Notes d'un économiste - Economistes2021-05-21T15:18:09+02:00Mathieu Peronaurn:md5:939382452da12601e54815d01228196fDotclearQuelles incitations pour la réplication ?urn:md5:dce45a179b07a29d326fab09a00b9e802018-08-24T14:29:00+02:002018-08-24T15:29:27+02:00Mathieu P.EconomistesModèlesRisque de modèleRéplication<p>Je suis en train de suivre le MOOC <em><a href="https://www.futurelearn.com/courses/open-social-science-research" hreflang="en">Transparent and Open Social Science Reearch</a></em> de la <em><a href="https://www.bitss.org/blog/" hreflang="en">Berkeley Initiative for Transparency in the Social Sciences</a></em>. La question de la réplication des études scientifiques est au cœur des enjeux de ce MOOC. Celui-ci présente quelques suggestions sur comment faire évoluer le système de publication scientifique vers une meilleure valorisation de la réplication. Cela me renvoi à mon expérience avec les modèles bancaires : comment, dans un environnement où les incitations privées sont élevées, est traitée cette question ?</p> <p>Ce qui suit repose sur mon expérience dans une banque particulière, dans un domaine particulier celui du risque de crédit. Sa validité externe s'arrête donc à ces bornes, mêmes si je pense que la dimension réglementaire que je souligne à la fin suggère que ce que j'ai observé est assez général.</p>
<p>À de nombreuses fins, les modèles de risque de crédit, qu'il s'agisse des modèles de score ou des modèles de stress-test, constituent une sous-catégorie particulière des modèles économiques (et parfois économétriques). Dans le premier cas, il s'agit d'estimer, sur la base de ses caractéristiques observables, la probabilité qu'un client donné fasse défaut à un horizon temporel donné. Conceptuellement, ils sont donc identiques à des modèles estimant l'impact d'une intervention de politique publique, la propension à avoir un comportement à risques, etc. Dans le second cas, il s'agit d'estimer de manière plus ou moins directe la dépendance de cette probabilité à l'environnement macroéconomique, ce qui ramène les modèles de stress-tests à la famille des modèles de prévision macro couramment utilisés.</p>
<p>Quelles sont les incitations d'une banque que ces modèles soient justes ? De fait, cela dépend du modèle, et de la manière dont il est utilisé. Pour illustrer, on a à un extrême le modèle utilisé uniquement pour calculer la quantité de capital que la banque doit détenir pour faire face au risque d'un prêt donné. Dans ce cas, l'incitation (privée et à court terme) de la banque est de biaiser le modèle de manière à minimiser son besoin de capital (et certains auteurs ne se privent pas de suggérer que cette pratique est répandue - je ne l'ai personnellement jamais observée). L'autre cas extrême est quand le même modèle est directement intégré aux décisions d'octroi et de prix : la note du modèle détermine si vous obtenez le prêt, et à quel taux. Dans ce cas, les erreurs sont coûteuses : un modèle trop sévère vous fait perdre de bons clients et vous coûte en capital, tandis qu'un modèle trop laxiste générera des pertes, du fait d'avoir accepté des clients trop risqués et d'avoir sous-tarifé les autres par rapport à leur niveau de risque.</p>
<p>De fait, les banques qui utilisent de tels modèles disposent d'équipes d'audit de modèle dont la fonction est justement d'auditer ces modèles. Cela peut aller d'un simple examen de la documentation à une réplication complète. Ces services emploient une main-d’œuvre qualifiée et en concurrence en termes de recrutement avec les services de modélisation. Et de fait, leur travail est souvent difficile. Les documentations sont souvent assez minimalistes, les codes peu lisibles, et les données, lorsqu'elles sont convenablement archivées, sont rarement traçables jusqu'à leur extraction des systèmes source (et je laisse de côté la très vaste question de la fiabilité des données source, même si tout le secteur est réputé conforme à BCBS-239, les amateurs apprécieront).</p>
<p>L'ampleur de ces équipes a considérablement augmenté avec la montée en puissance des exigences réglementaires des dix dernières années. Ces exigences ont en particulier souligné le besoin d'une documentation exhaustive, de la traçabilité des données et des contrôles de robustesse. Concrètement, dans le cas des États-Unis, le volume de documentation pour un modèle a explosé de cinq à 200 pages. Il faut remarquer que le régulateur est dans la même position que le chercheur qui lit un article : il ne peut se référer qu'à ce qui est dans l'article / la documentation, il n'a que difficilement (voire pas) accès au code et aux données, et de toutes manières ni le temps ni les ressources pour tout refaire (ou, je sais, la BCE conduit des exercices de revue ciblée, TRIM pour les intimes - bizarrement, ça fait pas mal flipper dans les banques : économistes, imaginez que Reviewer n°2 vous écrive pour vous dire qu'il débarque demain dans votre bureau pour faire tourner le code de votre papier depuis le départ).</p>
<p>De cette observation, je tire une conclusion : les régulateurs ont estimé que les incitations privées des banques à avoir de bons modèles étaient très insuffisantes, et ont ajouté une grosse couche (pas la couche de sucre glace sur votre gaufre, une couche taille calotte antarctique) d'incitations réglementaires pour avoir des modèles qui tiennent un minimum la route. On peut donc penser que dans le domaine académique, il faudra aussi qu'un acteur un petit peu extérieur (par exemple les financeurs) intervienne assez lourdement pour faire changer les pratiques. Pour l'instant, le fait est qu'il vaut mieux en termes de carrière passer deux fois six mois à faire deux articles avec du code inintelligible que passer un an à faire un article prêt pour la réplication.</p>
<p>Autre conclusion : demander aux chercheurs de mieux documenter leur démarche dans des articles ou des appendices ne servira pas à grand-chose : je n'ai pas l'impression que l'inflation documentaire ait vraiment amélioré la situation : les points délicats de la modélisation se trouvent noyés dans un océan d'informations.</p>
<p>On peut noter que <a href="https://www.openriskmanagement.com" hreflang="en">certaines initiatives</a> promeuvent l'utilisation de modèles de risque ouverts - ce qui permet de mutualiser les développements et de réduire les risques, la concurrence se jouant sur la qualité des données (là, j'en vois au fond qui rigolent) et sur l'intégration effective des modèles dans les process d'octroi, de pricing et de suivi du risque. Il va être intéressant de comparer l'évolution de ce type d'initiative d'une part, et des initiatives pour une science plus reproductible d'autre part.</p>De la difficulté à établir une bolgosphère européenneurn:md5:e5c124c63cb2f0ccd39961bd09fcbe752012-03-20T13:57:00+01:002012-03-20T13:57:00+01:00Mathieu P.EconomistesBlogs<p><strong>Un court billet pour vous signaler l'ouverture du <a href="http://www.bruegel.org/blog/" hreflang="en" title="Blog du Bruegel">blog</a> du <a href="http://www.bruegel.org" hreflang="en" title="Bruegel.org">think tank Bruegel</a>.</strong></p> <p>Très opportunément, <a href="http://www.bruegel.org/blog/detail/article/708-europeans-cant-blog/" hreflang="en" title="Europeans can’t blog">un des premiers billets</a> s'interroge sur les raisons de l'inexistence d'une blogosphère économique active en Europe.</p>Maris-bashingurn:md5:f13acab702b73db0ba350129e988244d2009-11-30T21:08:17+00:002009-11-30T21:08:17+00:00Mathieu P.Economistes<p><strong>Ce n'est pas de moi, et c'est bien mérité.</strong></p> <p>Lire cela <a href="http://ew-econ.typepad.fr/mon_weblog/2009/11/message-dalain-beitone.html">chez Étienne Wasmer</a>.</p>Une bonne gueulanteurn:md5:8f8e1a53ac3b50bf073d2d5ac80b617c2009-09-18T15:03:34+00:002009-09-18T15:03:34+00:00Mathieu P.Economistes<p><strong>... de Jean-Édouard sur Mafeco : c'est <a href="http://www.mafeco.fr/?q=node/197">ici</a>, et ça fait plaisir à lire.</strong></p> <p>Oui, je sais, je n'aime pas toujours quand un bloggeur me renvoie à un billet d'un autre que j'ai, en général, déjà lu. Mais là, c'est suffisamment bien dit pour que le détour en vaille la peine.</p>À lire d'urgenceurn:md5:02a9005afee2e8a8ce136373a807882b2008-04-15T10:36:28+00:002008-04-15T10:36:28+00:00Mathieu P.Economistes <p><strong>Comme vous pouvez le constater, ce blog est actuellement en sommeil, pour cause de thèse à avancer. Je ne passe donc que rapidement pour vous conseiller très chaudement <a href="http://www.ecopublix.eu/2008/04/le-problme-des-retraites-540-une.html" hreflang="fr">ce billet</a> d'Écopublix sur la réforme des retraites proposée par Antoine Bozio et Thomas Piketty. L'idée est excellente, la présentation claire, et la discussion révèle que les auteurs ont pesé des arguments de faisabilité ainsi que des arguments de pédagogie des cotisants. Bref, de la très bonne économie publique de mon point de vue. Bonne lecture !</strong></p>Mais qu'allais-je faire dans cette galère ?urn:md5:0374d92fcdeb99333e63d418399d13bc2008-02-17T00:09:08+00:002008-02-18T13:29:14+00:00Mathieu P.Economistes<p><strong>Il y a quelques temps, j'ai été invité pour faire une conférence d'une heure sur le thème de l'exception culturelle dans le cadre d'un <a href="http://incident.net/theupgrade/economie0/" hreflang="fr">événement artistique</a>. Comment ils en sont arrivés à me contacter est assez anecdotique (mais pas inintéressant dans le contexte), le tout est que j'ai accepté. J'ai donc pris ma plus belle <a href="http://latex-beamer.sourceforge.net/" hreflang="en">plume</a>, lu les chapitres pertinents du <em>Handbook of the Economics of the Arts and Culture</em>, relu <a href="http://www.amazon.com/Creative-Industries-Contracts-between-Commerce/dp/0674008081" hreflang="en">Richard Caves</a> et les incontournables <em>Économie de la culture</em> et <em>Les Dérèglements de l'exception culturelle</em> de F. Benhamou (merci au passage à SM pour <a href="http://econo.free.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=18&Itemid=2&codenote=165" hreflang="fr">cette note</a>), et pondu ceci. J'avais conscience de ne pas arriver en terrain conquis, et de jouer le méchant économiste de service. Ce à quoi je ne m'attendais pas, c'était à la présence dans la salle de l'intervenant suivant, <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Yann_Moulier-Boutang">Yann Moulier-Boutang</a>.</strong></p> <p>J'avais pourtant tenté de mettre de l'eau dans mon vin : les chapitres du <em>Handbook</em> étant à mon goûts très orientés par une aversion à l'intervention publique, j'avais préféré citer les analyses de Françoise Benhamou, que je pensais plus consensuelles. Sachant également que <a href="http://cesta.ehess.fr/document.php?id=163">Pierre-Michel Menger</a> était loin de faire l'unanimité, j'avais également abordé seulement de biais son argumentaire. Cependant, arrivé à la moitié de mon exposé, je ne peux m'empêcher de remarquer une personne dans la (petite) salle qui manifeste bruyamment sa franche désapprobation, en particulier dès que je parle d'abus du statut des intermittents du spectacle ou de recours au marché comme mode de régulation des marchés de l'art.</p>
<p>Vient donc le moment des questions. Enfin, questions, c'est beaucoup dire : à part des accusation de naïvetés, d'erreurs grossières et d'accusation de n'être là que suite à une intolérable méprise de la part des organisateurs, je n'arrive pas à extraire de cette personne le moindre argument. Heureusement, la parole passe d'abord à un plasticien, qui me fait à juste titre remarquer que mon exposé manque d'une définition précise du statut d'artiste. C'est en effet un problème en soi, et je me suis servi comme proxy pour la France du statut des intermittents, qui effectivement laisse de côté les plasticiens. Il me fait également une remarque sur le côté nécessairement idéologique de toute démarche, ce à quoi je n'ai guère de réponse sauf à dire que le biais de l'économie est sans doute de vouloir faire confiance au choix individuel. Réagissant à la critique de l'évaluation des politiques culturelles à l'aune de leurs retombées économiques locales, un programmeur du secteur culturel me fait à juste titre remarquer que ce que j'en dis (c'est un indicateur pauvre, l'essentiel des retombées profitant à un tissu culturel beaucoup plus large) est inaudible pour un élu local. Il a parfaitement raison, et je n'ai pas eu la présence d'esprit de signaler que la conséquence logique de cela était qu'il y avait probablement une trop grande décentralisation des financements de la culture.</p>
<p>Reste à savoir qui est donc ce contradicteur qui me juge si naïf qu'il ne trouve pas utile d'argumenter sa position. Seule solution : rester écouter son exposé. Il s'agit donc de M. <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Yann_Moulier-Boutang">Yann Moulier-Boutang</a>, dont j'avoue ne jamais avoir entendu le nom. À l'écoute de son exposé, je m'apaise quelque peu : manifestement, toute personne ne partageant pas son opinion se voit immédiatement gratifié d'un épithète sonore, « imbécile » étant sans doute le plus flatteur. Je dois donc avouer que me trouver mis dans le même sac que <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Tirole">Jean Tirole</a> ou <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Cohen_%28%C3%A9conomiste%29">Daniel Cohen</a>, fût-ce pour être parmi les naïfs qui croient dans la recherche économique orthodoxe, n'est pas pour me déplaire. Car en effet, Y. Moulier-Boutang se révèle très rapidement être un spécimen de choix de ce que l'hétérodoxie (il refuse ce qualificatif, naturellement, se désignant comme hétérodoxe par rapport aux hétérodoxes, comme la plupart des autres hétérodoxes d'ailleurs) à la française abrite dans ses universités.</p>
<p>À vrai dire, et je l'ai pourtant suivi avec attention, je serais bien en peine de dire en quoi consistait le propos de son exposé (le fait qu'il n'ait pas jugé utile de le communiquer par avance aux organisateurs ne m'a pas aidé). Passant sur les trois quarts de l'exposé, qui révélaient une culture certaine de l'histoire des technologie de réseau et des idées sur l'écologie beaucoup plus discutables, mais n'avaient guère de rapport ni avec le sujet, ni entre ses différents éléments, je pense que l'essentiel de son propos était le suivant : les technologies de mise en réseau entraînent l'apparition d'externalités issues des relations entre utilisateurs de ces technologies (et pas entre utilisateurs et producteurs, ou entre producteurs). Si une partie de ces externalités sont capturables par les entreprises détenant les plates-formes (Google), une large partie leur échappe. De ce fait, pour ne pas tuer la poule au œufs d'or, le « capitalisme cognitif » conduirait à un effondrement des structures de la propriété intellectuelle et de la production matérielle dans les pays développés, la Chine servant d'atelier gigantesque pour une Europe toute entière dédiée à la production d'idées. Bref, le Grand Soir, sauf pour les Chinois.</p>
<p>À ce point, j'ai compris que le dialogue entre nous était tout simplement impossible. De mon point de vue, il est passé à côté de plus de trente ans de recherche en économie, et comme la plupart des hétérodoxes, juge l'économie <em>mainstream</em> à l'aune de ce qu'elle était au moment de sa formation. En effet, l'économie des réseaux ainsi que la littérature sur les marchés bifaces ont montré comment les outils de l'économie <em>mainstream</em> permettaient d'analyser les ressorts de relations économiques fondées non pas sur l'échange de biens matériels, mais sur l'existence d'externalités liées à la mise en relation d'un grand nombre d'agents par l'intermédiaire de plates-formes ou de réseaux décentralisés. Du coup, je trouve son argument d'un changement radical entre le capitaliste industriel et le capitalisme de la connaissance absolument pas convaincant. Son exemple favori, par exemple, était la journée de liberté laissée par Google à ses salariés. Mais à y réfléchir, en quoi cette journée est-elle différente de celle laissée par Toyota, emblème du capitalisme matériel, à ses salariés dans les années 1980 ? Ou encore en quoi n'est-elle pas simplement expliquée comme une forme de salaire d'efficience, prime destinée à fidéliser les salariés dans un marché où le turn-over est rapide, et où on veut éviter que les salariés n'exportent dans les autres entreprises les méthodes qui font le succès de celle dans laquelle il travaille ? Pour moi, il réinvente donc la roue, et tant qu'à faire décide qu'elle sera carrée. De son point de vue, je représente une école de pensée pétrie d'idéologie méchante-libérale, attachée comme une moule à son rocher à des notions de propriété ou à des concepts de distinction obsolètes, incapable de penser la complexité des situations réelles.</p>
<p>Comme le corbeau de La Fontaine, me voilà donc à jurer, un peu tard, qu'on ne m'y reprendra plus. Pour ceux que cela intéresse, voici <a href="http://www.leconomiste-notes.fr/dotclear/images/confEconomie0.pdf" hreflang="pdf">le texte</a> de mon intervention.</p>Enseignement de l'économie : la saga continueurn:md5:1d66575856487cddd497b8c99c7347bc2008-02-03T13:28:47+00:002008-02-03T13:28:47+00:00Mathieu P.Economistes<p><strong>Une tribune de plus dans <em>Les Échos</em> par Hélène Rey, et la question de l'enseignement de l'économie en France est relancée. <a href="http://ew-econ.typepad.fr/mon_weblog/2008/02/lenseignement-d.html">Étienne Wasmer</a> applaudit des deux mains, tandis qu'<a href="http://obouba.over-blog.com/article-16258565.html">OBO</a> et <a href="http://legizmoblog.blogspot.com/2008/01/vaguement-comptitif.html">Gizmo</a> fulminent. Pour ma part, je partage assez la lassitude de <a href="http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2008/02/03/1164-rey-sur-l-enseignement-de-l-economie">SM</a> . Non pas que la question soit inintéressante, mais parce que rien de tout cela ne fait avancer la situation, essentiellement parce que le problème est très mal posé.</strong></p> <p><strong>Les Français et l'économie</strong></p>
<p>Il faut se souvenir que le débat part, à l'origine, de l'idée que les Français ont une mauvaise image de l'économie de marché en général, et de l'entreprise en particulier. Bien qu'il faille nuancer cette idée, la défiance à l'égard des mécanismes de marché en France est inscrite profondément dans un paysage politique qui oppose colbertistes-corporatistes et étatistes-planificateurs, sans qu'une formation significative aient des positions authentiquement libérales en matière d'économie.</p>
<p>Cela ne signifie pas que les Français soient particulièrement mauvais en économie : les comparaisons internationales, avec les États-Unis par exemple, montrent que les vieilles lunes protectionnistes et la crainte du chinois mondialisé avec le Yuan entre les dents n'est pas propre à la France. Il n'empêche que je me demande comment on peut en arriver à une situation où je pense pouvoir dire sans me tromper qu'une part significative de la population imagine que la fortune d'un Bolloré prend la forme de lingots d'or entreposés dans un coffre en Suisse, ou que les milliards perdus par la Société Générale sont issus des bénéfices faits sur l'activité de banque de dépôt.</p>
<p>Les deux paragraphes précédents vous semblent-ils cohérents l'un avec l'autre ? Pourtant, il s'agit à mon sens de deux problèmes différents.</p>
<p>Dans le premier cas, il s'agit de la formation des élites politiques et économiques, qui ne reçoivent que rarement un enseignement de l'économie un minimum rigoureux et à jour. Oui, il existe des cours d'économie, parfois de très bonne tenue, à Sciences-Po, à HÉC ou à l'ÉNA. Mais par quel partie des promotions sont-ils suivis ? Ont-ils l'influence nécessaire pour contrebalancer le discours tenu dans les autres cours ? J'en doute. Je doute surtout que la forme d'esprit encouragée par ces formations permettre d'appréhender convenablement les problèmes économiques. On pourrait en dire tout autant sur la formation des journalistes, qui en plus d'être légère sur ce thème, se compose pour une partie de la profession par l'habitude prise de ne plus vérifier les informations, ce qui nous vaut régulièrement des énormités (l'autre jour, une différence entre le PIB français et de PIB Britannique de l'ordre d'une soixantaine de millions d'euros) dans les colonnes d'un quotidien vespéral de référence.</p>
<p>Dans le second cas, il s'agit de la formation en économie dispensée dans le secondaire.</p>
<p><strong>Enseignement de l'économie dans le secondaire</strong></p>
<p>Notez que je n'ai pas parlé de la filière SES ici, parce qu'effectivement, moins d'un tiers d'une génération est exposé à cet enseignement, et les dérives qui y existent (manuels idéologiques, enseignants biaisant leur enseignement) ne sont d'une part pas propres à la filière (demandez aux enseignants d'histoire, et j'ai même vu ce type de querelles entre enseignants de mathématiques), et d'autre part relèvent d'un problème d'évaluation des enseignants et pas de contenu des programmes.</p>
<p>Ceci étant dit, il faut à mon sens se demander où la majorité des collégiens et lycéens reçoivent leur introduction à l'économie. Pour enfoncer une porte ouverte, je commence par rappeler que cela se fait d'abord à la maison, par exposition aux médias et aux discussions de famille. Voir pour cela le paragraphe ci-dessus. L'effet famille peut jouer un rôle important. En effet, les parents des lycéens actuels sont nés il y a quarante à cinquante ans. Quelles sont leurs représentations de l'histoire économique de la France ? Une ère de prospérité et de planification, les Trente Glorieuses, suivie par trente ans de croissance molle et de libéralisation. De là à penser que la planification était le ressort de la prospérité et le libéralisme économique celui de la crise, il n'y a qu'un pas, d'autant plus aisément franchi que pour des personnes nées dans les années 1960, le retard technologique et la pénurie démographiques issus des années 1930 et de la guerre ne sont pas évidents. Il y a donc fort à parier que les collégiens arrivent déjà avec des représentations très biaisées.</p>
<p>Où ensuite entendent-ils parler d'économie ? Essentiellement dans les cours d'histoire et de géographie. Il ne s'agit aps de jeter la pierre aux enseignants de ces matières, entendons-nous bien : ils ont des programmes colossaux à traiter, et l'histoire économique (sans parler de l'économie elle-même) est rarement leur spécialité. Ce que je veux ici souligner, c'est que l'échelle de ces deux matières (en ce qui concerne les sujets au programme) focalise l'attention sur les sujets et les effets macro-économiques, renforçant à nouveau la conception de l'économie comme une boîte noire avec une politique économique en entrée et un taux de croissance en sortie. La nécessité d'expliquer les idées keynésiennes pour comprendre les années 1930 et ultérieures achève au lycée de fixer ces représentations.</p>
<p>Est-ce à dire qu'il faudrait un enseignement généralisée de l'économie dans le secondaire ? Je ne pense pas, d'une part parce que les programmes actuels sont déjà assez lourds, et surtout que le problème, à mon sens, n'est pas un problème de connaissances, mais un problème de raisonnement. À ce titre, je rejoins les positions d'enseignants de toutes les matières, qui regrettent que l'enseignement actuel prenne la forme de recettes à apprendre (y compris des explications de texte) au détriment de méthodes, dont les ex-lycées devenus étudiants manquent cruellement.</p>
<p>Il y a donc au départ des représentations profondes à changer, et ce n'est pas une manipulation des programmes qui y changera quoi que ce soit : <em>La Société de la défiance</em> comme <em>Les Désordres du travail</em> montrent qu'il existe des fondamentaux profonds, sociaux, à la défiance à l'égard du marché, et c'est probablement en intervenant à ce niveau-là (relations de travail, imposition stricte des règles de concurrence, mise en évidence des rentes corporatistes) que se situe le meilleur levier sur ces représentations.</p>Théorie de qui et de quoi ?urn:md5:051568c2f9db49cc7a1d3fc9ed477fb32007-05-30T11:16:08+00:002007-05-31T18:32:45+00:00Mathieu P.Economistes<p><strong>Après <a href="http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2007/05/17/923-on-ne-respecte-plus-rien" hreflang="fr">SM</a>, <a href="http://legizmoblog.blogspot.com/2007/05/marketing-mensonger-le-journal-of.html" hreflang="fr">Gizmo</a> se fait le relais d'une violente charge de <a href="http://www.econjournalwatch.org/pdf/KleinRomeroEconomicsInPracticeMay2007.pdf" hreflang="en">Klein et Romero</a> contre le <a href="http://www.nyu.edu/jet/" hreflang="en">'Journal of Economic Theory</a>. Tempête dans un verre d'eau ? Probablement, encore que ce type d'attaques révèle un antagonisme croissant entre théoriciens en empiristes.</strong></p> <p>Que la majeure partie des articles publiés dans le <em>JET</em> soient abscons n'étonnera aucun économiste ou étudiant s'étant attaqué à un numéro récent de cette revue. Est-ce pour autant que ce qui s'y publie a largué les amarres avec la réalité pour devenir un simple jeu de l'esprit ? C'est l'idée que défendent Klein et Romero, sans parvenir à me convaincre.</p>
<p>Leur article débute cependant par une distinction intéressante entre théorie, en tant que mode d'explication d'un fait stylisé, et modèle, en tant que système formel mathématique. Il est évident que certains modèles ne théorisent pas grand'chose, mais aussi, ce qu'ils oublient un peu vite, que certaines théories restent stériles faute de faire l'effort de se traduire en modèles.</p>
<p>Leur mode opératoire consiste en trois questions :</p>
<ol>
<li><strong>Théorie de quoi ?</strong> : ils estiment qu'une contribution ne peut être une théorie que si elle déclare clairement le phénomène ou le fait stylisé dont elle fournit une description formalisée</li>
<li><strong>Qu'est-ce qu'on en a à faire ?</strong> : ensuite, toute contribution devrait montrer en quoi la sujet traité est mal compris au moment de sa publication, et pourquoi une meilleure compréhension de ce phénomène est désirable</li>
<li><strong>Qu'est-ce que cela apporte ?</strong> : enfin, la contribution doit montrer en quoi elle fournit une réponse meilleure, sur au moins certains aspects, que l'état de la recherche.</li>
</ol>
<p>Ces trois critères sont appliqués séquentiellement.</p>
<p>Ces critères sont séduisants par leur simplicité. Mais comme d'habitude, le diable est dans les détails, et le moindre n'est pas le choix, complètement arbitraire, d'appliquer ces question séquentiellement. Comme le fait à juste titre remarquer un des commentaires l'espace dans un article (en nombre de signes) est limité. Un article n'a ainsi pas nécessairement le temps de remonter à la description du phénomène d'intérêt faite trois ou quatre articles (et dix ans) plus tôt. Imaginons ainsi, dans la veine des articles du JET, un article C démontrant qu'un concept d'équilibre utilisé dans un article B (mettons sur les enchères) ne soit pas applicable sous certaines restrictions raisonnables sur la rationalité des agents, ce qui modifie les prédictions de l'article B quand à l'issue d'un phénomène décrit dans un article A, et auquel l'article B apportait une formalisation plus performante. Les auteurs de l'article C ont-ils à expliquer toute cette chaîne ? Cela ne me semble pas clair, dans la mesure où les chercheurs potentiellement intéressés par leur contribution ont nécessairement lu les articles A et B, et donc savent évidemment de quel phénomène on parle. Ainsi, le premier critère n'est pas une raison suffisante pour écarter un article.</p>
<p>On pourrait faire la même critique des deux autres critères. Fondamentalement, ces trois critères reposent sur une exigence qui ne va pas de soi : que les articles de recherche publiés dans une revue spécialisée soit autosuffisants (en rappelant chaque fois qu'est-ce qui est théorisé et ce qui a été fait avant), et compréhensible avec une culture générale économique. C'est là trop en demander : les articles du <em>JET</em> ont vocation à intéresser les théoriciens travaillant actuellement sur l'état de la recherche, un point c'est tout. De manière très maladroite et agressive, c'est bien ce qui a été reproché aux auteurs de l'article : ils jugent des articles qu'ils ne comprennent pas. Le problème n'est pas qu'ils ne les comprennent pas, mais qu'ils posent comme exigence première qu'ils devraient pouvoir les comprendre.</p>
<p>J'oserais même dire que les auteurs sont allées un peu plus loin, pénétrant dans le domaine de la mauvaise foi. Par exemple, pour quelqu'un qui travaille un peu en théorie, ce qui est modélisé et les exemples d'application de l'article n°3 de leur étude (A Solution of the Hold-Up Problem Involving Gradual Investment) est tellement évident qu'il n'est nullement besoin d'enfoncer des portes ouvertes en le rappelant, tandis que l'importance de l'article n°17 (Théorie de l'utilité espérée sans l'axiome de complétude) doit être évident après un cours (niveau M1) sur l'espérance d'utilité.</p>
<p>Le procès me semble d'autant plus mauvais qu'il s'agit d'une charge contre un seul journal, emblématique d'une seule branche de l'économie. Le référent implicite est bien évidemment l'économie empirique, avec des Vraies Données, qui étudie la Vrai Vie de Vrais Gens. Voire ! Pour avoir suivi cette année à la fois les séminaires de doctorants en économie empirique et en économie théorique, j'aurais tendance à les renvoyer dos à dos. Ni les uns ni les autres en prennent la peine de motiver leurs contributions, et encore moins de mettre en évidence ce qui peut intéresser l'économiste travaillant en dehors de leur propre domaine. Ont-ils tort ? Dans une perspective de collaboration, oui : cela limite les échanges, et cloisonne la discipline. Dans une perspective de recherche, pas nécessairement : il y a des gains indéniables à la spécialisation, et on peut s'interroger sur l'utilité d'expliquer en détail une méthode ou un résultat qui n'intéressera de toutes manières que les spécialistes du domaine.</p>
<p>Plus fondamentalement, il s'agit à mon sens d'une nouvelle passe d'armes entre théoriciens et empiristes, la précédente ayant été le reproche fait aux émules de Feakonomics d'inciter les jeunes chercheurs à concentrer leur efforts sur des phénomènes anecdotiques, mais présentant une amusante expérience naturelle. Dans un contexte de ressources rares (entendre ici les jeunes chercheurs et les crédits de recherche), certains semblent avoir fait le calcul qu'attaquer la légitimité du concurrent est plus rentable que de défendre la sienne propre.</p>
<p>Ce qui m'étonne le plus dans cette histoire est la manière dont les uns comme les autres oublient leurs réflexes d'économistes sitôt qu'il s'agit de leur propre discipline. L'espace dans les revues ainsi que leur ordonnancement en termes d'importance est un marché. Si effectivement les articles du JET n'intéressent que peu de monde, le nombre de citations les concernant diminuera et avec elles le rang de la revue. Est-ce à dire que leur propre article échoue à passer leur propre test ? Il me semble que oui.</p>Faire des études d'économie et devenir de droite ?urn:md5:0224ac2a71a984d95c284eecbb5efde32006-12-30T22:42:00+00:002009-04-27T17:44:57+00:00Mathieu P.Economistes<p><strong>C'est à peu près la question que pose, et répond <a href="http://gregmankiw.blogspot.com/2006/12/does-econ-make-people-conservative.html" hreflang="en">Greg Mankiw</a>. Ses trois réponses sont intéressantes, mais je crois qu'on peut utilement en ajouter une quatrième.</strong></p> <p>Greg Mankiw remarque qu'il existe effectivement une tendance des étudiants d'économie à sortir de leurs études, non pas plus à droite (plus conservateurs, dit-il en terminologie américaine), mais plus libéraux en sens classique du terme qu'ils sont entrés. Trois raisons essentielles :</p>
<ol>
<li>L'économie enseigne que chaque décision, en particulier de politique publique, impose des arbitrages, à commencer par celui entre coût et efficacité. Automatiquement, on se met à chercher dans chaque proposition quel sera l'effet pervers prévisible d'une mesure. Et en général, on le trouve, ce qui rend rapidement sceptique sur la capacité d'un gouvernement, aussi bienveillant fût-il, à résoudre un certains nombre de problèmes sans en créer d'autres.</li>
<li>Même en restant très suspicieux à l'égard des implications de <a href="http://leconomiste.free.fr/notes/tb.php?id=16" hreflang="fr">l'égoïsme de l'homo economicus</a> (oui, c'est de l'auto-pub), on en vient à reconnaître l'efficacité du marché comme moyen d'allocation des ressources et de coordination des agents. On constate également l'étonnante robustesse de cet arrangement institutionnel à un certain nombre de comportements opportunistes. Cela conduit assez naturellement à envisager comme première solution à un problème la mise en place d'un marché, quitte à jouer sur les allocations initiales ou sur les régles précises du jeu.</li>
<li>Enfin, l'examen empirique des mesures de politique économique limite la confiance qu'on peut accorder aux intentions bienveillantes d'un planificateur social. En dehors du champ de l'économie politique, qui se concentre sur l'écart entre les objectifs d'un planificateur bienveillant et ceux d'un gouvernement issu d'une procédure de désignation, on voit trop souvent en séminaire de bonnes idées de politiques fournir des résultats décevants, faute d'avoir pris en compte des éléments fondamentaux de l'analyse économique, à commencer par les asymétries d'information.</li>
</ol>
<p>Voilà pour les explications données par Greg Mankiw. Il me semble qu'il oublie quelque chose : le public soumis à cette influence, le bon vieux biais de sélection. Qui sont les aspirants économistes ? Attention, généralisations abusives ahead.</p>
<p>D'abord, ce sont des universitaires, on l'oublie souvent. Pour vouloir devenir universitaire, il faut commencer par penser qu'il existe des problèmes généraux et des solutions générales, et que la découverte de ces solutions est plus intéressant que chercher des solutions particulières aux problèmes particuliers qu'on rencontre dans les positions opérationnelles, publiques ou privées. Voir raison n°1.</p>
<p>Ensuite, en France, les aspirants économistes sont souvent passés par un enseignement, dans le secondaire ou le supérieur, qui fait la part belle aux explications généralisantes, pédagogiquement plus séduisantes mais qui rendent plus difficile de comprendre l'intérêt de la structure de marché (oui, raison n°2, vous m'avez vu venir).</p>
<p>Enfin, la grande misère de l'évaluation des politiques publiques en France n'est pas faite pour aider. Le manque de suivi statistique des politiques engagées, l'impossibilité d'obtenir des phases de test présentant des tirages aléatoires, voire la réticence à communiquer certaines données rend ingrate la tâche de l'empiriste. Ainsi, les exercices d'évaluation <em>ex post</em> sont décevants, mais il est difficile de dire si c'est par manque d'efficacité de la politique ou par manque de qualité des données.</p>
<p>Ainsi donc, l'étude de l'économie en université ne rend pas plus favorable à des thèses conservatrices. Elle rend sans doute plus pragmatique, et partant plus favorable au libéralisme classique qui, en France, n'est pas vraiment représenté dans le spectre politique.</p>Jamais d'accordurn:md5:4846d708bb571a3400b7bad56f784cb92006-12-05T10:51:39+00:002007-05-30T13:09:57+00:00Mathieu P.Economistes<p><strong>Alors que <a href="http://gregmankiw.blogspot.com/2006/11/consensus-of-economists.html" hreflang="en">Greg Mankiw</a> cherche les points de consensus entre économistes, ne voilà-t-il pas qu'<a href="http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2006/12/04/682-la-question-de-la-croissance-en-europe-premiere-partie-le-temps-de-travail" hreflang="fr">Econoclaste</a> et <a href="http://admin.over-blog.com/trackback.php?Id=4788833" hreflang="fr">Olivier Bouba-Olga</a> nous disent des choses apparemment contraires sur le temps de travail. Heureusement pour nous, ils sont en fait d'accord.</strong></p> <p>Crash-course pour ceux qui n'ont pas suivi (ils devraient lire les billets en question plutôt que celui-ci, d'ailleurs) : alors qu'Olivier Bouba-Olga critique le discours sarkozien concernant les pauvres français qui voudraient gagner plus mais qu'on empêche de travailler plus, Alexandre Delaigue rappelle, utilement, les doute qu'on peut avoir sur l'idée que les Européens préfèrent plus le loisir, que les Américains, et donc que la réduction règlementaire du temps de travail peut être nuisible si elle empêche effectivement ceux qui voudraient travailler plus de le faire. Bref un débat ouvert ? C'est ainsi que conclut Alexandre, qui souligne qu'il existe en ce domaine une vraie différence, et que le résultat de l'élection pourrait révéler la préférence effective.</p>
<p>On peut pourtant aller un peu plus loin. En effet, il est théoriquement possible de mesurer la préférence pour le loisir très simplement, on considérant la rémunération des heures supplémentaires. En effet, s'il faut payer plus une personne pour sa n+1-ième heure que pour la n-ième, cela signifie qu'on est dans une zone où la désutilité du travail est croissante. Plus même, cela laisse soupçonner que la n-ième heure est déjà sous-payée par rapport à ce que la personne voudrait offrir comme travail, mais comme on ne négocie pas ses contrats de travail à l'heure près...</p>
<p>En pratique, cette mesure est difficile : les heures supplémentaires sont encadrées, tant en termes de durée que de rémunération. On doit pourtant pouvoir s'en sortir en constatant que dans certains cas, la même tâche est réalisée par une personne ayant le statut d'employée (donc à la durée légale du travail) et par une autre ayant le statut de cadre (pour laquelle la notion de durée de travail est nettement moins pertinente) : quel est le supplément de salaire horaire sur les heures marginales réalisées par le cadre par rapport à l'employé, à tâche équivalente ? Si ce supplément est positif, alors la conclusion est assez directe : les personnes considérées n'ont pas envie de travailler plus au taux de salaire normal. On est donc justifier à leur donner les moyens de réaliser leur arbitrage travail-loisir optimal dans le cadre d'une relation d'embauche inégalitaire. Donc règlementer le temps de travail.</p>
<p>Il n'est pas claire que la conclusion aille en ce sens, et encore moins qu'elle soit valable pour tous les secteurs. Comme la plupart des économistes, je suis plus favorable aux décisions décentralisées, branche par branche, ou entreprise par entreprise. Mais force est de constater que cela n'est guère possible étant donnée la grande misère du syndicalisme français actuel (et oui, les syndicats de patrons ne me semblent pas valoir mieux que leurs contreparties).</p>Eloge des hétérodoxesurn:md5:749a47b0641e744bcae27d0f5fd676c92006-12-01T09:59:12+00:002007-05-31T16:46:25+00:00Mathieu P.Economistes<p><strong>J'avais écrit ce billet il y a deux mois, et jamais posté. Voyant comment les défenseurs de Maris le drapent dans le saint manteau de la nécessaire hétérodoxie, je ne crois pas inutile de rappeler que les bons hétérodoxes, cela existe, et qu'on les reconnaît à une chose : ils font de l'économie, pas de la politique à coups de slogans. </strong></p> <p>Alors que je rangeais mes vieux cours, je suis tombé sur les copieux dossiers d'un <a href="http://www.ehess.fr/ue/2006-2007/ue1872.html">très bon cours</a> d'économie des institutions, qui était fait pas <a href="http://www.jourdan.ens.fr/~boyer/presentation.htm">deux</a> <a href="http://www.pse.ens.fr/orlean/">hétérodoxes</a> notoires. Aujourd'hui, je reçois l'annonce d'un séminaire d'économie marxiste. À ce point, vous êtes censés vous inquiéter : vais-je abandonner la science lugubre au profit des grandes envolées conceptuelles de l'économie hétérodoxe. Certes non. Mais je tiens à souligner combien peut être intéressante la lecture de certains hétérodoxes, et expliquer pourquoi ces "certains" sont si rares.</p>
<p>Les hétérodoxes ont ceci de précieux qu'ils mettent l'accent sur les
facteurs les plus souvent négligés par l'analyse économique héritée de la
révolution marginaliste (pour faire court, l'économie mathématique). Par
exemple, Robert Boyer fait souvent remarquer que l'hypothèse d'une
maximisation exacte du profit ou de l'utilité a quelque chose
d'héroïque. En effet, à proximité du maximum, le gain à localiser
exactement le maximum est, au mieux, du second ordre. Pour peu qu'il y ait
des coûts à cette recherche, la rationalité économique impose de se fixer
<em>ex ante</em> une fourchette dont on sait qu'elle comprend le maximum, me
calcul de cette fourchette pouvant être bien moins coûteux que celui du
maximum lui-même. L'argument porte à deux niveaux. D'une part, il renvoie à
une situation vécue : face à un linéaire entier de desserts lactés, on
finit par un prendre un qui nous fait envie, sans examiner l'ensemble des
produits pour déterminer celui qui nous fait plus envie que tous les
autres. D'autre part, il porte au niveau théorique : de nombreux cadres, de
celui de l'équilibre général jusqu'au problème des incitations en
organisation industrielle, peuvent être peu robustes à de petites
déviations par rapport au comportement optimal.</p>
<p>La critique de Boyer n'envoie certes pas à poubelle les résultats dans ces
domaines, mais oblige les économistes orthodoxes travaillant dans ces
domaines à prendre en compte les questions de robustesse et de comportement
de second rang dans leurs modèles. Ce qui fait finalement avancer
l'économie mathématique.</p>
<p>Maintenant, comment expliquer la piètre qualité de l'essentiel de la production se
revendiquant haut et fort hétérodoxe ? C'est qu'il est <em>intrinsèquement</em>
<strong>beaucoup</strong> plus difficile d'être un bon économiste hétérodoxe. En effet,
pour pouvoir formuler une critique du type que j'ai cité plus haut, il faut
être capable de comprendre en profondeur les modèles orthodoxes. Autrement
dit, un prérequis nécessaire est d'être <strong>meilleur</strong> que les orthodoxes
dans le domaine de l'économie mathématique. À cet égard, l'exemple de Boyer
et Orlean est éclairant : tous deux sont polytechniciens, l'un passé par
l'ENSAE, l'autre par les Ponts. En plus de cela, il faut aussi maîtriser
d'autres outils d'analyse du réel, fournis par une pratique continue de
l'histoire et des autres sciences sociales. De ce fait, être un bon
hétérodoxe exige un investissement en formation très important, y compris
le franchissement des barrières disciplinaires.</p>
<p>Mais alors, pourquoi y a-t-il tant d'hétérodoxes ? C'est que s'il est sans
doute plus difficile d'être un bon hétérodoxe qu'un bon orthodoxe, il est
aussi plus facile d'être un mauvais hétérodoxe qui passe pour correct qu'un
mauvais orthodoxe qui passe pour correct. En effet, le cadre très
contraignant des mathématiques impose un degré minimal de cohérence et de
rigueur, ce qui limite la possibilité de camoufler les failles du
raisonnement. Au contraire, les hétérodoxes privilégient un exposé très
discursif. Or, la forme discursive, souvent plus lâche que l'exposé
mathématique dans l'enchaînement des propositions, est un outil très
commode pour camoufler les sauts logiques, les arguments bancaux et autres
paralogismes, sans parler de la simple insuffisance des connaissances. Plus
même, le système des prépas littéraires servent de terrain d'entraînement
à un tel usage de l'écrit. Pour y être passé, j'en sais quelque chose :
face à un programme de toutes manières beaucoup trop vaste, la bonne
stratégie est d'apprendre ce qu'on peut, et d'apprendre à faire croire
qu'on sait le reste. Une fois pris, le pli est difficile à perdre, y
compris quand on tient un blog ou qu'on rédige un mémoire.</p>
<p>Le biais de recrutement des hétéroxodes va justement dans ce sens : la
plupart d'entre eux sont allés vers l'économie hétérodoxe par rejet des
mathématiques plutôt que par une compréhension interne de leur limites. Du
coup, ils ont dans le meilleur des cas plusieurs dizaines d'années de
retard sur l'état de la recherche, et qualifient d'idéologie ce qu'ils ne
comprennent pas. Du coup, leurs arguments portent à côté, ne révélant que
leur ignorance.</p>
<p>Si j'en parle ainsi, c'est que j'ai à un moment pensé de cette façon, comme
la plupart de mes camarades issus de la filière B/L. Je ne jurais que par
<em>Alternatives Economiques</em>, et j'étais persuadé que les hypothèses
mathématiques de l'économie néoclassique cachaient un sombre combat
idéologique au profit de l'égoïsme et de la réduction de l'humain à une
marchandise. Deux ans d'endoctrinement avaient été efficaces. Peu à peu, et
douloureusement, je me suis rendu compte que je pensais, et disais,
n'importe quoi, vouant aux gémonies non l'économie telle qu'elle se
pratiquait actuellement, mais une lecture erronée de résultats périmés
depuis vingt ans. Bref, tout cela sentait le rance. Je sais qu'en lisant
cela, certains vont me prendre pour un vieux con précoce.</p>
<p>Il existe une variété d'hétérodoxes dont ce billet ne parle pas : ceux
venus des sciences dures, qui essayent d'appliquer leur cadre d'analyse à
l'économie. Ne maîtrisant pas leur discipline d'origine, je suis incapable
d'évaluer leur compétences dans leur champ de départ. Mais là encore,
force est de constater que ceux qui ont le plus apporté à l'économie sont
ceux qui ont pris la peine de comprendre le cadre de l'économie
mathématique et de montrer comment leur contribution pouvait s'y insérer.</p>Ils sont partout !urn:md5:5081675f54ae47c9fe4c62d0f8e189c52006-05-04T15:35:40+00:002007-05-31T17:29:39+00:00Mathieu P.Economistes<p><strong>En commentaire d'un <a href="http://leconomiste.free.fr/notes/index.php?2006/03/29/15-l-economie-eclatee" hreflang="fr">récent billet</a>, <a href="http://guerby.org/blog/" hreflang="fr">Laurent Guerby</a> me demandait quelle était l'ampleur de l'apport des économistes au droit de la concurrence. Comme je viens de suivre une séance de séminaire à ce propos, je donne quelques indications pendant que c'est chaud.</strong></p> <p>Où sont donc les économistes ? s'interrogeait Laurent en commentaire à mon billet concernant l'éclatement de l'économie en sous-champs. Apparemment, ils étaient les grands absents des blogs et colloques concernant le droit de la concurrence. Pourtant, à haut niveau, <strong>ils sont partout</strong>. Voyez vous-mêmes : alors que le <a href="http://www.conseil-concurrence.fr/user/index.php" hreflang="fr">Conseil de la concurrence</a> recrute un <a href="http://www.conseil-concurrence.fr/doc/fichechefeconomiste.pdf" hreflang="fr">chef économiste</a>, la <a href="http://europa.eu.int/comm/index_fr.htm" hreflang="fr">Commission européenne</a> est dotée d'une <a href="http://europa.eu.int/comm/competition/index_fr.html" hreflang="fr">Direction générale de la concurrence</a> qui a été présidée par un <a href="http://europa.eu.int/comm/competition/index_fr.html" hreflang="en">professeur d'économie</a>, et l'est maintenant par une <a href="http://europa.eu.int/comm/commission_barroso/kroes/profile.htm" hreflang="en">ancienne enseignante d'économie</a>. Aux États-Unis de même, le <a href="http://www.commerce.gov/" hreflang="en">''Department of Commerce''</a> comprend traditionnellement un <em>Deputy secretary</em> recruté parmi les professeurs d'économie (l'administration Bush fait exception à la règle). Pour compléter ce tour d'horizon des institutions, il faut citer, pour des sujets plus généraux, le rôle en France du <a href="http://www.cae.premier-ministre.gouv.fr/" hreflang="fr">Conseil d'analyse économique</a> (que ce site est moche), dont la <a href="http://www.cae.premier-ministre.gouv.fr/" hreflang="fr">composition</a> montre qu'il tranche agréablement avec le népotisme du milieu, puisqu'on y repère des noms comme ceux de <a href="http://elias.ens.fr/~dcohen/" hreflang="fr">Daniel Cohen</a> ou <a href="http://www.jourdan.ens.fr/piketty/" hreflang="fr">Thomas Piketty</a>, qu'on ne peut soupçonner d'être particulièrement favorables au gouvernement actuel. On peut d'ailleurs vouloir garder dans un coin de ses marque-page l'adresse des <a href="http://www.cae.gouv.fr/rapports.htm" hreflang="fr">rapports</a> publiés par ce conseil. Je m'empresse enfin d'ajouter que cette pénétration des économistes dans les services traitant des problèmes de la concurrence n'est pas propre aux organismes publics ou parapublics. Des cabinets privés, comme <a href="http://www.freshfields.com/en.asp" hreflang="en">Freshfields</a> vont à la chasse aux jeunes économistes dans certaines <a href="http://www.ensae.fr/" hreflang="fr">Ecoles</a> (dont les <a href="http://www.ensae.fr/ecole/eleves/avenir.htm" hreflang="fr">carrières à la sortie</a> étayent mon propos). Le cabinet en question a d'ailleurs un <a href="http://www.freshfields.com/lawyers/pf_lawyers.asp?personnelID=55681&languageID=11" hreflang="en">ancien élève</a> de ladite Ecole parmi ses <em>Partners</em>.</p>
<p>Quelle est l'influence de ces économistes sur les décisions effectives, me direz-vous ? Elle est énorme, ce qui n'est pas toujours du goût des juristes. En effet, le droit de la concurrence est né d'un malentendu : les juristes qui ont mis en place les premiers éléments de droit de la concurrence pensaient faire de l'économie, et ont ainsi passé pas mal de temps à manipuler des concepts qui n'avaient pas grand sens pour les économistes, comme celui de marché pertinent. Au bout d'un certain temps, ils se sont rendu compte qu'une branche de l'économie, l'<a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Industrial_organization" hreflang="en">organisation industrielle</a>, répondait aux question qu'ils se posaient sur l'impact d'un changement de la structure de marché. Du coup, les économistes ont été de plus en plus fréquemment appelés en temps qu'experts auprès des juges, en particulier pour les questions de concurrence. Pour répondre à une question de Laurent, les modèles d'IO comportent souvent un nombre réduit d'acteurs, ce qui les rend particulièrement adapté à l'étude de cas dans ce domaine. Dans les basques des économistes sont naturellement arrivés les économètres, qui fournissent actuellement force simulations (eh oui) sur les conséquences des fusions ou acquisitions portées à la connaissance des institutions de contrôle. Par exemple, la Commission a prix pour base une augmentation de prix estimée de 4,76% comme élément pour décider de la suite à donner à la proposition de fusion entre Editis et Lagardère.</p>
<p>On peut s'interroger sur les conséquences d'une telle pénétration. Pour les juristes, l'opération est douloureuse, puisqu'il faut introduire dans le droit des concepts, comme celui d'utilité, qui sont très étrangers à ce domaine. Surtout, les avis rendus par les économistes sont souvent très différents de ceux de la jurisprudence. Traditionnellement, le droit de la concurrence ne considérait que l'effet sur la concurrence entre les entreprises. Par exemple, nul juriste n'objecterait à une hausse des prix d'une entreprise en position dominante, puisque cela est avantageux pour ses concurrentes (celles-ci ne subissent donc pas de dommage). Inversement, l'économiste va voir une telle politique avec suspicion, en faisant entrer l'intérêt du consommateur. La conséquence principale de l'usage des analyses économiques est cependant une grande incertitude juridique. En effet, les modèles utilisés sont très sensibles aux conditions initiales du marché considéré. Les avis seront donc essentiellement rendus au cas par cas, ce qui amène certains économistes (comme Fudenberg et Tirole) à dire que la seule règle conseillable est le cas par cas. Il ne faut cependant pas exagérer cet effet puisque les entreprises concernées peuvent <em>ex ante</em> demander un avis à un cabinet de conseil qui aura, s'il est à la page, engagé des économistes utilisant les mêmes méthodes. Essentiellement donc, la conséquence majeure de ce phénomène est une prise en compte d'effets d'efficacité dynamique ou fondés sur les liens en tre marché, qui échappaient souvent au raisonnement juridique habituel.</p>Economistes, matheux et physiciensurn:md5:816c2c5233e150e2ce3792fdd7cc08e82006-03-19T21:56:48+00:002007-05-31T16:54:04+00:00Mathieu P.Economistes<p><strong>Le statut des mathématiques en économie est un débat récurrent, surtout en France. D'habitude, les critiques viennent plutôt du côté des sciences sociales (voir <a href="http://mouv.eco.free.fr/" hreflang="fr">les autistes</a>). Alors, quand un ami physicien m'a dit qu'il s'interrogeait sur le rapport des économistes aux mathématiques, je me suis dit qu'il serait intéressant de lui faire développer son avis.</strong></p> <p>Son premier argument est que les économistes ont aux mathématiques un rapport caractéristique des matheux. Ce n'est pas vraiment étonnant, beaucoup d'économistes se recrutant parmi les matheux en quête de reconversion. Cependant, la critique de mon ami (appelons-le D.B.) est plus puissante. En substance, il dit que les économistes favorisent dans leurs études les cas à quelques agents (« pour avoir les intuitions ») ou au contraire à une infinité d'agents (pour se débarrasser des contraintes d'entiers). Dans la logique économique on met en avant des arguments de simplification de systèmes de toutes manières trop complexes, ou en se plaçant au niveau des faits stylisés, supposés limiter le problème des frictions. L'argument de D.B. est que ces cas permettent (et ce sont souvent les seuls où c'est possible) de parvenir à des solutions algébriques et à des propositions démontrables, souvent pompeusement baptisées « théorèmes ». Or, dans un monde scientifique formé aux mathématiques (celui face auquel les économistes cherchent à justifier leur crédibilité), ce mot a un poids considérable. Il permet de donner à l'énoncé ainsi baptisé l'importance logique d'un énoncé vrai, le plus souvent en oubliant les hypothèses sur lesquelles ils reposent. D'où la question que se pose D.B. : dans quelle mesure le formalisme mathématique sert-il d'artifice réthorique pour donner du poids à des énoncés chroniquement faibles (obtenus sous des hypothèses très fortes) et peu robustes à la modification du jeu d'hypothèses ?</p>
<p>Par opposition, les physiciens ont, me dit D.B., abandonné le fétichisme pour les solutions en <em>closed form</em>. Certes, la modélisation passe d'abord par une simplification du problème. Mais ensuite, on arrive à des questions dont l'intérêt réside précisément dans leur complexité. Là, un physicien n'abandonne pas faute de solution élégante, mais le lance dans les simulations numériques. Le sujet a déjà été signalé par <a href="http://guerby.org/blog/" hreflang="fr">Laurent Guerby</a> en réaction aux difficultés d'<a href="http://optimum.tooblog.fr/tb.php?id=160" hreflang="fr">Antoine Belgodère</a>. Je me permets d'en remettre une couche. Une partie du mépris des économistes pour les simulation repose certainement dans l'importance accordée à l'élégance des résultats dans la formation mathématique. Une autre raison, qui me semble plus profonde, est que l'économiste est souvent réduit à <em>quia</em> quand il s'agit de calibrer son modèle pour faire les simulations. Pratiquement tout modèle comprend en effet un paramètre par essence inobservable, par exemple la propension à payer des consommateurs potentiels, ou leur goût pour la diversité. Dès lors, les valeurs initiales doivent être choisies au pifomètre, ce qui réduit la crédibilité des simulations.</p>
<p>Enfin, D.B. m'a dit qu'il lui semblait que la fixation des économistes sur les concepts d'équilibres traduit un certain retard par rapport à l'étude des systèmes dynamiques en physique, qui se développe maintenant en direction de l'étude de systèmes hors équilibre. Certes, il s'agit de la frontière de la recherche en physique. Mais il y probablement là quelque chose qui transpirerait utilement en direction de l'économie.</p>
<p>Le problème des mathématiques en économie est donc profond, et me semble révéler surtout les doutes des économistes eux-mêmes à l'égard des énoncés qu'ils sont capables de produire.</p>Mathématiques et jeunes économistesurn:md5:3dad083ba6d46fcae315e8ffcd27a7262006-02-01T14:35:27+00:002007-05-31T16:40:41+00:00Mathieu P.Economistes<p><strong>Régulièrement, on entend murmurer dans les couloirs des universités et autres écoles contre l'omniprésence des mathématiques dans la formation des économistes et contre les présupposés idéologiques de cet outil. Moi aussi j'ai donné dans ce genre (mes enseignants doivent s'en souvenir), et j'en suis revenu. Explications.</strong></p> <p><img src="http://www.leconomiste-notes.fr/notes/images/Economie/Costcurve_-_Marginal_Cost.PNG" alt="Courbes économiques" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" longdesc="http://www.leconomiste-notes.fr/index.php?post/2006/02/01/Licence CC by Attribution, provenant de Wikisource" />L'enseignement universitaire de l'économie comprend souvent un fort contenu mathématique (voir par exemple <a href="http://www.univ-paris1.fr/formation/eco_gestion/ufr02/lmd/article2771.html" hreflang="fr">cette formation</a>, <a href="http://www.univ-tlse1.fr/LEC_5/0/fiche___formation/" hreflang="fr">celle-ci</a> ou encore <a href="http://www.master-ape.ens.fr/progra/index41.php?choix=1" hreflang="fr">celle-là</a>). Pour des élèves venus de filière ES ou de classes préparatoires B/L, habitués à entendre que les sciences sociales sont unes et indivisibles, le choc est rude. Il l'est d'autant plus que les modèles et outils présentés (macroéconomie, économétrie) font appel à des outils avancés par rapport à ce qui est présenté au lycée (calcul matriciel, probabilités). Surtout, il domine dans les filières sus-citées un discours de méfiance à l'égard de l'économie mathématique, soupçonnée, parfois à juste raison, de simplifier à outrance la réalité au profit d'une idéologie ultra-libérale. En pratique, naturellement, les choses sont plus compliquées que ça.</p>
<p>Pour être passé par le filtre de la B/L, il faut bien reconnaître que l'économie littéraire est très séduisante. Sans être plus facilement accessible, elle propose de manière plus directe une description nuancée de la réalité et propose des idées-forces qui permettent de comprendre de vastes pans du fonctionnement de l'économie. Il faut ainsi être bien obtus pour reprocher à Keynes ou à Schumpeter de n'avoir pas mis leurs idées en équations. L'ennui de l'économie littéraire, c'est qu'on aimerait que l'économie progresse, c'est-à-dire qu'elle puisse se construire par accumulation de contributions plutôt que par l'affrontement constant de systèmes de pensée incompatibles. On aimerait surtout pouvoir distinguer de manière fiable ce qui est juste de ce qui ne l'est pas. En d'autres termes, on voudrait pouvoir obtenir des énoncés falsifiables.</p>
<p>C'est justement là que le bât blesse. Pour être confrontés aux données (chiffrées) dont on dispose sur l'économie, il faut pouvoir traduire ces énoncés en termes mathématiques. Dès lors, pourquoi ne pas directement exprimer ces énoncés dans un langage mathématiques. Et hop, on vient de réinventer l'économie mathématique.</p>
<p>Mais la justification de l'omniprésence des mathématiques dans les cursus d'économie est plus profonde que cela. Exprimer des idées de relations dans un langage mathématique oblige à formuler des hypothèses, et donc à une nécessaire modestie quant à la valeur des énoncés produits. De même, il est absolument fondamental de maîtriser les outils économétriques, pas tant pour les appliquer directement (les logiciels statistiques épargnent beaucoup de travail) que pour connaître leurs limites. À un niveau très élémentaire, cela permet de dresser l'oreille et de repérer les sophismes face à des affirmations telles que</p>
<blockquote><p>Les ventes de disques ont baissé et les téléchargements ont augmenté, donc ce sont les téléchargements qui sont à l'origine de la baisse des ventes de disques.</p></blockquote>
<p>Que donc dire d'autre aux économistes dans la passe mathématique qui les attend tous en L3 et en M1 ? Sans doute pas grand'chose d'autre que : Persévérez ! Oui, je sais, c'est pénible de vouloir faire de l'économie et de faire de la technique. Oui, la théorie microéconomique du consommateur a l'air ridicule. Mais attendez d'être en M2 avant d'arrêter votre opinion : le fait que bien souvent les gens se comportent dans l'ensemble comme des maximisateurs égoïstes est solides, même si ce n'est pas, de loin, la trouvaille la plus réjouissante de l'économie.</p>
<p>Est-ce à dire qu'il faut abandonner ce sentiment d'être face à une cathédrale vide et sans Dieu quand on étudie l'équilibre général d'Arrow-Debreu ? Certainement pas. Ce sentiment est le plus puissant garde-fou de l'économie : il permet de toujours se souvenir qu'on ne parle pas d'un monde fictifs, mais de personnes humaines, et ce dans une dimension importante, mais non unique, de leur existence.</p>