C'est un fait que la consommation de livre diminue. Certes, on a passé le temps où on nous annonçait la mort de l'écrit, masi les temps n'en sont pas moins durs pour les libraires. Obligés de se trouver dans les centre-villes, ils subissent de plein fouet l'augmentation des prix des loyers liée à celle de l'immobilier. Ils subissent également la concurrence des grandes surfaces, ainsi que de la vente en ligne, qui permet de se garantir contre la possibilité que l'ouvrage recherché ne soit pas immédiatement disponible. La diminution des achats de livres, engendrée par la report des dépenses de loisir vers l'audiovisuel et l'informatique, va également dans ce sens. Bilan : 2500 librairies aujourd'hui, le double il y a trente ans.

On peut évidemment discuter des conséquences de ce changement, sur les effets externes de la lecture par rapport à ceux d'autres loisirs, ou du rôle de conseil et de prescription des libraires. Cependant, je voudrais parler ici d'un facteur de baisse de la demande qui brille par son absence des analyses ci-dessus. Le premier réflexe de l'économiste face à une baisse de la demande est de regarder du côté des prix. Or, pas un mot dans ces articles sur le prix des livres.

Est-ce donc qu'il n'y a rien à en dire ? Loin de là ! En effet, entre 1960 et 2003, l'indice du prix des livres donné par l'INSEE a crû plus vite que l'indice des prix à la consommation. Ainsi, les livres sont-ils en 2003 20% plus chers qu'ils ne l'étaient en 1960 (après correction de l'inflation). Or, entre les deux on a assisté à la multiplication des collection de poche et à l'apparition du livre à 10 francs, facteurs qui contribuent à faire diminuer l'indice. La consommation de livre est donc aujourd'hui significativement plus onéreuse qu'il y a trente ans. En revanche, si on considère sur la même période un substitut à la consommation de livres, l'écoute de musique enregistrée, elle était en 2003 60% moins onéreuse qu'en 1960, essentiellement du fait des progrès technologiques (un baladeur numérique est nettement plus versatile qu'un phonographe à 33 tours).

Par ailleurs, c'est un résultat connu que l'élasticité-prix de la consommation de livres est importante, classant le livre dans les biens de luxe. Les estimations divergent en magnitudes, mais la plupart s'accordent pour dire qu'une augmentation de 1% du prix entraîne une diminution de plus de 1% de la demande.

Alors, pourquoi ce silence assourdissant ? C'est que les données sont embarassantes. Ainsi, l'article du Monde fustige la rupture avec l'action de Jérôme Lindon, figure éminente des Editions de Minuit, grand promoteur du prix unique du livre. Or, la tendance à la hausse du prix relatif des livres commence vers 1981, quand le prix unique fut mis en place. Il faut se garder ici de confondre corrélation et causalité. Mais il y a de nombreuses raisons de penser que les professionnels du secteurs, y compris certains économistes publiant à ce sujet, préfèrent écarter les explications en termes de prix, car elles mettent à mal l'idée que le livre est un bien pas comme les autres.

Pourtant, face à une concurrence accrue, je ne suis pas sûr que se voiler la face et maintenir des prix élevés soit la meilleure solution. Il y a de bons arguments pour vouloir préserver la diversité éditoriale et un réseau de libraires indépendants. Mais ces arguments n'iront pas loin si on ne met pas au centre le fait que le rôle de conseil du libraire n'est pas organiquement lié au fait de vendre des livres.