SF comprend un certain nombre d'auteurs misant sur leur originalité et sur les réseaux de lecteurs informés des dernières sorties via les magazines spécialisés et certains sites. (ActuSF et le Cafard Cosmique par exemple, où l'on peut discuter sans souci avec les auteurs et éditeurs du milieu.)
Je me demande ce que donnerait en France la transposition de la structure de la production d'oeuvres littéraires (Plus orientée sur le "marché"...) au niveau du cinéma. Peut-être des oeuvres plus innovantes cherchant en même temps, tout de même, à se construire un public assez important. (Le parcours du réalisateur de Clerks aux Etats-Unis, ou du Projet Blair Witch, voire même des oeuvres ultra-spécialisées et misant à fond sur un public précis/des "niches", constituent d'excellents exemples de ce que donnent le passage par le marché pour de tous petits producteurs qui trouvent tout de même leur public...)
Le problème des subventions pour le cinéma, c'est qu'elles n'incitent pas nécessairement plus à innover qu'un passage par un marché moins encadré, plus "libéral", et en même temps, qu'elles n'incitent pas non plus à produire des oeuvres "cherchant un public"...
On pourrait aussi pointer les différences dans l'imaginaire des lecteurs/spectateurs dans ce qu'est une "bonne oeuvre" ou un "bon artiste", en France ou aux Etats-Unis, et selon les domaines internes aux champs spécialisés.
'fin bref, c'est assez intéressant comme sujet, je pense qu'une bonne approche multidisciplinaire serait très porteuse au niveau de l'art... et ça fait plaisir de voir que tu parles de l'art sur ton blog !
AJC