Comment avoir raison quand on a tort (et qu'on le sait)
En France, il y a manifestement un argument-massue pour défendre une idée qu'on sait mauvaise : dire que son contraire est un dogme chez les gens d'en face.
Depuis que j'ai un cobureau qui lit Libé, il me fait part des perles qu'il rencontre. L'article sur Bernard Maris en était une. Celui du jour s'intitule Todd découvre le protectionnisme. Preuve s'il en était besoin que c'est dans les vieilles casseroles qu'on fait les meilleurs populismes. Passons sur le fond : ceux intéressés par la question du protectionnisme pourront aller interroger Éconoclste, qui répond bien mieux que je ne pourrais le faire à cette question. On me signale dans mon oreillette que les usual suspects du Monde s'y sont collés aussi.
Ce que je remarque dans ce texte, c'est surtout la manière dont Emmanuel Todd et Marcel Gauchet refusent par avance d'entendre les arguments des économistes sur la question:
Le protectionnisme est une discussion qu'il faut avoir sur le fond. J'en ai plus qu'assez des arguments d'autorité des économistes. (Marcel Gauchet)
verrou intellectuel de la société française : le dogme du libre-échange (Emmanuel Todd)
Pour une fois que les économistes sont à peu près d'accord sur quelque chose, on préfère ne pas les entendre: c'est tellement plus facile de condamner le discours d'en face comme idéologique, ça évite d'avoir à se confronter à des arguments chiffrés. Mais le plus drôle dans l'histoire, c'est que sur le point considéré, il existe un large consensus... sur précisément les positions défendues par Todd et Gauchet : pour une économie importante, comme l'Union Européenne, qui n'a pas trop à craindre une détérioration des termes de l'échanges, le niveau optimal de protection à court terme est strictement positif. En d'autres termes, si on ne s'occupe que de l'UE, et que des cinq prochaines années, alors effectivement, la mise en place de barrières douanières est une bonne choses.
L'ennui, c'est qu'un tel exposé mettrait en valeur ce que Todd et Gauchet préfèrerait qu'on laisse sous le tapis : le protectionnisme a des effets néfastes sur la croissance mondiale à moyen terme, celle des pays pauvres en particulier, et à long terme sur celle de l'UE. Pas étonnant qu'ils n'en veulent pas discuter.
Au passage, le MEDEF écouterait ces propos d'une oreille complaisante. Cela ne m'étonne qu'à moitié, le MEDEF n'étant libéral que quand cela l'arrange.
Publié le jeudi, décembre 14 2006, par Mathieu P. dans la catégorie : Réactions - Lien permanent
Commentaires
jeudi, décembre 14 2006
16:46
moi je suis pour le protectionnisme souverain en matière de croissance patriotique sociale (juste et tranquille éventuellement)
— thomasjeudi, décembre 14 2006
21:33
Je ne vous comprends pas très bien : je suppose qu'il ne serait pas très difficile de trouver un économiste honnête, à peu près à l'aise à l'oral pour expliquer les fondements théoriques du "dogme du commerce international" et un opposant sincère et fougueux partant le coeur vaillant mais vaincu d'avance de par son ignorance.
— PassantAlors, pourquoi ne se trouve-t-il pas d'économistes pour organiser le débat plutôt que de laisser le monopole de la péroraison aux scribouillards de la presse subventionnée ?
Ne soyez pas trop dur avec le MEDEF : n'est-il pas précisément celui duquel nous attendons le meilleur grâce au soin qu'il apporte à ses intérêts ?
jeudi, décembre 14 2006
22:03
Le protectionnisme contre quoi ? Les chaussettes en nylon, les chaussures en plastique (avec ou sans NIKE dessus)? les lecteurs de DVD a 30€? ou les diligences a deux chevaux? Les centres d'appel au Maroc, peut être? Il faudra être aussi vachement protectionniste contre les immigrés clandestins alors. Il faudra peut être aller les dédouaner a Poitiers.
— Adam S.vendredi, décembre 22 2006
11:39
@ Passant Comme le fait remarquer Alexandre Delaigue, il existe de tels économistes. L'ennui, c'est que l'honnêteté universitaire impose de dire que les choses ne sont pas simples, discours qui passe mal dans des média qui sacralisent l'universelle compétence du citoyen-expert. Surtout, la base même du discours n'est pas la même. Dans la recherche, on distingue les hypothèses, les résultats et les conjectures. Le fait qu'une exception n'infirme pas une loi statistique est une connaissance commune. On a une certaine confiance dans les données et les chiffres. Face à un certain nombre de bonimenteurs médiatiques, tout ce cadre du discours scientifique tombe. À un constat général, on vous oppose l'exemple du pauvre (ou du méchant) M. X. C'est un fait connu depuis assez longtemps : dans le domaine de l'éloquence, l'appel à l'émotion est plus efficace à court terme que l'appel à la raison.
— leconomiste