Le débat entre Olivier Bouba-Olga et Pierre Bilger se concentre sur la présentation de l'économie dans le secondaire. Il me semble que c'est à la fois viser trop tard et trop tôt. Trop tard, car à ce point, la vision de l'économie comme un ensemble macroéconomique répondant mécaniquement aux impulsions de la politique publique est déjà largement inscrit dans les esprits à la faveur du programme d'histoire, en particulier dans son traitement de la crise des années Trente (qui fait la part belle à Keynes, au détriment des recherches récentes, qui pointent les faiblesses du système financier et la fragilisation de la croissance américaine suite aux lois restreignant l'immigration), dans le traitement de l'après-guerre en France et au Japon (MITI est-tu là ?). Trop tôt, car le programme mis en avant par Olivier est celui d'un « enseignement de détermination », c'est-à-dire d'une option. Or, quel est le public de cette option ? Les élèves qui se dirigent vers la filière ES, qui ne représentent pas, loin de là, la majorité des seuls lycéens, ni même la majorité des personnes (journalistes, enseignants, chercheurs) qui vont avoir pour rôle d'expliquer l'économie.

En bon microéconomiste, je me demande à ce point s'il ne faudrait pas descendre au niveau des agents pour comprendre ce qui se passe. Premier constat, d'une fiabilité toute relative : il existe bien, dans les groupes de TD que j'ai eu en face de moi, un biais en faveur d'une vision holiste du fonctionnement de l'économie (voir cette râlerie). Effectivement, ces élèves viennent de fillières ES et STT dans leur majorité. Mais plus que les programmes, j'aurais tendance à mettre en avant la formation de leurs enseignants. En effet, les enseignants du secondaire dans ces filières ne sont pas, dans leur immense majorité, des économistes. L'agrégation de sciences sociales est traditionnellement abandonnée aux sociologues par des économistes qui ont de meilleures perspectives professionnelles. Or la tradition sociologique française, de Durkheim à Bourdieu privilégie une vision assez holiste, correspondant dans l'économie à une conception des grands agrégats et de la politique publique et détriment de l'analyse au niveau micro. Souvent, ces mêmes enseignants n'ont ainsi qu'une maîtrise partielle de l'économie et de ses outils (je prends ici à témoin les anciens élèves des filières de prépa B/L).

Cependant, force est de constater qu'en face, la situation n'est pas meilleure. Ainsi, les enseignants d'économie des filières de gestion (donc des gens qui vont se retrouver dans la « vraie économie » sont le plus souvent très en marge de la recherche, quand ils ne sont pas complètement discrédités. De ce fait, la vision de l'économie qu'en tirent les futurs cadres et chefs d'entreprise est tout aussi biaisée que celle des futurs enseignants. Les scientifiques ayant une formation d'ingénieur, formés à une vision de « physique sociale » de l'économie ne sont pas non plus en position d'arbitre. Du coup, on voit des chefs d'entreprise professer avec aplomb des imbécilités fondées sur des analogies entre un État et une entreprise.

On comprend alors mieux la vision de l'économie comme une science idéologique, et les incompréhensions que pointe Pierre Bilger. De manière symptomatique, les bêtises débitées par les uns ([à gauche, cité par Econoclaste| http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2006/05/29/550-mondialisation-quel-clivage-gauche-droite|fr]), les autres (voir les propos de celui-là) et les troisièmes (ceux-là) traduisent avant tout la profonde ignorance de leurs auteurs.

Plus que les biais idéologiques, je pense donc qu'on pourrait mettre en avant trois points :

  1. L'absence de formation à l'économie dans le cursus général des élèves, et le manque de formation des enseignants, essentiellement d'histoire et de géographie, qui se trouvent aborder ces points;
  2. La faiblesse de la vulgarisation de l'économie en France, soutenue au plus haut niveau par l'idée que l'économie de comptoir vaut autant que l'état de l'art;
  3. La profonde ignorance de l'état de la recherche en économie, qui conduit programmes et acteurs à lire l'économie avec des cadres d'analyse périmés depuis parfois plus de trente ans.